Télérama- retour à la une. Se connecter Se connecter S’abonner . Télérama - retour à la une. PROGRAMME TV . CINÉMA . CINÉMA ; Les sorties de la semaine; Toutes nos critiques; Netflix, Amazon, Disney+ Nouveautés VOD; Guide Films; Abonné. Cinéma. Pourquoi “Batgirl” ne décollera pas, ni en salles, ni sur HBO Max. Cinéma. Salles de ciné : la transition écologique RegarderSacrées Sorcières Film complet en ligne gratuit — Un jeune garçon et sa grand-mère, exilés en Angleterre. Regardez Ma belle-famille, Noël, et moi (2020) Movie Online Les déchirures Blu-ray ou Bluray sont encodées directement à partir du disque Blu-ray en 1080p ou 720p (selon la source du disque) et utilisent le codec x264. Synopsis Mélodie n'est pas au bout de ses surprises car c'est à Pushberg, dans son village natal, au fin fond des Alpes autrichiennes, que vit Michael, entouré d'aigles. Si celui-ci continue RegarderPercy Jackson : Le voleur de foudre Film complet. 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Novembre n'est même pas encore arrivé que déjà débarquent les téléfilms de Noël. On vous présente le programme si vous êtes amateur du genre. Par Johann Foucault Publié le 26 Oct 20 à 1915 Les téléfilms de Noël font déjà leur retour sur le petit écran. ©Adobe Stock C’est un rendez-vous incontournable pour de nombreux téléspectateurs et téléspectatrices les téléfilms de Noël. L’occasion de se plonger en avance dans cette période dont on ne sait dans quelles conditions elle pourra être fêtée cette année, en raison de l’épidémie de l’on soit fan de la féérie de Noël, de ses romances ou aventures, ou juste amateur de téléfilms un peu cucul la praline », soyez prêts à sortir le plaid et le pull moche. Car la période des téléfilms de Noël est lancée. Certaines chaînes de télévision ont annoncé leur programmation. Tour d’ lancé sur C8Sur C8, la saison des téléfilms de Noël est bien lancée, depuis le 19 octobre déjà. Particularité, la chaîne du groupe Canal propose ses fictions le rediffusions à revoir à 9h et à 10h50, du lundi au vendredi, les horaires pouvant variant d’une journée à l’autre. À venir cette semaine Mardi 27 octobre à 9h, Ce Noël qui a changé ma vie ; à 10h50, Un Noël tous ensemble. Mercredi 28 octobre à 9h, Un Noël plein de surprises ; à 10h50, Qui garde le chien ? Jeudi 29 octobre à 9h, La course au mariage ; à 10h50, J’ai vu maman embrasser le Père Noël. Vendredi 30 octobre à 9h, Rendez-moi Noël ; à 10h50, Un Noël inattendu. Deux téléfilms par jour sur TF1À partir du lundi 2 novembre, TF1 sort le grand jeu, avec deux téléfilms de Noël au programme par jour, du lundi au vendredi à 13h55 et promet de belle histoires » qui vont réchauffer le cœur », dont certaines inédites. À voir Lundi 2 novembre à 13h55, Père Noël incognito inédit ; à 15h45, Un fiancé à louer pour Noël. Mardi 3 novembre à 13h55, Un rôle sur mesure pour Noël inédit ; à 15h45, Noël avec le témoin amoureux. Mercredi 4 novembre à 13h55, L’atelier de jouets du Père Noël inédit ; à 15h45, Une romance de Noël en sucre d’orge. Jeudi 5 novembre à 13h55, Noël au palace inédit ; à 15h45, Un nouveau chapitre pour Noël. Vendredi 6 novembre à 13h55, Un duo magique pour Noël inédit ; à 15h45, Coup de foudre sur une mélodie de Noël. Pour connaître les prochaines grilles de programme, vous pouvez consulter le site internet de en ce moment sur ActuUn téléfilm par jour sur M6M6 aussi est fidèle au poste, en proposant quotidiennement son programme Un jour, une histoire de Noël ».À partir du lundi 2 novembre, rendez-vous est pris tous les jours dès 14h. Au menu de la première semaine Lundi 2 novembre à 14h, Noël en escarpins inédit. Mardi 3 novembre à 14h, Noël contre Noël inédit. Mercredi 4 novembre à 14h, Il était une fois Noël. Jeudi 5 novembre à 14h, Le fabuleux bal des neiges inédit. Vendredi 6 novembre à 14h, Sous les lumières de Noël inédit. La suite de la programmation est à retrouver sur le site internet de le week-end sur W9Sur W9, chaîne du groupe M6, les téléfilms de Noël se regardent le week-end. À partir du 31 octobre, plusieurs fictions, des rediffusions, sont proposées chaque 31 octobre à 12h40, Les cookies de Noël ; à 14h10, Un cowboy pour Noël ; à 16h, Un Noël à New York. Samedi 7 novembre à 12h40, Un cowboy pour Noël ; à 14h20, Un cadeau inattendu ; à 16h10, Il faut croire au Père Noël. La grille des semaines suivantes sera dévoilée au fur et à mesure, à consulter sur le site de dimanche sur TMCSur TMC, chaîne du groupe TF1, on fête Noël aussi, mais le dimanche. À partir du 1er novembre, plusieurs fictions des rediffusions également sont prévues par après-midi 1er novembre à 14h55, Décollage pour Noël ; à 16h50, L’enfant de Noël. Dimanche 8 novembre à 13h30, Amoureuse à Noël ; à 15h15, La ballerine de Noël ; à 17h, Miss Noël. Pour connaître la programmation des semaines suivantes, consulter le site de encore de programme spécifique sur ArteSi une programmation spéciale Noël sera aussi prévue sur Arte, en revanche, elle n’est pas encore arrêtée, nous précise la chaîne, mais devrait l’être très prochainement ». À retrouver sur le site d’ aussi des films sur Netflix ou au cinémaEt si vraiment vous un fan inconditionnel, vous pourrez également trouver d’autres fictions de Noël sur les plateformes de VOD ou au cinéma, notamment avec Les Tuche 4, dont la sortie est prévue le 9 décembre dans les salles obscures sauf ajustements en raison de la crise sanitaire.Netflix de son côté propose cinq films inédits Holidate, le 28 octobre. Jingle Jangle un Noël enchanté, le 13 novembre. La princesse de Chicago 2, le 19 novembre. Noël sur la place, le 22 novembre, avec en vedette la chanteuse Dolly Parton. Les chroniques de Noël, deuxième partie, le 25 novembre. Avec un tel programme, vous voilà servis !Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Actu dans l’espace Mon Actu . En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites. See other formats This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project to make the world's books discoverable online. It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that 's often difficult to discover. 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You can search through the full text of this book on the web at http //books . google . corn/ A propos de ce livre Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en ligne. Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression "appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont trop souvent difficilement accessibles au public. Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. Consignes d'utilisation Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. 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Descendants of Henry Brig-lit, jr., who died at Water- town,Mass., in i686,are entitled to hold scholarships in Harvard Collège, established in 1880 under the will of JONATHAN BROWN BRIGHT of Waltham, Mass., with one half the income of this Legacy. Such descendants failing, other persons are eligible to the scholarships. The will requires that this announcement shall be made fn every book added to the Lîbrary nderjts provisions. Received cSj Y J^^^ I ^/f. r •• 'f>U ' UNJK FÊTE DE NOËL JACQUES CARTIER ERNEST MYRAND QUEBEC IMPRIMERIE DE DEMERS & FRÈRE 30, Rue de la Fabrique 1888 h '3 6- \ \ Enregistré conformément à l'acte du Parlement du Canada, en l'année mil huit cent quatre-vingt-huit, par Ernest Myrand, au bureau du ministre de l'Agriculture, à Ottawa. PRÉFACE Il y a quelques années, le bibliothécaire de Tlnstitut Canadien de Québec, donnant son rapport à rassem- blée générale des membres de cette institution litté- raire, faisait cfette déclaration remarquable " Vous me permettrez, messieurs, d'exprimer un regret ; les *' dix-neuf vingtièmes au moins des 7,000 volumes qui ont circulé ** parmi nos membres durant l'année qui vient de finir 1879-80, ** sont des ouvrages de littérature légère. C'est un véritable *' événement lorsque quelqu'un demande un livre sérieux. Nous " comptons pourtant sur nos rayons un beau choix d'ouvrages ** sur les sciences exactes, l'histoire, la philosophie, la morale, *' mais presque personne ne vient secouer la poussière qui s'y " accumule. La lecture des meilleurs ouvrages de fantaisie ne '* sert qu'à délasser l'esprit, elle ne saurait ni nourrir l'intelli- " gence, ni former le cœur ; c'est une simple récréation dont il ** ne faut pas abuser." Quatre ans plus tard, le bibliothécaire en exercice de la même institution confirmait le diagnostic du mal signalé par son prédécesseur. ** Dans le cours de la présente année, disait-il, 1883-1884, *' la circulation db nos livres s'est élevée à plus de 8,130 volumes. " Parmi ces nouveaux livres &e trouvent un certain nombre ** d'ouvrages sur les sciences, et, si l'on en juge par la vogue " qu'ils ont obtenue, on ne saurait trop engager le bureau de " direction à augmenter la partie scientifique de notre biblio- *' thèque quia été fort négliejée jusqu'aujourd'hui. Malheureuse- *' ment, la circulation de nos livres fait voir que le goût des ** romans n'est que trop prononcé et le meilleur moyen de com- " battre la propagation de ces lectures, pour le moins frivoles, " serait d'offrir à nos membres des ouvrages scientifiques qui les *' instruisent et les intéressent. N'est-ce pas là la mission de *' notre Institut, mêler *' l'utile à l'agréable." 4 PRÉFACE De cet état de choses,alarmaiit pour certains esprits pessimistes plutôt que sérieux, un fait consolant se dégage, La statistique prouve, avec éclat, que la jeunesse de notre ville lit. Qu'elle lise un peu légère- ment, cela peut s'avouer sans trop d'alarmes ; qu'elle puisse mieuK lire, cela ne compromettra personne de soutenir cet avis, un peu naïf, comme toutes les vérités découvertes par La Palisse. Le . mieux est toujours et partout possible. Le point essentiel existe la jeunesse de Québec lit ; elle aime passionnément à lire, et chez elle ce délassement intellectuel prime de très haut dans le choix restreint de ses amusements et de ses plaisirs. L'essentiel est obtenu, que l'essen- tiel demeure. Seulement, comme les gourmands, et les gourmets, la jeunesse préfère le dessert aux entrées du repas, la friandise et le bonbon à la soupe et au bifteck. Je connais plusieurs vieux de cet avis-là. Le moyen de faire goûter à la soupe et manger le rôti ne serait pas, à mon sens,' de retrancher absolument le dessert, mais plutôt de servir une soupe excellente, un rôti parfait. Ce procédé d'art culinaire a été merveilleusement appliqué aux tables de lecture par les vulgari- sateurs modernes de la science dans des œuvres essentiellement littéraires. Ainsi, pour n'en nommer que deux célèbres, Jules Verne et Camille Flamma- rion se sont bien gardés de proscrire ou d'anathé- matiser le Roman. Loin de là ; c'est à la faveur, au prestige, à l'influence bien exploitée de ce tout puis- sant, qu'ils doivent la meilleure part de leurs succès. Ça été la suprême habileté de ces bons courtisans de flatter de la sorte le Maître Souverain de notre littérature contemporaine et, avec lui, l'innombrable PRÉFACE 5 légion de ses fidèles adorateurs. Car, de quelque nom que les passions contraires le signalent, qu'on Tidolâtre comme un fétiche, ou qu'on l'exècre et le fuie comme un épouvantail, il n'y a que les maladroits qui osent rencontrer de front la popularité irrésistible de l'ennemi, popularité qui saisit, écrase, emporte et jette à l'abîme l'imprudent contradicteur. On ne détrône pas impunément un tel monarque, et mieux vaut, pour Terinem^ entrer en éclaireur qu'en guérilla dans son royaume. Jules Verne, Flammarion n'auraient pas réussi à faire accepter leurs ouvrages par une telle univer- salité de lecteurs si leurs cours scientifiques, déguisés en romans, n'eussent revêtu l'éclatante livrée, parlé le langage charmeur, confessé le dogme infaillible de l'Imagination, cette vérité éternelle de l'éternel Roman. * * * J'en appelle au plus froid critique, le Tour du Monde en Quatre-vingt jours eût-il jamais valu à son auteur fortune et renommée, si Verne l'eût intitulé simplement Géographie Universelle ? De même, son fameux roman-trilogie Enfants du capitaine Grant, Vhtgt mille lieues sous les mers. Vile mystérieuse^ aurait-il jamais eu chez les liseurs cet inouï succès de vogue, si l'éditeur eût sévèrement publié une Histoire Naturelle en trois volumes } Et le Voyage au centre de la Terre, n'est-il rien autre chose qu'un admirable et merveilleux Cours de Physique et de Géologie ? Essayez d'écouler, à la faveur de ce dernier titre, un millier seulement de copies exactes du 6 PRÉFACE même ouvrage, et vous m'en viendrez dire des nouvelles. Aussi Jules Verne, ce lecteur sérieux popularisant chez les liseurs de romans les notions premières des sciences positives et les données mathématiques des arts, se garde bien de prévenir, voire même d'éveiller, au cours du récit merveilleux, l'attention de son public. Public dangereux s'il en fut jamais, exces- sivement difficile à retenir et à fixer, public capri- cieux, changeant, mobile à l'extrême, s'abattant sur le livré nouveau avec la pétulance gourmande d'une volée de moineaux, s'enlevant de même à grands bruits d'ailes et de cris colères, sitôt que l'un des rongeurs s'est écrié " livre d'études ! " L'auteur n'approche qu'avec une prudence ex- trême ce volage et farouche lecteur. Comme aux petits enfants que l'on veut guérir, il ne dit pas " Voiti le remède ; " mais, câlinement " Qui veut du bonbon ? Tout aussitôt le lecteur mord à l'amorce, se prend à l'hameçon et se noierait au bout de la ligne plutôt que de lâcher l'appas. A travers l'intrigue du récit, comme avec un filet à mailles inextri- cables, l'auteur amène doucement, doucement, mais sûrement aussi, le lecteur frivole à sa barque, c'est-à-dire, à son avis. Jules Verne éblouit, captive, capture son lecteur avec de l'éclat de style, tout comme l'autre, le pêcheur de poissons, amorce sa clientèle avec des moîiches à corselet d'or et à plumes rouges. Un tel lecteur une fois pris ne lui échappe . . . qu'au dernier chapitre. Et encore le reprendra-t-il infailliblement à son prochain roman scientifique. Pareils ouvrages instruisent leurs lecteurs qu'ils PRÉFACE 7 amusent, et Texcellence de leurs résultats est par trop évidente pour être signalée. Passe- Par tout ^ NemOy le Capitaine Granty sont de véritables profes- seurs de géographie, d'histoire naturelle, de physique, déguisés, grimés convenablement en héros de romans. L'intrigue même du récit n'est le plus souvent qu'une thèse scientifique, exposée, développée, - soutenue, établie au cours d'une aventure imaginaire autant qu'originale et racontée en un très beau style, qui fleurit, comme un jardin de rhétorique, les plaines arides du chiffre et les solitudes austères où les savants de toutes les langues parlent le mot exact du théorème et de l'équation. Il est souvent advenu qu'un lecteur frivole, alléché par la description brillante mais précise d'un ntonu- ment, d'une ville, d'un pays, intéressé par le détail inédit, mais toujours exact, des religions, des gou- vernements, des langues, des mœurs, des costumes, des industries, des arts professés par les peuples de latitudes différentes, s'en est allé compléter en même temps que vérifier, dans les ouvrages classiques de la science, les connaissances acquises à la lecture de Jules Verne. Ses romans auront fait alors, mieux et plus vite que les pédagogues et leurs sermons, un lecteur sérieux d'un lecteur frivole et reconquis à l'amour du savoir une intelligence perdue de roma- nesque et d'aventure. Alors, dans les bibliothèques publiques comme au foyer de la famille, les livres sérieux occuperont une place d'honneur et de préséance, la seule d'ailleurs qu'ils doivent tenir dans la demeure d'un homme instruit. Alors ce ne sera plus, pour parler avec à propos le langage excellent du rapporteur de l'Institut Canadien de Québec, ce ne sera plus un 8 PRÉFACE véritable événement quand quelqu*un demandera au conservateur d'une bibliothèque publique Tusage d'un livre sérieux. * * Ce que Jules Verne a tenté avec un éclatant succès pour l'enseignement populaire de la géographie uni- verselle ; ce que Flammarion réalise avec un triomphe égal en faveur des connaissances astronomiques ; ce qu'enfin la Bibliothèque des Merveilles poursuit, en vulgarisant dans les foules les sciences exactes et les arts, je crois devoir aujourd'hui l'essayer en faveur des archives de notre Histoire du Canada. ce que nous avons appris de force au collège, que savons-nous de l'Histoire du Canada } Combien d'entre nous ont eu la bravoure de compléter les notions rudimentaires des Abrégés suivis en classe, par la lecture entière de Ferland ou de Garneau ? Quels rares étudiants, les érudits de l'avenir, sont allés vérifier après coup, dans les archives nationales, les données mêmes de l'histoire, ont remonté le cours des faits et retrouvé les sources, analysé ces eaux de vérité où les auteurs disaient avoir puisé la science, de crainte que le Mensonge ne les eut empoisonnées d'infâmes calomnies } Et cependant, ce né sont pas les pré- cieuses, uniques, originales, qui manquent à Québec. L'inestimable bibliothèque de l'Université Laval, vaut, elle seule, en trésors archéologiques toutes les collections particulières ou publiques du pays. Le travail archéologique se réduit maintenant à la peine de lire. PRÉFACE , 9 En eftet, les chercheurs bibliophiles de notre Histoire du Canada, Faribault, Jacques Viger, Laver- dière, Holmes, Papineau, Sir Lafontaine, parmi les morts, les abbés Bois, Raymond Casgrain, Tanguay, Verrault, Messieurs Joseph Charles Taché, Douglas Brymner, Benjamin Suite, James Lemoine, parmi les vivants, ont taillé toute la besogne, parachevé la tâche avant même que nous, jeunes gens, fussions sortis du collège. Le vénérable doyen de notre littérature canadienne- française, l'Honorable M. Chauveau, a publié, dans son Introduction aux Jugements et Délibérations du Conseil Souverain de la Nouvelle France^ une nomenclature aussi complète qu'intéressante des principales archives relevées au pays depuis quarante ans, et çn particulier dans la province de Québec. Hélas ! les archives de notre histoire, nos belles et glorieuses archives, imprimées sur papier de luxe avec du caractère antique, reliées à grands frais, tranchées d'or ou de carmin, continuent aujourd'hui, sur les rayons de nos bibliothèques publiques, le sommeil de mort qu'elles dormaient autrefois dans la poussière des greniers ou l'humi- dité des caves, alors qu'elles étaient seulement de vieux manuscrits, des parchemins raccornis, des bouquins noirs et luisants, livrés à la merci des ménagères qui les utilisaient à allumer le feu. ^ Une poussière d'oubli, froide et silencieuse comme la neige, tombe sur elles, tombe encore, tombe tou- 1. Je me rappelle que ce fut dans le fond d'une boite à bois que Ton découvrit un des volumes du Journal des Jésuites, le seul qui ait échappé au même usage. L'autre ou les autres volumes ont eu l'honneur de grille» les poulets ou mêler leurs cendres 10 PRÉFACE jours, les recouvre, les ensevelît sous l'épaisseur téné- breuse d'un linceul et menace de les cacher à jamais aux regards des hommes, de les faire disparaître, comme des cadavres de voyageurs morts de froid, sous l'uniforme niveau, l'égalité fatale de la steppe. Et cependant quel labeur colossal, quels argents, quelles éludes n'ont-elles pas coûté aux bibliophiles, aux chroniqueurs, aux archéologues, aux historiens qui ont eu l'héroïque courage, la patriotique vaillance de publier, en éditions d'honneur, les manuscrits originaux, les annales primitives de la Colonie ! Par contre, combien apparaissent mesquins, désespérants, ironiques, misérablement petits, les résultats obtenus comparés à l'effort gigantesque apporté au parachève- ment d'une aussi monumentale entreprise ! Nos archives nationales ! Elles ont cependant porté bonheur aux littérateurs de la génération précédente. Elles ont porté bonheur au regretté Louis P. Tur- cotte, le vaillant auteur du Canada sous P Union vénérables aux tisons moins historiques d'une bûche d'érable ou d'un rondin de merisier ! Pour atténuer, sinon excuser, notre criminelle incurie, il con- vient d'ajouter qu'en France aussi bien qu'au Canada, les archéo- logues se plaignent amèrement de ces désastreuses négligences. Ecoutez ce qu'en dit un archiviste célèbre *' Que de précieux documents ont allumé la pipe d'un goujat ! ^' Que de nobles parchemins, au bas desquels était la signature '* d'un roi, ont couvert les pots de conserves de femmes de " préfets, bonnes ménagères qui les faisaient prendre dans les *' greniers de la préfecture Je n'en dis pas davantage et je ^' ne nomme personne ; il n'est pas besoin d'autres exemples que " ceux auxquels je fais allusion, et que je connais, pour montrer *' que les parchemins qui ont servi à faire des gargousses, et par '' cela même, à faire de l'histoire nouvelle, n'ont pas eu la ** destinée la plus triste." Pierre Margry. Découvertes Fra/nçaiseSy 40 et 41. PRÉFACÉ U 1841-1867, au romancier Joseph Marmotte, qui leur doit François de Bieiiville, son meilleur ouvrage ; eUes ont porté bonheur à notre érudit compatriote canadien anglais Williani Kirby, Tauteur du roman fameux L£ Chien d'Or, merveilleuse légende cana- dienne française que les écrivains de la Province de Québec ont laissé échapper de leur répertoire. . - faute d'études archéologiques. * * ♦ Ce procédé, qui donne à l'histoire le coloris de la légende et l'intrigue du roman, n'est pas neuf le Cinq Mars d'Alfred de Vigny en est un frappant exemple. Son autre célèbre ouvrage, Stello, n'est rien que la trilogie biographique des poètes Gilbert, Chatterton et André Chénier. Mais, dans cette litté- rature apparemment légère par le titre et le méca- nisme des moyens, quel butin de connaissances et de souvenirs historiques ! Ce procédé, les nouvellistes de notre littérature canadienne française l'ont employé avec un succès relativement considérable et de vogue et d'argent. L'Histoire du Canada en a retiré un étonnant profit de vulgarisation. Les compositions de Marmette, de DeGaspé, de Bourassa, de Kirby, de Leprohon, de John Lespérance,. lui ont valu un peu de cette popularité que l'on envie, à juste titre, aux œuvres artistiques, scientifiquement littéraires de Jules Verne, Arthur Mangin, Camille Flammarion et autres lettrés, partisans déguisés des sciences exactes auprès de la jeunesse frivole qui passe en badinant à travers un cours d'études. 12 PRÉFACE Pour combien d'intelligentes et spirituelles lectrices la grande et martiale figure de Louis de Buade, comte de Frontenac fût demeurée aussi inconnue qu'étrangère sans la lecture de Bienville? C'estun por- trait coloré, si l'on veut, mais un portrait vivant, un portrait historique, saisissant de vérité photographi- que, lumineux de gloire comme l'époque à laquelle il appartient. Combien encore, sans lé roman-feuilleton du même auteur — \ Intendant Bigot, — combien,dis-je,des 14,000 abonnés du défunt Opinion Puôliçuen' auraiient jamais lu le savant, exact' et patriotique récit de la première bataille des plaines d'Abraham ? Et cette autre description magistrale, merveilleu- sement empoignante de la Revanche du 1 3 septembre 1759, la victoire du 28 avril 1760, gagnée dans les champs de la vieille paroisse de Notre-Dame de Foye, sous les remparts mêmes de Québec, avec son point stratégique légendaire, l'immortel moulin Dumont ; où l'avons-nous lue, nous les jeunes? — Chez Garneau, Ferland,Laverdière ? — Non pas ; mais dans Les Anciens Canadiefts de cet octogénaire littérateur Philippe Aubert de Gaspé, publiés en feuilleton dans la Revtie Canadienne de 1860. Notre premier cours d'Histoire du Canada s'est donc fait dans un roman très canadien-français, et, disons-le à la gloire de son incontestable mérite, très historique, absolument historique. * * * Dans Les Plaideurs de Racine, Petit Jean expo- sant son cas, dit, au troisième acte de la comédie *' k que je scay le mieux, c^est mon commencement'. Ça, mes lecteurs,la main sur la conscience,en pouvons- PRÉFACE 13 nous dire autant de notre Histoire du Canada ? Pour être aussi vrais que sincères ne conviendrait-il pas de renverser ce vers-proverbe et de confesser en toute humilité de cœur et d'esprit, ** Ce que je scay le moins, c'est mon commencement ? Et cependant, combien Ton sait d'autres choses ! Oserai-je dire de préférence ? J'ai connu, quelque part, dans un séminaire classi- que, un écolier, véritable bourreau de travail, qui vous défilait toute la série chronologique des anciens rois de l'Egypte, de Mesraïm 2,200 ans avant Jésus- Christ, à Néchâo, sans oublier un seul Pharaon ! Sa prodigieuse mémoire sefaisait un jeu derépéter ce tour de force pour chacune des nomenclatures royales des vieux empires de Syrie, d'Assyrie, de Perse, de Macé- doine, toutes étiquetées par ordre de millésimes. Or, ce bachelier virtuose, cette vivante encyclopédie ne savait même pas l'humble succession, la liste brus- quement interrompue, de nos Vice-Rois, Lieutenants- Généraux, Gouverneurs, Grands Maîtres des Eaux et Forêts, Administrateurs, etc., etc., alors que notre patrie se nommait Nouvelle-France, en Géographie comme en Histoire. Chacun son goût ; mais, au mien, j'aime mieux savoir le rôle d'équi- page de la flottille de Jacques Cartier allant à la découverte du Canada, que les noms et prénoms des Argonautes partis avec Jason, à la conquête de la Toison d'Or. — Que vous servira, en définitive, de connaître que Nemrod fonda Babylone ; Cécrops, Athènes ; Eurotas, Sparte; Salomon, Palmyre ; si vou? ne savez pas que Samuel de Champlain fonda Québec ; Laviplette, Trois-Rivières ; De Maison- neuve, Montréal ; De Tracy, Sorel ; Frontenac, 14 PRÉFACE Kingston ; De la Motte-Cadillac, Détroit ; De la Galissonnière, Ogdensburg ; De Contrecœur, Pitts- burg ; D'Iberville, Mobile ; De Bienville, la Nouvelle- Orléans ? Saint Ignace ne dirait-il pas avec un meil- leur à-propos Quid prodest ? • Il était donc rigoureusement logique, pour qui voulait populariser les archives canadiennes-fran- çaises, de commencer ce travail de vulgarisation suivant Tordre des dates. Or, la Relation du Second Voyage de Jacques Cartier est sans contredit notre premier document historique puisque Ton y raconte la découverte du Canada. Il était difficile, le lecteur en conviendra, d'étudier un document authentique à la fois plus précieux et plus vénérable d'antiquité. Moi;i travail ne sera donc, à proprement parler, que la paraphrase* littéraire du Second Voyage de Jacqties Cartier, ^ Œuvre d'imagination, dira-t-on, bagatelle ! Œuvre d'imagination si l'on veut, composition fantaisiste où cependant la folle du lo^is n'est qu'une esclave de la vérité historique. A ce point, qu'elle accepte les noms de personnes, les mots anciens de la géogra- phie, et consent à suivre les événements, les faits, les circonstances dans leur ordre. Elle ne les combine pas, elle les regarde ; elle se promène au milieu d'eux, les interroge, les critique, les admire, à la manière d'un voyageur intelligent, d'un connaisseur artiste étudiant les curiosités d'un musée ou les monuments d'une ville étrangère. Le travail d' Une Fête de Noël sous Jacques Cartier se compose d'une série de tableaux historiques peints sur nature, de vues exactes prises sur le terrain, photographiées à la fayeur de la lumière que peuvent concentrer à cette distance, sept demi-siècles les meilleurs instruments des archivistes et des archéologues. , PRÉFACE 15 Aussi le public instruit qui jugera P épreuve sera-t- il d*autant plus sévère pour Touvrier, qu'il se trouvera toujours en mesure de comparer la copie à l'original. Car, la raison essentielle de ce travail étant de faire CONNAITRE ET LIRE NOS ARCHIVES, j'annote le récit littéraire du texte de la relation primitive, i non pas tant pour démontrer, par la vérité des événe- ments, la vraisemblance de la fantaisie, que pour multiplier aux lecteurs les occasions de lire ce brief récit et succincte narration de la navigation faicte ^^ ^535-3^ P^^ ^^ capitaine Jacques Cartier aux îles de Canada^ Hochela^a, Sagîunay et autres 2 Occa- sion rare et précieuse, s'il en fut jamais, exception- nelle bonne fortune de pouvoir déguster, comme un fruit d'exquise saveur, ce beau français du i6ième siècle, un français vieux, ou plutôt jeune comme l'âge de Rabelais et de Montaigne, exhalant en parfum la fraîcheur étemelle de l'esprit. Forcément, l'attention des plus légers liseurs s'ar- rêtera sur ces passages empruntés à l'original unique — imprimés à dessein avec d'anciens caractères typo- graphiques, — extraits bizarres, étranges comme un grimoire, où l'orthographe primitive des mots, le suranné des expressions, le latinisme des tournures de phrases, donnent^ un cachet de haute valeur archéologique. 1 Je me suis servi pour mon travail de la ^* Réimpression figurée de l'édition originale rarissime de 1545 avec les vari antes des manuscrit? de la bibliothèque impériale. "—Paris — Librairie Tross — 1863. — J'aiaussi consulté Fédition canadienne des Vo ya- ges de Jacques Cartier publiée en 1843 sous les auspices de la Société Littéraire et Historiqfie de Québec- 2 D'Avezac. Introduction historique à la Relation du Second "Voyage de Jacques Cartier, page xvj. 16 PRÉFACE Et de même que la lecture des romans de Jules Verne a développé le goût des études scientifiques, de même \2. paraphrase littéraire d'un document archéo- logique éveillera-t-elle peut-être, chez plusieurs jeunes gens instruits, Tidée de consulter nos archives, de les lire, et de se prendre, eux aussi, à leur savante et fascinante étude. Ce sera du même coup développer chez les lettrés le goût de l'histoire par excellence, celle de notre pays. Tout le travail archéologique proprement dit est terminé maintenant, les manuscrits déchiffrés, copiés, coUationnés, imprimés, se rangent aujourd'hui en beaux volumes sur les rayons de toutes nos biblio- thèques. Il n'y a plus qu'à ouvrir le livre ... et à lire ! Et on ne lirait pas 1 Je ne puis croire à cet excès d'indifférence ou de paresse ! * " Prendre par l'imagination ceux-là qui ne veulent pas de bon gré se livrer a l'étude," tel est l'objet entier de ce livre. Encore l'imagination de celui qui invente à con- ditions pareilles aux miennes se trouve-t-elle, avec un semblable cavenas, terriblement réduite, affreuse- ment bridée, dans le champ même de ses évolutions, le terrain par excellence de ses manœuvres, la description. Son action restreinte demeure étroite- ment liée aux causeries d'équipages que défraient un petit nombre de circonstances inconnues, mais vrai- semblables, aussi rares et aussi vulgaires cependant que les événements quotidiens, traversant la mono- tonie d'un long et triste hivernage. Qui plus est, ces PRÉFACE 17 causeries de matelots ge rattachent à très peu de sujets ; sujets difficiles que rimagination ne trouve qu*en évoquant la vérité de sentiments intenses, vivaces, je le veux bien admettre, mais aussi, com- muns à tous les hommes sentiments de regrets amers, d'angoisses lancinantes, d'illusions éblouies, croisées presqu'aussitôt de désespoirs extrêmes, tous sentiments personnels à ces Français, acteurs d'une héroïque aventure, encore plus rongés de nostalgie que de scorbut. Aussi, ai-je cru devoir introduire, dès le départ de l'action, un interprète qui l'accompagne à travers l'intrigue, jusqu'à la fin du récit. Cet interprète n'est pas mis là uniquement pour tfaduire les pensées ou les sentiments des principaux rôles, la seule clarté du langage devant suffire à cela, mais pour compléter chez le lecteur la connaissance historique de ces mêmes personnages, de l'époque et du pays où ils ont vécu, de leurs travaux, de leurs œuvres. Pour créer le type de ce personnage je n'ai eu qu'à me souvenir. Car j'ai connu, intimement connu, dans ma vie d'écolier, au Séminaire de Québec, Monsieur l'abbé Charles Honoré Laverdière, l'érudit archéologue, l'éminent prêtre historien ; et nul autre que lui ne m'a semblé plus apte à remplir vaillamment ce premier rôle. J'ai dit interprète, j'aurais mieux fait d'écrire coryphée ; car mon cicérone fantaisiste lui correspond et lui ressemble étonnamment. Avec cette différence ^ toutefois que le coryphée des tragédies grecques donne la réplique aux ajteurs en scène, cause, discute, approuve, censure, pleure, se lamente, s'inquiète, se réjouit, se glorifie, s'exalte avec eux ; tandis que, dans le cas actuel, notre Men- 2 18 PRÉFACE tor donne la réplique à l'auditoire, c'est-à-dire, aux lecteurs du livre. Il cause avec eux, discute, approuve, condamne les idées, les sentiments, les espérances, les désespoirs, les ambitions, les étonne- ments, les rêves des compagnons de Jacques Cartier. Il profite conséquemment de l'occasion continuelle- ment présente de donner à ses auditeurs un Cours quasi complet d'Histoire du Canada. Un nom d'homme ou de ville, une parole, une action, une place, un monument, cités aux dialogues, ou men- tionnés dans la partie descriptive de l'ouvrage, sont pour lui autant dé raisons de prendre la parole. Ajoutez encore, comme prétextes de causerie, les analogies d'événements ou de circonstances, les coïn- cidences heureuses ou bizarres, les antithèses sur- prenantes d'une vie toute semée d'aventures singu- lières, les parallèles glorieux, ou les fâcheux con- trastes providentiellement établis entre les hommes et leur vocation, et vous aurez autant d'à-propos, autant d'excuses, pour ce cor>''phée historique, de reprendre la parole, de la garder plus longtemps même que les personnages en scène, sa qualité de cicérone officiel lui permettant d'être prolixe, voire même bavard, sans trop d'inconvénient pour l'auteur du livre, qui cause à sa place. Et de même que, dans les chœurs de la tragédie antique, le coryphée parlait quelquefois au nom de la foule, de même Laverdière parlera, de sa voix claire et forte, au nom de l'Histoire du Canada. Cet/ homme autorisé en sera l'interprète accompli, et sa parole sera si vraie, si juste, que chacun, en l'écou- tant, croira entendre un écho de ses propres pensées. PRÉFACE 19 Et sî le lecteur constate une divergence, ou plus, une contradiction entre Laverdière, prononçant le jugement de la postérité, etUopinion publique actuelle- ment reçue, quelques heures de sage réflexion ne tarderont pas à lui faire reconnaître et accepter la sentence du prêtre historien. Car Laverdière ne teiçiverse jamais et jamais n'hésite entre Topinion que Ton a et l'opinion que Ton devrait avoir sur tel homme, telle époque ou tel événement historique. * * * C'est donc au milieu d'un groupe de matelots que Laverdière se présente. Les hardis malouins^ les audacieux Bretons, compagnons de la fortune et de la gloire de Jacques Cartier apparaissent ; au lieu d'une troupe de comédiens, c'est l'équipage d'une marine française qui donne à bord de trois vaisseaux, je ne dirai pas le premier acte, mais la première scène de cet immortel drame historique joué au Canada par la France Catholique Royale, pendant trois siècles consécutifs, et sans chute de rideau. Laverdière n'est que le coryphée du spectacle conséquemment il lui appartient, et, comme toutes les opiinions que je luî prête, la critique qu'il en peut faire est réversible, et les lecteurs de ce livre ont le droit de l'applaudir OH de le siffler. Un rôle d'équipage pour canevas ! J'avoue la déses- pérante aridité de mon sujet ; maïs la logique de mon raisonnement autant que le but de mon travail m'empêchent de choisir. D'autre part, le mot Noël^ pour qui le médite profondément, nous ouvre tout un horizon sur l'histoire canadienne-française. Ce 20 PRÉFACE \rteux cri de joie gauloise portera-t-il bonheur à cet essai littéraire ? Mes espérances veulent répondre oui ; mais je me souviens à temps que TAvenir seul a la parole. D'ailleurs, étant donné l'ingratitude et le fardeau d'unç pareille étude, je n'en estimerai mon succès que meilleur, si toutefois le succès .... arrive. , S'il arrive ! Eh ! viendra-t-il jamais } Franchement j'aimerais mieux attendre la Justice. Cette redou- table Boiteuse tarde souvent jusqu'au soir de la vie ; elle est lente, si lente quelquefois que les méchants, que les coupables, les impunis de tous les forfaits comme les heureux de tous les crimes, finissent par croire qu'il existe pour elle une vieillesse €t qu'elle pourrait' bien mourir avant eux. Mais Elle vient à son heure, toujours avant la fin, jamais trop tard. Le Succès, lui, n'est pas tenu d'arriver. Voilà ce* qui inquiète. A tout événement, l'on me tiendra peut-être compte de n'avoir pas apporté à Tappui de ma thèse un exemple facile ou de labeur ou d'imagination. Ernest Myrand. Québec, 25 décembre 1887. ECOLE NORMALE-LAVAL Québec, 4 avril 1S87. L'Honorable G. OuiMET. Surintendant de T Instruction Publique- MoNsiEuit LE Surintendant, J'ai entendu lire Touvrage de Monsieur Ernest Myrand, Une fête de Nûvl soiis Jacques Cartier. L'im- preasion qui m*est restée de cette lecture est des plus favorables. Au point de vue religieux, il ne m'a paru y avoir absolument rien à reprendre ; au contraire, tout y est édifiant, moral, rempli de cette foi naïve et ardente qui animait nos pieux ancêtres Bretons et ao^ nands. Au point de vue historiq^ue ce travail ne mérite que des éloges. L*auteur, pénétre de respect et d*affec- tion pour les vénérables monuments de notre histoire a pris pour base de son récit nos plus anciennes annales^ et a voulu rassurer et satisfaire les lecteurs sceptiques ou incrédules en mettant toujours en note le texte primitif des documents sur lesquels il s'appuie. Cet ouvrage, qui a dû coûter à son auteur beau- coup de recherches, me paraît propre à faire aimer notre histoire et à faire étudier nos vieilles archives, mine précieuse qui git depuis si longtemps dans la poussière de Toubli et qui renferme encore tant de richesses inexplorées. Chaque fois que Toccasion s*eii est présentée, le brillant écrivain a travaillé à grouper 22 CRITIQUE habilement une foule de faits historiques, à les lier en faisceaux et à en former comme un gerbe de lumière propre à éclairer la marche et à soulager la mémoire de l'étudiant ; la vérité est partout respectée et l'on s'instruit en s'amusant à une aine lecture. C'est un bon moyen, je crois, de vulgariser l'his- toire consignée dans nos archives canadiennes, comme Jules Verne a vulgarisé la science, en la présentant sous une forme. attrayante et à la portée de tous les esprits. Tout Canadien aimera à lire Uiie fête de Noël sous Jacqtas Cartier et en retirera, sans aucun doute, de grands avantages. Le style de cet ouvrage m'a paru élégant, facile, plein de chaleur et de mouvement, propre à en assurer le succès dans toutes les classes de la société. Veuillez agréer. Monsieur le Surintendant, l'hom- mage de mon sincère et respectueux dévouement. L. N. Bégin, Ptre. ARGUMENT ANALYTIQUE, PROLOGUE W CAUSEUR d' AUTREFOIS. Le 24 Décembre 1885, à Québec, Tauteur d'Une Fête de Noël scms Jcuiques CbrfCcr rencontre, sur la Grande Allée^ le personnage ' de Laverdière. — La conversation s'engage et l'archéologue en profite pour donner libre essor aux souvenirs historiques de sa puissante mémoire. — Ce que lui rappelaient en particulier le chifi&e i/rois^ le nombre treiae et la journée du vendredi, — Quelle ville regardait Laverdière. -Carillons de Noël. — Une cloche absente. — Pourquoi la foule accourait à Notre-Dame. I LA KBF-oÉNÉRALE " Grande Hermine,*' Laverdière propose à son compagnon de route d'entrer à l'église et le transporte, à 350 ans de distance, au minuit du 25 Décembre 1535. — La Forêt de Donnacona. — ^Ancienne topographie historique. — Oe qu'on peut voir dans un profil de rivière. — Les trois vaisseaux de Jacques Cartier. — Une chambre de batterie dans La Grande Hermine, — Office divin Dom Guillaume Le Breton, le premier des aumôniers de Jacques Cartier pontifie en présence du Capitaine Découvreur, des officiers de la flottille et de tout le personnel valide des trois équipages. — Etude sur les noms inscrits au rôle d'équipage. — Le décor de la Nef -Généraie. — Les trois voilures des navires identifiées par Laverdière. — Notre-Dame de Boc-Amadour. — Adeste fidèles, — ^A quoi pensaient les compagnons de Jacques Cartier. — Foi ardente du Découvreur. CHAPITRE II LA CARAVELLE ** Petite Hermine,'' Un vaisseau-hôpitaL — Les scorbutiques de la flottille. — Bom Anthoine. — Le récit d'Yvon LeGal. — Les prières de la Nativité. 24 ARGUMENT ANALYTIQUE — Ce que chante la liturgie Catholique dans la Province de Hymnes d'église; leurs paraphrases Les sonneries de la Petite Hermine. CHAPITRE ni LA GALioTB '* EméHUon" Les deux promeneurs quittent le vaisseau-hôpital, jettent un coup d'œil sur le Fort Jacques Cartier, et se rendent à l'embou- chure du ruisseau Saint- MicheL — lis y découvrent VMmérillon enlizé dans la neige. — Le cadavre du premier scorbutique, Philippe Rougemont, a été déposé à bord de la galiote. Eustache Grossiu, compagnon marinier, Guillaume Séquart et Jehan Duvert, charpentiers de navire, font auprès du cercueil de leur camarade la veillée des morts. — ^Causeries des matelots. — Que deviendra Stadaconé ? La bourgade sera-t-elle grande ville ? Et la montagne, comme le rocher de Saint-Malo, aura-t-elle une ceinture de remparts crénelés, des murailles, des tours, une citadelle pour diadème ? — La mémoire de Jacques Cartier sera-t-elle immortelle ?— Adieux à Rougemont. — Les dernières prières. CHAPITRE IV UN NOËL BRETON. Réflexions de Laverdière''sur les NoëU de la Nouvelle-France. — Ce que les gars de Saint-Malo pensaient des aurores boréales. — Qui les aurait bien expliquées. — La bûche de Noël — Feu de joie. — Invocations de Jacques Cartier. EPILOGUE. Comment s'en alla Laverdière. — Et ce qu'il advint des trois vaisseaux de Jacques Cartier. TTi^rE FÊTE DE NOËL JACQUES CARTIER. CHAPITRE PREMIER PHOLOQUB. UN CAUSEUR D'AUTREFOIS, Vun de vos amis, me disait Laverdîère, quelque littérateur à imagination brillante, écrira sans doute merveilles sur " Québec en Van 2,000.'' Que prouvera son succès ? Pour l'avoir traité avec un éclatant mérite^ ce sujet en demeurera-t-il moins léger, capri- cieux, fantaisiste ? Il me rappelle, par sa facilité d'éxécutiorij ces dentelles amusantes, ces broderies au crochet, que l'on peut, à loisir, commencer, conti- nuer, abandonner, reprendre ou terminer sans comp* ter les mailles ou les points, ni même regarder aux dessins du patron. C'est le genre préféré des talents faciles et pares- seux. Pas d'études pour ceux-là, pas de recherches 26 UN CAUSEUR D* AUTREFOIS ardues, pas de contraintes historiques ou d'obstacles d^archéologie ; il leur suffit de s'abandonner à la dérive, à la grâce du ^tyle et de l'imagination, au fil de la plume .... le fil de l'eau, l'aval de la rivière. Bt le tour est fait. Mais, pour les vaillants du travail intellectuel, pour les archivistes, les chroniqueurs, les historiens, pour ceux-là qui remontent les rapides à la perchcy refoulent les courants à coups d'aviron, font les portages longs et pénibles, reprennent enfin les explorations d'avant-garde hardiment risquées par les pionniers de la civilisation chrétienne, sur une route encore lumineuse, après trois cents ans, du passage de la gloire catholique française, — pour ceux- là, ce n'est pas le Québec chimérique et fantaisiste du vingtième i^jècle qu'ils cherchent, mais le Québec des âges héroïques, celui du 31 Décembre 1775, ou celui du 13 Septembre 1759 ; le Québec provo- quant et fier du 16 Octobre 1690, ou le Québec affolé des nuits d'Octobre 1 660 ; le Québec puritain du 20 Juillet 1629, avec le drapeau anglais flottant aux tourelles du Château St. Louis, ou le Kébec fondé du 3 Juillet 1608, le Kébecq de Samuel de Champlain, ou bien encore, ou bien enfin le Stada- coné de Donnacona, la sauvage et primitive capitale d'un royaume barbare, la bourgade algonquine, Famasde cabanes indiennes blotties, comme des pous- sins, sous une aile d'oiseau, ^ le Canada 2 que Jac- 1. '* Suivant M. Ilicber Laflëche, ancien missionnaire révè- *' que actuel du diocèse des Trois-Bivières Stadaconé dans la *' langue des Sauteurs signifie aile, La pointe de Québec res- *' semble par sa forme à une aile d'oiseau." Ferland, Histoire du Canada, Tome 1er, pi^e 90. 2. *' Ils les sauvages appellent une ville *' Cœnada,** Voyage de Jacques Cartier 15S5-36, verso du feuillet 48. UN CAUSEUR d'autrefois 27 ques Cartier, Timmortel découvreur de notre beau pays, aperçut, au matin du 14 septembre 1535, à sept demi-siècles de notre époque. Ces retours au passé historique du Canada ne sont pas seulement un plaisir de l'esprit, un exercice de la mémoire, une satisfaction d'orgueil national, ils demeurent encore la préoccupation continue des âmes grandes, des cœurs bien nés, placés dans la poitrine à la hauteur des faveurs reçues, et* qui se font un devoir sacré, une religion sévère de leur souvenir ; dans la crainte que les aïeux, que les ancêtres ne soient hélas ! peur Tavenir, contraints ëe compléter la mesure de leurs inestimables bienfaits en en pardonnant l'ingratitude. Cétait le maître-ès-arts, Charles Honoré Laver- dière qui me parlait ainsi, à Québec, la nuit du ving^- quatre Décembre, mil-huit-cent-quatre-vingt-cinq. Il pouvait être onze heures et demie du soir ; consé- quemment, pour parler le langage moderne, le style rapide du chemin de fer, nous n'étions plus qu'à trente minutes de Noël ; — ^trente minutes, un temps égal à la distance qui nous séparait tous deux de la ville où nous allions rentrer. Aussi fallait-il marcher très vite pour arriver à Notre-Dame au temps de la Messe de Minuit. Car nous étions encore loin, très loin même sur la route, la Grande Allée^ la rue fashionable par excellence du quartier à la mode de notre actuelle cité, l'an- tique chemin du Cap Rouge, trois fois centenaire comme la mémoire de Jacques Cartier. L'incompa- rable beauté de la nuit, le besoin d*être seul, de penser librement, longuement, l'idée et la raison d'un livre m'avaient engagé à refaire une fois de plus, et certes sans regrets, la fascinante promenade du Belvédère. 28 UN CAUSEUR d'autrefois Or, Laverdière était mort le 1 1 mars 1873. Rien, comme la date précise de son décès et le quantième de son enterrement, n'était plus facile' à relever dans les registres de l'état civil. Je dis bien aux registres de l'état civil, car, dans la chapelle du Séminaire des Mis- sions Etrangères \ où le saint prêtre dormait enterré depuis douze ans, il n^ avait point de mausolée, de marbre funéraire, pas même une épitaphe gravée à son nom, qui rappelât à la mémoire distraite des vivants ce mort enseveli sous le parvis du sanctuaire. En cela, il n'était pas plus maltraité par l'ingratitude des hommes que son frère illustre d'études et de sacer- doce, Jean-Baptiste Antoine Ferland, couché, aussi lui, quelque part sous le chœur de Notre-Dame de Québec, moins oublié même que Messieurs de Fron- tenac, de Callières, de Vaudreuil, de la Jonquière 2, quatre des plus fameux gouverneurs de notre Canada 1. Nous avons pris habitude d'appeler 'Séminaire de Québec, le Séminaire des Missions Etrangères à Québec. 2. Ce fut en septembre 1796, que les cendres du comte de Frontenac, du chevalier de Callières, du marquis de Vaudreuil et du marquis de la Jonquière, furent transportées de T Eglise incendiée des Récollets à la Cathédrale de Québec. *' On agita l'idée d'élever dans la cathédrale un modeste ** marbre funéraire à chacun de ces grands noms et de ces grands *' chefs de notre race. La chose fut mise à l'étude, et ce, bel et ^* si bien, que quatre-vingt trois ans après la translation de ces *' ossemente tout est encore à faire ! Frontenac, Callières Vau- " dreuil, la Jonquière dorment dans la ville qui a été le siège *' dç leur gouvernement sans avoir même une épitaphe pour *' rappeler aux vivants où ils sont, et ce qu'ils étaient ! Il est ** vrai que Champlain, le fondateur de notre ville, n'a pas encore " de monument et que le chevalier de Mésy, autre gouverneur ** de la Nouvelle France, git ignoré dans le cimetière des pau- " vres de THôtel-Dieu de Québec ! " Faucher de Saint-Maurice — Belatûytb des Fouilles faites au Collège des Jésuites^ page 11. UN CAUSEUR d'autrefois 29 Français, obscurément enfouis à la Basilique, sous je ne sais plus quelle chapelle latérale i. En vérité j'aurais dû me rappeler que Laverdière était mort, et mort depuis douze ans, quand son fantôme m'adressa la parole, la nuit de Noël, 1S85, Quels motifs occultes, quelles raisons majeures, quelles urgences surnaturelles amenaient donc sur ma route ce revenant d'outre- tombe ? Pourquoi, comment, et depuis quand Laverdière était-il là ? Encore aujour- d'hui ma mémoire ne donne à ces questions rétros- pectives que de flottantes et tardives réponses. Par contre, ce dont je me souviens parfaitement est qu'il m'apparut si brusquement et me reconnut si vite, que, dans la joie première de notre mutuelle surprise, cette pensée de lui demiinder d'où il venait me manqua absolument 1. Très probablement la chapelle Notre Dame de Piti^, Zi^Hlsfoire du CanMa par Smith, publiée à Québec en 1815, nous a conservé \m inscriptiona gravées sur ]ea cercueils de ces quatre Gijuvemeurs de la Nouvelle France. Les voiei ! L M. i>E Fron^i ENAc — ** Cy gyt lo Haut et Puissant Seigneur Louis de Buade, Comte de Frontenac, Gouverneur Général de la Nouvelle France, mort à Québec, le 28 Novembre 1698. " IL M. DE Calïjèresj. — Cj gyst Haut et Puissant Seigneur Hector de Cal lier es, Clievdi^ir de Saint -Louis, Gouverneur et LieutenAnt Général do la Nouvelle France » décédé le 26 MailTOa" III. M, DE VAunKiiuiL. — Cy giat haut et puissant Seigneur Mtîssire Philippe Rtgaud, Marquis de Yaudreuil, Grand Croûc de Tordre militaire de Saint Louis, Gauvenieur et Lieutenant Général de toute la Nouvelle Franeçî, décédé le dixième octobre 1725/' IV. M. DE LA JoKQUiÈRE.™** Cy repose le corps de Measire Jacques Pierre de Taffanell, Marquis de la Jonquifere, Barou de CaBtelnau, Seigneur de Hardarsmagnaa et autres lieux, Comman- deur de Tordre royal et militaire de Saint Louis, Chef d'Escadre des années Navales, Gouverneur et Lieutenant Général pour le Roy eu toute la Nouvelle France, terres et paaaes de la Louisiane, Décédé à Québec le 17 May 1752, à six heures et demie du soir, âgé do 67 ans." 30 UN CAUSEUR d'autrefois Ce mot joie en étonnera plusieurs. Et cependant, je le dis sans vantardise, l'idée même d'avoir peur ne me vint pas, non par excès de courage, mais pour cette autre raison non moins singulière et rare que j'oubliai de me rappeler .... que Laverdière était mort ! Je n'ai pas encore eu de pire distraction. La présence quotidienne de sa photographie, la lecture de ses œuvres, l'habitude constante de les étudier, une discussion historique toute récente, où Ton avait longtemps et bien parlé ,de lui, m'avaient sans doute, et à mon insu, préparé doucement à cette rencontre, terrifiante à tous égards, mais qui, dans l'état actuel de mon esprit, me parut alors aussi naturelle que fortuite. Comme les organes corporels, les facultés de l'âme ont leurs torpeurs ; torpeurs partielles et temporaires, si l'on veut, de la capricieuse mémoire, mais suffisantes cependant, et de mesure à expliquer autant qu'à produire ce bizarre phénomène cérébral. Rien de fantastique d'ailleurs ne trahissait la pré- sence du revenant chez le prêtre archéologue ni le vêtement flottant sur la charpente du squelette, ni la démarche solennelle de silence glacial ou de sinistre gravité, ni l'accent sépulcral de la voix creuse, ni la pâleur jaunâtre du visage. Le vent ne faisait pas osciller son fantôme et les lumières oranges du gaz, ou les rayons bleu-acier des lampes électriques n'en traversaient pas le spectre à la "manière du jour pénétrant une vitre, mais projetaient, au contraire, sur la blancheur immaculée de la neige, l'ombre in- tense de son corps palpable. Devinez d'où je viens ? me dit-iL Je lui avouai que je ne devinais pas du tout. UN CAUSEUR d'autrefois ^t Je suis allé à Sillery, voir le monument que les citoyens de cette localité ont élevé à la mémoire du fondateur de leur paroisse ^ et au premier mission- naire 2 de la Nouvelle- France. ^ Puis Laverdière me raconta le détail attachant de cette découverte historique dont il avait partagé l'honneur avec son frère d'études et de sacerdoce^ Fabbé Raymond Casgrain. De celle-ci il passa à une autre, puis à une autre, et de cette autre à une quatrième, toujours en remon^ tant à travers les dates, — de Brûlart de Sillery, Com- mandeur de l'Ordre de Malte, au Chevalier de St. Jean de Jérusalem Charles Huault de Mont- magny ; — de Montmagny, à Brasdefer de Chasteau- fort ^ ; — de Chasteaufort, à Samuel de Champlain ; de Champlain, à M. de De Monts ; — de M. De Monts, à M. De Chates ; — de M. de Chates, à Chauvin ; — de Chauvin, au Marquis de la Roche ; — duMarquisde laRoche, à Roberval ; — de Roberval, à Jacques Cartier ; — de Jacques Cartier, au florentin Jean Verazzano. Aux clartés rayonnantes de cette intelligence d'élite, ces grands personnages de T Histoire Cana- dienne Primitive apparaissaient comme des acteurs 1. Noël Brûlart de Sillery, fondateur de la résidence de Saint Joseph. Il a donné son nom à la paroisse actuelle de Sillery. 2 Ennemond Massé, premier missionnaire jésuite au Canada. 3. Ce fut à son voyage de 1524, que Jean Verazzano, floren- tin au service de François 1er, prit possession du Canada au nom du Roi et lui donna, le premier, le nom de Nouvelle France, — Belation abrégée de ^nielques missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la ifouvelU France par Bressani — annotée par le Përe Martin. — Appendice, page 295. 4. Marc Antoine Brasdefer de Chasteaufort, administrateur jusqu'au 11 Juin 1636. 32 UN CAUSEUR D^AUTREFOIS rentrés tout à coup en scène et jouant, sur le théâtre même de leurs fameux exploits, les premiers rôles comme les premiers actes de notre héroïque épopée. Seulement, ils avaient tous la voix, Tharmonieuse voix de Laverdière ; ce qui, selon moi, ne gâtait en rien Tjcxpression de leurs sentiments les plus nobles et de leurs plus fières pensées. Contraste étonnant ! Plus l'événement était vieux, plus il s'en allait à la dérive, au recul de cet irrésis- tible entraînement que nous appelons le passé — rirrévocable Passé — et mieux la vaillante mémoire de Tarchéologue historien l'arrêtait dans sa fuite loin- taine, le fixait éclatant de sa propre lumière,, le rajeu- nissait d'actualité, le sculptait enfin en reliefs inou- bliables sur l'épaisseur de ses propres ténèbres. Laverdière s'arrêtait longuement, avec une com- plaisance d'artiste, à regarder ainsi passer devant lui les plus humbles figurants de notre belle patrie. Il les faisait à plaisir défiler sous mon regard en une procession interminable. Ce ne sont que des figurants, me disait-il, mais mon cher, quels figurants ! Que serait devenue sans eux l'action même des premiers rôles ? Qui l'aurait appuyée dans l'histoire, non pas cinq actes durant, comme au théâtre, mais pendant toute une vie d'homme ? Qui l'aurait maintenue cent cinquante ans, solennelle et dramatique, au prix de silencieux et pénibles travaux, d'obéissances obscures, fidèles, passives ? Vous méprisez les figurants ! De toute évidence vous avez le préjugé des auditoires modernes et vous croyez que les applaudissements frénétiques, les ovations délirantes valent mieux, pour le succès d'une pièce, que le travail caché des machinistes ou UN CAUSEUR d'autrefois 33 la voix discrète du souffleur. Rappelez-vous, ami, qu'icî, au Canada, nous avons donné une tragédie devant une salle vide, sans auditoire, c'est-à-dire sans témoins. Nous avons joué pour Tart, comme nous nous sommes battus pour la gloire, à la fran- çaise. Une bonne manière, croyez-m'en ! N'en cher- chez pas de meilleure. Donc, pour l'Histoire qui n'assistait pas à cette représentation dramatique, il faut nommer tous les personnages en scène, figurants comme premiers rôles. Aussi ne me parlait-il pas de Jacques Cartier, hiaîs des compagnons de Jacques Cartier ; et, sans une seule hésitation des lèvres ou de la mémoire, il me récitait, avec la volubilité du petit écolier qui apprend par cœur seulement, les soixante-quatorze noms de marins inscrits à St Malo, sur le rôle d'équipage, le trente-unième jour de Mars 1535. Il ne me disait rien de Samuel Champlain, mais causait avec un attachant intérêt d'Etienne Brûlé, de Champigny, de Nicolas Marsolet, de Rouen, le petit rai de Tadotissac, de Jean Nicollet, de François Mar- guerie, de Jean Godefroy, de Normanville, de Jacques Hertel, de Fécamp, de Jean Amyot, de Guillaume Cousture, tous interprètes du Fondateur de Québec, 1 et qui lui avaient rendu l'inestimable service d'appren- dre pour lui la lettre et l'esprit des langues sauvages. A quoi bon, dîsait-il, vous parler de Jacques Cartier, de Samuel Champlain ? Vous en savez suffisamment pour garder à leur mémoire un culte d'étemelle reconnaissance. Mais leurs obscurs compagnons d'armes et de vaisseaux, leurs frères de courages 1. Benjamin Suite Histoire des Canadiens-Français — Tome 1er, page 149. Ferland Histoire du Canada — Tome 1er. page 275. 3 84 UN CAUSEUR d'autrefois surhumains et d'héroïques misères ne méritent-ils pas, eux, Taumône d'un souvenir ? Croiriez-vous par exemple, que les missionnaires Jésuites aient seuls en ce pays donné des martyrs au Christ ? Ignorance coupable qui ne rend pas justice à tous les témoins du Divin Maître ! Ce n*est pas amoindrir la gloire immortelle de Brébeuf, de Lalemant,de Jogues, que d'en faire une part à Hébert, à Antoine de la Meslée, à Louys Guimont, à Pierre Rencontre, à Mathurin Franchetot, ^ cinq paysans, cinq confesseurs de la Foi, cinq apôtres, qui Lui donnèrent le témoignage du sang. Cette terre vail- lante du Canada favorise ceux qui l'aiment, et par- tage, entre les missionnaires qui Tévangélisent et les laboureurs qui l'ensemencent, l'honneur éternel du sacerdoce et le triomphe suprême du martyre ! Dites-moi, ami, croiriez-vous échapper à une accu- sation méritée d'ingratitude en vous rappelant seule- ment que Dollard des Ormeaux, le héros de Mont- réal, sauva la Nouvelle France en 1 660 ? Dollard ne mourut pas seul ils étaient dix-sept à la tâche glorieuse ; nous sommes aujourd'hui un million de Canadiens-Français pour nous en souve- nir. Dix-sept ! un chiffre jeune, tous des noms de jeunes gens, faciles à retenir pour des mémoires jeunes aussi, vivaces et sympathiques. Avec un peu de cœur cela devient aisé comme un jeu de l'esprit. Voyez plutôt Adam Dollard, sieur des Ormeaux, le chef de l'expédition, Jacques Brassier, l'armurier Jean Ta- vernier dit La Hochetière, le serrurier Nicolas Tille- mont, Laurent Hébert dit LaRivière, le chaufournier 1. Relations des Jésuites — année 1661 — pages 35 et 36. UN CAUSEUR d'autrefois 35 Alonîé de Lestres, Nicolas Josselin, Robert Jurée, Jacques Boisseau dit Cognac, Louis Martin, Christo- phe Augier, Etienne Robin, Jean Valets, René Dous- sin, Jean Lecompte, Simon Grenet, François Crusson dit Pilote \ Dites, m'avez-vous suivi ? Avez-vous compté ? J'ai bien mes dix-sept ? J'oubliai de lui répondre tant j'étais absorbé par la pensée accablante de ce qu'il avait fallu de temps, de travail ferme et de patient courage pour amener la Mémoire, cette grande Rebelle de l'intelligence, à trn aussi merveilleux degré de souplesse et de doci- lité. Et devant ce miracle d'inflexible énergie, il me venait aux yeux, en regardant Laverdière, cette comparaison formidable du belluaire s enfermant avec le tigre qu'il va dompter, qui barre la porte de la cage pour mieux enlever toute issue aux défaillances de la chair, rendre humainement impossibles la fuite ou le secours extérieur, compléter sciemment l'immense péril pour contraindre son cœur à ramas- ser tout son courage, préoccuper l'âme à ce point que la pensée même de la peur ne lui vienne pas au suprême élan du combat Laverdière continua En justice pour tous les héros de cette expédition fameuse, il convient d'ajou- ter à l'immortel Palmare de notre histoire le nom de l'algonquin Metiwemeg et celui du huron Anahotaha. Car le courage est une vertu humaine universelle qui ne se reconnaît pas seulement à la couleur d'un sang ou à la nationalité d'un drapeau ! Laverdière dit encore Je devrais ajouter, pour 1. Leurs noms, recueillis par M. Souart, curé de Ville-Marie, furent insérés, avant la fin de l'année 1660, au registre mortuaire de la paroisse, le seul monument qui nous les ait conservés. 36 UN CAUSEUR d'autrefois être complet, les noms de Nicolas du Val, Mathurîn Soulard et Blaîse Juillet, trois autres frères d'armes de DoUard qui périrent au début de Texpédition. Uétrange mémoire que la mienne ! remarqua le maître-ès-arts en se frappant le front. Ce n'est pas Torthographe bizarre des mots ou leurs consonnances singulières qui la frappent, mais l'agencement, le nombre des chiffres. Ainsi, dans le cas présent, ce n'est point l'originalité de ce nom de famille Biaise Juillet qui l'émeut, l'impressionne, l'éveille, mais l'hiéroglyphe même, le profil serpenté du chiffre troisy 3, un chiffre vivant pour moi, qui se tord et se dénoue, qui remue, ondoie, frissonne, quand on le regarde fixement, comme les anneaux d'un reptile. Vous ne sauriez imaginer quel essaim de souve- nirs agréables cette pensée du chiffre trois fait lever dans mon intelligence. D'où provient ce phénomène } Je n'en sais rien. La raison comme le secret s'en rattachent peut-être à une très lointaine habitude de ma jeunesse. J'avais extrême plaisir à chanter des chansons de marche. Vous savez les belles chansons de St. Joachim et vous vous rappelez sans doute avec quels élans de voix et de gaieté les disaient eux-mêmes, à l'âge d'or des vacances, Ernest Audette et Patrice Doherty. 1 Quand c'était mon tour je chantais tout le temps, et au couplet et au refrain. Or, vous avez dû remar- quer, et cela comme malgré vous, combien de fois Iç 1. Prêtres du Séminaire de Québec. Le dernier, Patrice Doherty, spirituel au superlatif, toujours gai et d'une amabilité inaltérable, était le boute-en-train de toutes les fêtes, l'àme de tous les plaisirs, la meilleure application du vers immortel du poëte Eia. age^ nunc aalta, non ita musa diu ! L'abbé Doherty a certes bien fait d'écouter Virgile, il est mort à 34 ans ! UN CAUSEUR d'aUTREEOIS 37 chiffre trois entre en scène si je puis m'exprimer ainsi dans Taction ou le décor de nos chansons de marche. Ainsi par exemple " M*en revenant de la Vendée, " Dans mon chemin j'ai rencontré ** Trois cavaliers fort bien montés. " Voilà pour le couplet. *• J'ai vu le loup, le renard, le liivre, •* J'ai vu le loup, le renard passer. " Voilà pour le refrain. Trois personnages encore ! Autre exemple " Mon père a fait bâtir maison, " L'a fait bâtir à trois pignons ** Sont trois charpentiers qui la font. C'est le premier couplet du fameux " Va, va^ va, p^tit bonnet'tCy zrand bonnet-te ! Le cinquième couplet demande " Que portes-tu dans ton jupon f Et le sixième couplet, son premier serre-file, lui répond tout de suite •* C'est un pâté de trois pigeons I Trois ! toujours trois, le chiffre fatidique ! Et que me direz-vous des Trois p'tits tambours revenant de la guerre ? Une célèbre celle-là ! Et l'immortelle En roulant ma boule, roulant ? Derrière chez nous est im étang En roulant ma boule, Trois beaux canards s'en vont baignant ! Toutes leurs plumes s'en vont au vent ! Trois dames s'en vont les ramassant ! 88 UN CAUSEUR d'autrefois Ailleurs, c*est la petite Jeanneton allant à la fon- taine, polir emplir son cruchon ** Par ici-t-il y passe trois chevaliers-barons l Ailleurs encore, à St. Malo, beau port de mer ** Trois beaux navires sont arrives ** Charges d'avoine, chargés de blé. i ** Trois dames s'en vont les marchander. " Marchand, marchand, combien ton blé ? " Trois francs l'avoine, six francs le blé ! Enfin, pour en finir avec le délicieux Noël cana- dien-français '^ D'où viens-tu^ bergère^' je vous rappelle son dernier couplet " Y a trois petits anges ** Descendus du ciel, " Chantant les louanges " Du Père Eternel ! Ces chansons-là ont bercé le sommeil! de ma première enfance, ma bonne, mon heureuse et sainte enfance de petit paysan, réjoui la jeunesse de ma vie d^écolier. Et l'on s'étonne après cela que la figure arabe du chiffre trois me soit restée présente aux yeux du corps et de l'esprit, comme un visage aimé de camarade, que les dates historiques où sa combinaison se rencontre demeurent ineffaçablement gravées dans ma mémoire, ou que ce nombre m'aide à grouper les personnages aussi bien que les événe- ments d'une époque ! A preuve ce fut le 3 Août 1492 que Christophe Colomb partit de Palos, en Espagne, et s'en alla découvrir le Nouveau Monde. Ce fut aussi le 3 Juillet 1534 que Jacques Cartier aperçut, pour la première fois, la terre du Canada, et que ses vaisseaux entré- UN CAUSEUR d'autrefois 39 I rent dans la Baîe de Gaspé. 1 Et de même que trois caravelles la Santa Maria^ la Pinta^ la Nina avaient découvert le Nouveau Monde, de même trois navires, la Grande Hermine, le CourlieUy VEmérillon du hardi capitaine Jacques Cartier découvrirent le Canada. Et lorsque Jacques Cartier, eut reconnu cet immense con- tinent, notre pays lui-même était divisé en trois royau- mes sauvages, le Sagtienay, le Canada, VHockela^a. Les premiers missionnaires du Canada étaient au nombre de trois, les prêtres-récollets Jean Dolbeau, Denis Jamay, Joseph LeCaron qui mourut du cha- grin de ne pouvoir reprendre ses travaux apostoli- ques au Canada redevenu français. 2 Ce fut le trois Juillet 1 608 que Samuel de Champlain fonda Québec, et ce fut le 23 Mars 1633 qu'il partit de Dieppe pour recouvrer la colonie rendue à la couronne de Louis XIII par le traité de St. Germain en Laye. Ce furent encore trois vaisseaux, le Saint Pierre, le Saint Jean, le Don de Dieu ^ , qui ramenèrent Cham- plain et reconquirent à la France Québec, aujourd'hui îrrémissiblement perdu pour elle! Et ce fut le 23 Mai 1633 qu^ I3, flottille mouilla devant la ville. Que voulez-vous, me dit en riant Laverdière, repre- nant haleine, que voulez-vous, j'ai la passion du nombre trois ! et je parierais sur lui tout l'argent que Ton perd, soit aux tables de jeux soit à la rou- lette. D'autres ont le culte du chiffre sept. Leur religion vaut la mienne, et vous savez comme moi qu'affaires de goût, de modes ou de ridicules ne se 1. Qas^é le nom français du nom sauvage Hongiiedo qui signi- fie le bout de la terre. 2. Le traité de Saint-Germain en Laye qui rendit le Canada à la France, fut signe le 29 mars 1632. 3. Ferland, Histoire du Canada, Tome 1er, page 258. 40 UN CAUSEUR d'autrefois discutent pas ! ' On les choisit seulement J'ai les miens. D'autre part, je vous avouerai, sans fausse honte, que, de mon vivant, j'avais la superstition du nombre 1 3 excessivement développée dans l'imaginative. Cela m'étonne ! En vérité ? Vous le seriez davantage, si je vous en donnais la raison historique ! Historique ? Ecoutez, j'en appelle à vos souvenirs d'études. Ce fut le 26 deux fois treize, ce fut le 26 Juillet 1758 que Louisbourg capitula. Ce fut le 13 Juillet 1759, vers les deux heures du matin, que commença le bombardement de Québec. Ce fut le 1 3 Septem- bre 1759 que se livra la première bataille des Plaines d'Abraham. Qui l'a perdue ? Le 13 Septembre 1759 fut mortellement blessé le vail- lant marquis de Montcalm. Avec qui et pour qui tombait Montcalm } Ce fut par le treizième article du Traité de Paris, signé le 10 Février 1763, que le roi Louis XV, de déshonorante mémoire, céda hon- teusement le Canada Français et son immense terri- toire à Georges III d'Angleterre. Rappelez-vous que la Révolution de 1837 fit monter treize canadiens français à l'échafaud 1. Je pourrais, continua Laverdière, multiplier les exemples je ne vous donne que les plus cruels et les plus frappants, afin qu'ils restent mieux en 1. Colborne fit juger les prisonniers rebelles par une cour martiale ; 89 furent condamnés à mort, 47 à la déportation, et tous leurs biens furent confisqués. Treize condamnés, le Cheva- lier de Lorimier à leur tête, périrent sur l'échafaud. Ces mesures sévères furent fortement bllûnées en Ansfleterre, même par des personnages puissants, entre autres par le duc de Wellington. Laverdière Histoire du Ckmada^ page 221. UK CAUSEUR d'autrefois 41 mémoire. Remarquez, s'il vous plait, que cette fata- lité du chiffre treize est universelle, qu'elle ne suit pas telle et telle race, ou ne s'attache pas à tel et tel peuple en particulier. Ainsi, comme nous au Canada, les Anglais ont eu leurs dates historiques néfastes, frappées au même chiffre. Ce fut le 13 Juillet 175s que l'héroïque vaincu de la Mononga- héla, le brave général Braddock, mourut de ses bles- sures 1. Ce fut le 13 Septembre 1759 que leur plus grand héros, James Wolfe, expira dans les bras de la Victoire. Ce fut le 13 juillet 1632 que Thomas Kertk remit 1' ''Abitatim de Kébecf et le Château St Louis entre les mains d'Emery de Caën et du sieur DuPlessis Bochart, les lieutenants de Samuel Cham- plaîn. Le même jour, la garnison anglaise reprenait la mer et le chemin de la Grande Bretagne. Croyez- moi, le Treize est une mauvaise carte ; nous autres, Canadiens-Français, l'avons eue à la dernière main, et voilà pourquoi nous avons perdu la partie, la ter- rible partie jouée sur le tapis vert du champ de bataille. Je lui dis en riant Vous avez la haine du chiffre 13, j'en conclus logiquement que vous avez la peur du vendredi. Ces deux superstitions se complètent ; leurs croyances ne forment qu'un dogme, comme leurs mutuelles et mauvaises influences se confon- dent et se fortifient. Le cas historique de M. de Montcalm en offre' un saisissant exemple ; il est blessé à mort un treize^ il expire un vendredi^ et on l'enterre un vendredi. Connaissez-vous rien de plus lamen- table en matière de fatalité } Aussi, pour moi, c'est 1. Braddook avait eu cinq chevaux tues sous lui pendant l'action. 42 UN CAUSEUR d'autrefois la meilleure des raisons comme la plus excellente des excuses de vous savoir de mon avis .... sur ce point. Que me chantez-vous là, interrompit Laverdière ? Auriez-vous peur du vendredi par hasard ? Vous m'étonnez ! Je lui renvoyai mot à mot sa réponse de tout à rheure En vérité ! , Vous le seriez bien davantage si je vous en donnais les raisons historiques. Historiques ? Allons donc ! Je vous écoute tout de même. Frontenac, le plus illustre de nos gouverneurs, mourut un vendredi, le 28 novembre 1698. Mont- calm, le plus brave de nos généraux mourut, un vendredi, le 14 septembre 1759 ; le premier jour du bombarbement de Québec était un vendredi, le 13 Juillet 1759, vous m'avez donné cette date-là vous-même, il n*y a qu'un instant ; les Acadiens furent enlevés à Grand Pré le 5 septembre 1755, un vendredi ; toujours un vendredi, le 5 août 1689, eut lieu répouvantable massacre de Lachine, une héca- tombe humaine, une boucherie si horrible, que l'anéantissement successif des bourgades huronnes, et nos batailles perdues les plus sanglantes ne sont que de pâles échaufFourées comparés à ce féroce , coup de main de la Barbarie Indienne. L'histoire de la Nouvelle-France est encore rouge de ces tueries abominables de nos ancêtres blancs par les sauva- ges ; 1646, 1647, 1648, 1649, 1650, 1651, 1652. 1653, 1654, 1656, 1660,1 sont autant de millésimes 1. 1646. Assassinats du Père Jogues et de Lalande. 1647. Meurtres commis par les Iroquois chez la tribu des Neutres. 1648. 700 personnes massacrées à la Mission St. Joseph. UN CAUSEUR d'autrefois 43 ensanglantés quî se suivent comme les échos rapides, désespérés, de ces voix lamentables, criant " au meurtre ! " par toute la Nouvelle-France, sous le couteau des Iroquoîs. Et, cependant, 1689 seule demeure Tannée terrible, Tannée sinistre par excel- lence. L'année dn massacre, c'est le nom qu'elle portera dans l'histoire. Et c'est un vendredi qui lui a valu tout cela ! Enfin, pour terminer, à votre manière, par un épisode du Règne de la Terreur, ce fut un vendredi, le 15 février 1839, que François Marie Thomas, Chevalier de Lorimier, monta sur Téchafaud ! Je crois donc fermement que ces raisons histo- riques justifient, et amplement, mes préjugés à regard du vendredi. Etes-vous sérieux, me répondit gravement Laverdière, et croyez-vous réellement qu'il y ait des jours heureux ou néfastes, des chiffres talismans, des quantièmes fatals ou des vendredis porte-mal- heurs } Entre ces deux superstitions j'aimerais encore mieux choisir la fatalité du nombre 1 3 que la male-main du Vendredi. 1649. Destruction des bourgades huronnes St. Ignace et St. Louis. Martyres de Brébeuf et de Lalemant. 1650. Première bourgade de la tribu des Neutres enlevée par les Iroquois. 1651. Seconde bourgade de la tribu des Neutres enlevée par les Iroquois. 1652. Assassinats du Gouverneur DuPlessis Bochart et de 15 français. 1653. Attaques iroquoises contre Québec, Trois-Biviëres et Montréal. 1654. Destruction de la Nation des Eriés ou Ghats 1656. Massacre de^ Hurons par les Iroquois, à File d'Orléans. Assassinat du Père Garreau. 1660. Mort héroïque de Dollard des Ormeaux et de ses 17 compîignons martyrs. 44 UN CAUSEUR d'autrefois Vous n'avez donc pas lu Daniel de Foë ; ou la philosophie de son rire vous aurait-elle échappé ? Le spirituel railleur inspire à Robinson Crusoé l'heu- reuse et neuve idée de nommer Vendredi le féroce cannibale qu'il vient de découvrir dans son île- prison de San Juan Fernandez. — Et pourquoi ? En souvenir du jour où Selkirk rencontra ce mori- caud la première fois ? Apparemment, oui ; mais en réalité, nullement. Il poursuivait le persifflage de ces superstitieux incurables, de ces malades imaginaires qui veulent que rien de bon n'arrive un vendredi, et rapportent fatalement à l'influence hostile du ven- dredi toutes les mauvaises rencontres, tous les désas- treux hasards et toutes les Catastrophes lamentables de la vie. Ce sauvage Vendredi est gai comme un Mardi-Gras du carnaval italien, heureux comme Polycrate. Eh ! vraiment ! j'ignore pourquoi il ne le serait pas ! Rappelez-vous que Molière, le plus grand des comiques modernes et futurs probable- ment, avait l'âme triste, que les fossoyeurs chantent toujours, et qu'il n'y a rien comme une farce de croque-mort pour faire rire ! La peur du vendredi ! mais il n'y a que les mau- vais historiens et les mauvais prêtres qui aient cette épouvante-là. Quant à la mort du Christ; vous savez ce qu'il en faut penser vous êtes catholique, moi je suis prêtre. Job blasphéma-t-il, lorsqu'il regretta sur son fumier le jour de sa naissance ? Et l'esclave qui maudirait sa délivrance mériterait-il la liberté ? N'en disons pas davantage sur ce propos. Ce fut un vendredi, le 3 août 1492, que les caravelles du Génois quittèrent Palos et la terre d'Espagne, et ce fut un vendredi, le 12 Octobre UN CAUSEUR d'autrefois 45 1492, que le Nouveau-Monde apparut aux vigies de la Pinta ! Cette découverte fut le plus grand événe- ment de rage moderne. Les siècles à venir n'en produiront jamais un plus fameux ! Ce fut un vendredi, le 28 juillet que la charrue de Louis Hébert, laboura pour la première fois le sol fécond de notre bien-aimée patrie. 1 Après trois siècles de récoltes débordantes et d'exubérantes moissons, la prodigieuse terre du Canada n'est pas encore épuisée que je sache. Dites-moi la date où elle deviendra stérile } Prenez garde, jeune homme, que ce ne soit un vendredi ! Ce fut un vendredi, le 24 avril 161 5, que le Saint-Etienne partit de Honfleur avec Denis Jamay, Jean Dolbeau et Joseph Le Caron, les trois premiers missionnaires du Canada. 1. Le vendredi, lendemain de notre arrivée 27 juillet 1606, '' le Sieur de Poutrincourt affectionné à cette entreprise ** V établissement de Fort Boyal en Acadie comme pour soi- '* même, mit une partie de ses gens en besogne, au labourage et '* culture de la terre, tandis que les autres s'occupaient à nettoyer " les chambres et chacun appareiller ce qui était de son métier. '* Ce coup de charrue est le vrai commencement de la colonie * française en Acadie.'' — Lescakbot. ** Louis Hébert, apothicaire de Paris, avait accompagné Pou- '* trincourt dès 1604, et c'est probablement lui qui dirigea les " travaux d'agriculture dont parle Lescarbot Nous retrou- ** vons Hébert en Acadie et plus tard à Québec, car il fut le ** premier laboureur de ces deux contrées, et les Acadiens comme *' les Canadiens voient en lui le colon fondateur de leurs races." Benjamin Suite Histoire des Ccmadiens-FrcmçaiSf Tome 1er, chapitre III, page 63. Louis Hébert paraît être né à Paris où il avait épousé Marie RoUet. En 1606, il passa à l'Acadie et Lescarbot en parle dans les termes suivants liv. IV ** Poutrincourt fit cultiver on parc de terre pour y semer du blé à l'aide de notre apo- thicaire, Louis Hébert, homme qui, outre l'expérience qu'il a en son art, prend grand plaisir au labourage de la terre." Ferland Notes sur les Registres de Notre-Dame de Québec, page 9 46 UN CAUSEUR d'autrefois Ce fut un vendredi, le 26 juin 1615, que la première messe fut dite à Québec. 1 Ce fut un vendredi, le 6 juin 1659, que François de Montmorency Laval, notre premier évêque, arriva à Québec. Ce fut un vendredi, le 20 octobre 1690, que Frontenac chassa des battures de la Canardière les miliciens de la Nouvelle- Angleterre, et les força de se rembarquer, dans le désordre d'une folle panique, sur les vaisseaux de Tamiral Phips. Ce fut un vendredi, le 13 septembre 1697, que le héros de la Baie d'Hudson, Iberville, enleva le fort Nelson aux Anglais. J'en passe, et des meilleurs. Et pour cause. J'en- tasserais dates sur dates, j'accumulerais éphémérides sur éphémérides, je couvrirais trois fois d'événements heureux, le nombre de vos jours néfastes et de vos quantièmes fatidiques, que je ne prouverais rien du tout, soit à rencontre de votre utopie, soit à l'appuî de la mienne. Etudiez l'histoire du pays et vous trouverez que les actions décisives, politiques ou militaires, les irrémédiables désastres, les catastrophes finales, échappent absolument à la prétendue funeste influence du jour qui nous occupe. La première bataille des Plaines d'Abraham 2 fut livrée xxn jeudi. 1. Il faut excepter les messes dites, pendant l'hivernage des vaisseaux de Jacques Cartier, en 1535-36, par les aumôniers de la flotte, Dom Anthoine et Dom Guillaume Le Breton. 2. *' Le nom biblique que porte cet endroit à jamais célèbre ** n*a qu'un rapport très éloigné avec le père des Hébreux ; illuî ** vient d'un certain Abraham Martin qui possédait autrefois ** une partie de cette étendue de terre. — Abraham Martin, dit '* V Ecossais, pilote, acquit, par donation du 10 Octobre 1648 et " du 1er Février 1652, vingt arpents de terre d'Adrien ** Duchesne, et par concession de la Compagnie de la Nouvelle- *' France, douze autres arpents." Lemoine, AWwm du Toimste, Note E de l'Appendice. UN CAUSHUR d'autrefois ^ Que n'auriez- vous pas dit, superstitieux que vous êtes, si le combat avait eu lieu le lendemain ! Québec capitula un mardi, le 18 septembre 1759; Montréal, un dimanche^ le 7 septembre 1760; le Traité de Paris, qui livrait sans retour le Canada à TAngleterre fut signé unjmdi, le 10 février 1763 ; ce fut encore un dimanclie que Montgomery fut tué en risquant Taudacieux assaut de Québec, le matin du 3 1 décembire 1775, Et reiiqua. Croyez- moi, les jours heureux ressemblent aux pierres blanches qui les marquaient chez les anciens, 1 Apparenriment la Providence laisse tomber les premiers d'une main avare et distraite sur tous les chemins de la vie, comme la Nature sème îes autres avec prodigalité dans le sable de tous les rivages.. On en trouve partout, et chacun peut en ramasser quelques uns. Dieu les abandonne aux recherches avides et à Tespérance éternelle de Thomme. Laverdière eut tout à coup un accès de gaieté, un rire subit, qui sonna clair, comme Técho d'une joie enfantine. Quels grands bébés nous sommes ! s'écria-t-il. Voilà que nous discutons des quantièmes et des vendredis, comme deux vieilles filles qui se disputent sur le plein de la lune ou le saint du calendrier ! Après tout, c*est encore une manière je ne dirai pas la meilleure d'étudier notre histoire du Canada et de rafraîchir notre mémoire à la glorieuse lumière de ses éphémérides ! Nos éphémérides canadiennes-françaises, savez- vous bien qu'il y avait là matière à très bel almanach? C*est un travail que j'avais commencé. Ça, n'en 1. ^^lAlbo notanda lapillo dits ". Odes d*Horace, 48 UN CAUSEUR d'autrefois parlez jamais, je vous le dis en confidence, l'aven- ture a raté, magistralement raté . • , . faute de temps. — Que voulez-vous, ajouta le maître-ès-arts, avec un regret dans la voix, je suis parti si vite. Ton est venu me chercher si brusquement. 1 Qui donc ? lui demandai-je, sans défiance ; et Laverdière me répondit La Mort ! Il souriait doucement comme sa belle voix har- monieuse laissait tomber ce mot terrible, qu'il pro- nonçait avec la tendresse d'un nom ami. La Mort ! Etrange phénomène, ce mot formida- ble, qui eût arraché un léthargique à son sommeil fatal, ne réveilla pas ma mémoire. Et je continuai de marcher sans épouvante à la droite de ce fantôme, croyant toujours à la présence d'un homme vivant. Causant de la sorte, nous arrivâmes à la hauteur de la rue Grande Allée. Il existe à cet endroit précis, un renflement considérable du sol, qui ressemble à méprise,, au profil d'un flot de ressac énorme, prêt à déferler, avec un bruit de tonnerre, sur les terrains vagues de la banlieue et à entraîner, dans son irrésistible élan, toutes les villas des environs. . Une tour Martello 2 basse, grise, ronde comme un phare, monte la garde sur cette élévation de rocher. On dirait une sentinelle que le Gouvernement Impérial a oubliée de relever, quand il rappela ses troupes, au lendemain de la Confédération Cana- dienne. Bien qu'elle appartienne à la stratégie, et 1. M. Tabbé Laverdiëre mourut après 48 heures de maladie seulement. 2. Ce fut en 1808 que furent construites, sous la direction du général Brock, les quatre tours Martello, qui complètent les fortifications sud de Québec. UN CAUSEUR d'autrefois 49 soit une fortification essentiellement militaire, elle en a peu la physionomie menaçante, et conserve, en dépit de son métier et de sa vocation, une ëouce expression de bonhommie, l'air paisible et bourgeois de rhonnête artisan . qu'elle abrite. Pas de soldats sous sa toiture plate et circulaire comme un parasol chinois, point de canons allongeant le cou dans l'embrasure de ses meurtrières soigneusement fermées de volets, comme la fenêtre d'une maison de campa- gne. On dirait un vétéran, un invalide, assis- là, autant pour reposer sa fatigue que pour distraire sa nos- talgie des anciennes batailles, un balafré des âges héroïques s'oubliant à regarder, là-bas dans la plaine, •Wolfe, Montcalm, Lévis, Murray, Arnold ou Mont- gomery passer la revue de leurs historiques régiments. La vue que l'on obtient au sommet du plateau est superbe soit que l'on regarde la ville neuve attifée de sa plus fraîche toilette et l'élégante richesse de son plus fier quartier 1 , soit que l'on s'attarde à contempler, à l'horizon de Ste. Foye, le fascinant panorama de la campagne, la falaise de St. Romuald, les hauteurs de St. David de TAube-Rivière 2, le bois de Spencer Wood, la route de Sillery, les villas de Mont Plaisant, cachées comme des nids, dans la feuillée des bosquets ou la verdure des champs, enfin, la délicieuse vallée de la rivière St. Charles. Comme la ville est changée ! remarqua Laverdière. Vous ne dites pas embellie ? Eh ! monsieur, vous n'êtes pas flatteur ! L'historien esquissa un sourire. — ^Je ne vois pas. 1. Le quartier Montcalm. 2. Aiusi nommé en mémoire du cinquième évêque de Québec, Mgr. François-Louis de Pourroy de TAube-Rivière. 50 UN CAUSEUR d'autrefois dit-il, la même ville que vous regardez. Ainsi, pour ne vous en donner qu'un exemple, je vois la maison du chirurgien Arnoux dans la façade de votre Hôtel- de- Ville ; 1 la résidence de l'aide-major Jean Hugues Péan 2 au lieu et place de la demeure actuelle du paie-maître Forest ; les quartiers-généraux du mar- quis Louis Joseph Montcalm de Saint Véran dans le salon du barbier Williams ; 3 les jardins de Tabbé Vignal, aux Ursulines. ^ Je les vois tous, aussi dis- tinctement que vous-même pouvez regarder encore 1. ''A quelques tnëtres de la maison de Gobert ou Gaubert " s'élève l'Hôtel-de- Ville de Québec, sur le site même où était *' en 1759 la résidence du chirurgien Arnoux. " Album du Touriste par LeMoine, page 16. Depuis la publication de V Album du Touriste, M. LeMoine aurait, parait-il, repris son opinion à ce propos. Il croit mainte- nant que la résidence du chirurgien Arnoux devait être la mai- son actuelle du charretier Campbell, c'est à-dire, les numéros 45 et 47 de la Louis. Laquelle est la meilleure des deux suppositions ? La parole est aux archéologue^. 2.^ Le mari de la fameuse maîtresse de l'Intendant Bigot. Le juge'Emsly occupait en 1815 la maison que ce soldat de. . . , fortune habitait en 1758 ; plus tard, le Gouvernement l'acheta pour en faire une caserne d'officiers. LeMoine Histoire des Fortificatimis et des Rues de Québ^, page 18. 3. La maison du charretier Campbell, Nos 45 et 47, sur la rue St Louis, celle des barbiers-coiffeurs Williams, No 36 sur la même rue Montcalm's Head Quarters^ et la boulangeriq Johnson, sur la rue St Jean en dedans des murs sont actuel- lement les trois plus vieilles maisons françaises antérieures à la conquête encore debout. Elles offrent un triple exemple de ce genre bizarre de toitures pointues, très hautes, percées de lucarnes ouvrant au ras des gouttières, comme des yeux à fleur de tête, et dessinant sur le ciel un profil excessivement aigu. 4. L'abbé Vignal, avant d'être sulpicien, logeait à l'encoi- gnure des rues Parloir et Stadacotia. Il cultivait un terrain qu'il avait défriché et en donnait le produit au soutien du mo- nastère des Ursulines. Plus tard, il quitta l'office de chapelain du cloître pour s'affilier au Séminaire de St. Sulpice. Il fut tué, rôti et mangé par les sauvages à Laprairie de la Magdeleine, vis-à-vis"de Montréal, le 27 octobre 1661. J. M. LeMoine '' Histoire des Fortifications et des rues de Québec," page 18. UN CAUSEUR d'autrefois 61 aujourd'hui la boutique du tonnelier François Gobert, au numéro 'J2 de la rue St Louis. 1 Vous me trouvez bizarre et fantasque de regarder ainsi, dans les rangées parallèles de vos maisons neuves, les bicoques disparues de la vieille capitale française. Les gens de mon espèce sont, rares, je Tavoue ; mais confessez, à votre tour, qu'il s'en retrouve toujours quelques-uns à tous âges et en tous pays. Horace, le classique Horatius Flaccus, les connaissait bien ceux-là, qu'il appelait dans T " Art Poétique " laitdatores temporis acti. Il en est un célèbre qui a passé par votre ville, il n'y a pas dix ans. Auriez-vous, par hasard, oublié lord Dufferîn t Et comprenez-vous pourquoi ce gouverneur fit reconstruire, aux frais del'Etat, les portes militaires du vieux Québec, que la bêtise ignorante de son Conseil Municipal avait rasées? Ce remarquable diplomate était un véritable laudator temporis acti, dans toute la large et noble acception du mot. Je l'admire autant que je l'en félicite. Toutefois, n'ayant pas la richesse et la fortune du vice-roi des Indes, j'en suis réduit à rebâtir, de mémoire et d'imagination, les monuments classiques de votre capitale. Comprenez- vous maintenant aussi pourquoi je regarde, à travers la pierre de vos demeures modernes, les vieilles mai- sons françaises qu'elles ont remplacées } pourquoi les terrains vagues de la cité sont pour moi remplis de chapelles monastiques, de casernes ou de collèges "^ pourquoi, trempé de pluie ou poudré de neige, je reste là, à quelque coin de vos rues historiques, m'exta- siant à voir passer les personnages fameux de 1. On y déposa, le matin du 31 décembre 1775, le cadavre de l'audacieux général Richard Montgomery. ."52 UN CAUSEUR d'autrefois notre épopée canadienne ? Comme les vieillards je m'amuse, ou plutôt mieux, je me console avec mes souvenirs. La mémoire! c'est le regard qui voitlorsque les yeux de la chair s'aveuglent ; la mémoire ! c'est l'oreille qui écoute lorsque la tête devient sourde et pesante ; la mémoire! c'est la voix intérieure, l'incom- parable amie, qui parle, qui cause, qui raconte, à mesure que les bruits de ce monde s'éteignent et meurent, et que le silence, avant-coureur du grand sommeil, envahit l'âme comme une vague irré- sistible. Tout en causant de la sorte, mon étrange interlo- cuteur s'était mis à marcher et moi à le suivre machinalement. Nous avions quitté la rue St-Louis, et nous allions droit devant nous, traversant alors la place du Vieux Marché de la Haute Ville. Ce terrain vague, servant aujourd'hui de poste aux cochers de place et aux camionneurs, est un vaste -carré borné, au nord, par les maisons de la rue La Fabrique, à l'est, par la Basilique Mineure de Notre-Dame ds Québec, au sud, par les maisons de la rue Buade, 1 à l'ouest, par l'emplacement désert du Collège des Jésuites 2 ^servant alors de quartiers- généraux aux tailleurs de pierre du nouveau Palais de Justice. C'est un endroit ouvert à tous les vents, sillonné par une multitude de petits chemins de traverse courant dans toutes les directions,d'un secours inestimable aux affairés de toutes les besognes. En ce moment, les quatre grandes églises parois- siales de la ville, Notre-Dame, St. Jean Baptiste, St. 1. Ainsi nommée en mémoire de Louis de Buade, comte de Frontenac. 2. Le Collège des Jésuites, fondé par le marquis de Gamache, fut bâti en 1637. UN CAUSEUR d'autrefois SS" Roch et St. Sauveur i carillonnèrent à haute voix l'appel de la Messe de Mînuît II pouvait être onze heures et trois quarts. Presqu' aussi tôt le sonneur de la Cathédrale Anglicane se mit à monter et redescendre sans relâche son éternelle gamme en do naturel. Puis soudain, après cinq ou sîx'accords pla- qués de toutes ses cloches, et un silence de plusieurs secondes, il commença lentement à \ov. . . . . > • I . 68 UN CAUSEUR d'autrefois Aussi, spécialement séduite par les promesses de ce Christmas Festival tt le spectacle éclatant de notre faste liturgique, Télite protestante de la cité accou- rait-elle de partout ses quartiers élégants et même de la banlieue. La Banlieue de Québec n'est pas précisément aux confins de la terre, mais s'aperçoit à une honnête distance, en deçà des lignes d'horizon. Aussi, les belles dames des équipages, toutes emmi- touflées de fourrures au fond de leurs traineaux, comme les modestes piétons marchant allègrement le chemin qu'elles suivaient en voiture, de Mont- Plaisant, de l'Avenue des Erables, de Sillery, de Bergerville, voire même de Ste-Foye, auraient con- senti volontiers à ce que la ville se fût trouvée, en cette circonstance, une fois encore plus lointaine, pour mieux contempler la féerique beauté d'une nuit d'hiver canadien. C'était, en effet, goûter un délice de nageur que prolonger ce bain de lumière sidérale pénétrant, à la fois, le corps et l'âme, une lumière divinement pure, divinement rayonnante, vibrant aux yeux avec une telle puissance d'émission que le spectateur ébloui ne savait plus vraiment d'où elle partait du disque argenté de la lune, ou de la neige immaculée. Les toitures, les mansardes, les têtes originales des cheminées estompaient leurs silhouettes bizarres sur la blancheur des rues avec une telle netteté de lignes et de profils, que je croyais regarder, dans la contemplation de ce paysage lunaire, une gravure de Gustave Doré, agrandie au cadre de la Nature. Les ombres du tableau en étaient si intensément noires, si brusquement découpées, tranchées dans la neige, qu'elles me semblaient creuses comme des gaufrurës aussi capricieuses que gigantesques. UN CAUSEUR d'autrefois 69 Dans le firmament bleu — ^un azur de ciel d*ëté — les fumées molles des innombrables cheminées de la ville montaient v^erticales. Parfois, de légers coups de vent, des brises égarées, cherchant leur chemin d'une aile inquiète, couchaient comme des flammes de bougies ces fumées paisibles, quasi immobiles pour l'œil qui les suivait dans Tatmosphère. Alors ces vapeurs chaudes de bois ou de charbons fondus en braises, flottantes comme des buées sur Tair pur et lumineux de la nuit, devenaient panachées, élastiques comme de la vapeur échappée des soupapes d'une locomotive. Et les fumerolles, comme autant de piliers qui se cassent et qui croulent, se brisaient en une infinité de petits nuages floconneux courant à la vitesse du vent, avec des allures d'oiseaux sauvages passant, l'automne, dans les hauteurs du ciel L'atmosphère était à ce point diaphane qu'un spectateur, placé, à cette heure de minuit, au premier kiosque de la Terrasse Frontenac, aurait embrassé, comme en plein jour, le féerique panorama qu'elle commande, et saisi, jusqu'aux lignes les plus lointaines de l'horizon, le majestueux profil des Laurentides, encore nettement accentuées à sept lieues de distance. Aussi toute la ville était dans la rue^ suivant le mot d*une femme célèbre ; tout Québec était dehors, y compris le tout-Québec obligé de tels journalistes encore plus grecs par le métier que par le style. Il aurait d'ailleurs suffi, pour s'en convaincre, de regar- der, sur la rue LaFabrique, le spectacle de cette mul- titude accourue des faubourgs, foule compacte, serrée comme les arbres d'une forêt de sapins, solide, impé- nétrable comme un carré d'infanterie anglaise, et qui marchait sur Téglise avec Tallure provocante de régiments qui vont se battre. 60 UN CAUSEUR d'autrefois Quelk foule 1 remarqua Laverdière avec éton- nement, quelle foule ! Et son regard, large ouvert, se promenait avec stupeur sur cette mer humaine envahissant, à la vitesse du galop d'un cheval, le terrain vague du Vieux Marché, naguère encore désert, silencieux^ endormi comme un cimetière. Et aussi moi je me demandais comment logerait, dans rétroite enceinte de l'église, la prodigieuse multi- tude qui s'engouffrait maintenant sous le portique, avec l'impatiente colère d'une eau courante, longtemps retardée par un barrage, et qui rentre tout à coup dans le creux naturel de son lit. Des portes béantes s'échappait, en bouffées de blanche vapeur, la chaude atmosphère intérieure de l'église. Et de la place du Vieux Marché ^ où nous étions jusque là demeurés, Laverdière et moi, Ton entendait parfaitement jouer l'orgue. Cet écho nous arrivait sans doute par rentrebaillement continu des portes, ou peut-être aussi, de la seule vibration des grandes fenêtres du portail. L'orgue chantait avec joie, avec élan, avec l'enthousiasme contagieux d'un allégro militaire Nouvelle agréable i Un Sauveur Enfani nous est né I C'est dans une étable Qu'il nûu^ est donné 1 Si nous entrions à l'église ? proposa le maître-ès- arts, d'une voix insinuante, A vos ordres^ lui dis-je. Et avec lui je le croyais du moins, j'entrai à Notre*Dame. 1. Goosalter lea gT^vures de Québeo en 1B32. w'^!r'a>r." w^^s^^mwms^^'- CHAPITRE DEUXIÈME LA GRANDE Je renonce à vous peindre ou à comparer l'éton- nement qui me saisit au fermer de la porte. Ce fut une surprise telle qu'elle me pénétra, comme la peur, d'un froid intense. J'eusse été, certes, excusable de m'épouvanterdevant l'inattendu d'un spectacle étrange ait du costé des Nations Iroquoises. H le dit au *' Père qui Taccompagnoit ; lequel luy demandant quelques " narticularitez plus grandes de cette apparition,il ne luy répon- *^ dît autre cliose, sinon que cette croix étoit si grande, qu'il y en '^avoit Aaaez C^^ejplace pour attacher non seulement une per- " Bonne mais tous tant que nous estions en ce pays." Eûlai^i den Jésuites, année 1649, ch. Y, page 17. 'rrvmv'^- LA GRANDE HERMINE 65 France. Et d'imagination, ou plutôt de mémoire historique, je m'amusais à reconstruire ce prophétique labarum, cherchant à deviner quels groupes d'étoiles, constellations ou nébuleuses, ses bras immenses avaient traversés. Comment cette réminiscence, particulière à Jean de Brébeuf, me vint à l'esprit, je ne saurais trop en rendre compte. Elle ne fut, selon moi, que la suite naturelle de la pensée première des Iroquois, laquelle m'était venue au souvenir gracieux de cette fable astronomique expliquant, avec un rare bonheur de poésie, l'origine des Pleïades. Or, rien comme le nom des bourreaux, ne rappelle mieux celui de la victime, alors surtout que le supplicié fut illustre. Cherchez partout, dans l'histoire universelle, au mar- tyrologe de l'Eglise et nommez m'en un plus fameux que ce premier apôtre des Hurons, le plus stoïque confesseur de l'Evangile au Canada, comme le plus fier témoin du courage humain sur la Terre. 1 Je m'arrêtai longtemps à contempler toutes ces étoiles éclatantes Sirius, Rigel, Procyon, Bétel- geuse, Aldebaran, Castor, Pollux, Bellatrix, Altaïr, le delta^ r epsilon et le dzHa d'Orion^ ces Trois Rois Mages que le Christianisme a cru reconnaître dans cette page incomparable du firmament, la plus belle, sans conteste, de l'uranographie. Cette pensée de 1. '* La constance des deux missionnaires Jean de Brébeuf ** efc Gabriel Lalemant — surtout celle de Brébeuf, fut prodi- *' gieuse. H ne donna pas le moindre signe de douleur, et ne fit *' pas entendre la plus légère plainte ; aussi les Sauvages, aussi- ** tôt après sa mort, ouvrirent son cadavre et burent le sang qui *' coula de son cœur. Ils le partagèrent entre les jeunes gens, ** dans ridée, qu'en le mangeant, ils auraient une partie de ce ** grand courage." Bressani Mort du Père Jean de Brébeuf, ch. V, page 256. 5 66 LA GRANDE HERMINE TEpiphanie me ramena, par analogie de circonstance et de synchronisme, à ces nuits de Nocl d'autrefois si radieuseSj où je m'amusais, écolier, à reconnaître, par ces mêmes astres, les constellations dont Us étaient les sentinelles respectives. Sans ta forêt profonde qui m'enveloppait de toutes parts je me serais cru revenu à mon ancien poste d*observation, au promontoire de Québec, sur le plateau même de la cité proprement dite, tant les étoiles me paraissaient occuper une position identi- que. Bref, je me retrouvais, à moins d'être la vic- time d'une mystification inouïe, sur le terrain précis du Vieux Marché. Je n'avais donc pas même changé de place ; conséquemment, il n'y avait que mon voisinage d'ensorcelé. Réflexion faite, je trouvai ma situation consolante. Sommes-nous à Québec ? demandai-je à Laver- dière. Vous l'avez dit. Quelle heure est-il ? Minuit sonne. Quel jour ? iJk vingt-cinq décembre. Cette année ? Allons donc ! vous plaisantez ! Non pas, c'est aujourd'hui la fête de Noël, l'an du Seigneur 1535. Nous sommes à 350 ans d'hier! 1 5 3 5 ! Il paraît que je criai cette date-là un peu haut, car mon interlocuteur eût un froncement de sourcils et dit en me frappant du coude " Plus bas, s'il vous plaît, nous sommes en pays hostile. " Il ajouta presqu'aussitôt C'est la forêt primitive, la forêt païenne du Canada LA GRANDE HERMINE sauvage, le royaume de Donnacona ! ^ Cassez une branche, et cela suffira pour vous trahir et vous livrer du même coup à un ennemi aussi féroce qu'invisible. 2 Sentinelle, prenez garde à vous ! C'est un bon crî d'alarme, et je prie Dieu qu'il vous le conserve vibrant à l'oreille. Sachez, pour ne Toublier jamais, que chacun de ces arbres cache un anthropophage, ou peut lui-même devenir un poteau de torture, ^ Le sol indien prête étonnamment à ce genre de méta- morphoses horribles. Je vous l'avouerai avec candeur, j'aurais mieux aimé que Laverdlère m'eût signalé la présence d'un tigre aux environs. Cela m'eût paru moins terrible i car je ne connais pas, dans toute l'histoire naturelle, un fauve plus redoutbible que l'homme retourné à la i. Le lendemain {de la première exploration deTIJe d'Orléans par Jatquea CartierX le Seigneur de Civuada, nommé Dimtmœna en nom, et rappellent pour eeigiieur Agouhanna, vint avecques douze barques accompaigné de plusieurs gônâ deTant nos navires. Voyage h JaGqitesOarti^Ti 1535-36, feuillet 13. — édition 1545„ 2. Aux amis quilui représentaient les dan géra d'un établisse- sèment à Montréal ^ avec un trop petit nombre de aoldafca, sur cette île occupée par une tribu considérable d'indieuâj M. do Maison n eu v e répondai t * * Je n e auis pas venu po ur de l i bérer, mais *' pour agir, Y eÛfc-il, àHocbelaga, autant d'Iroquob que d' arbres " sur ce plateau le promontoire de Qu^bec^ il est de mon do voir ** et de mon honneur d'y établir une colonie/' Cesfièrea paroles méritent d'être conacrvées vivaces dans la mémoire. Elles laieuniaaeiit !e sang et le courage, 3. Les Algonquins de T époque de Jacques Cartier n 'étaient pas précisément des agneaux et ne valaient gufero mieux que les Iroquois du temps de Frontenac en barbarie comme en férocitë, A preuve cet épisode de la Eelatwti de 1535 ^^ Kous fut par le ** diet Donnacona monstre les peaulx de cinq testas d'homm&s, " estandues sur du boys, comme peaulx de parcbemin. Lequel ** Donnacona nous dît que e'étoient des Trudamans probable- *'*' ment les ancêtres des Iroquoïs devers le Bu qui leur menaient '* continuellement la guerre,'' Voyage de Jaa^ues Cartkr^ 1535-36— feuillet 39. —édition 1545* ï 68 LA GRANDE HERMINE barbarie. Mes yeux sortaient littéralement de leurs orbîtes, tant je scrutaîs avec effort les moindres sinuosités de la route, sondant du regard la noirceur des buissons, épiant les arbres, m'effrayant au bruit ..de mon propre marcher, éprouvant enfin un sentiment analogue aux émotions de ces voleurs novices qui grelottent d'épouvante en regardant dormir le mal- heureux qu'ils pillent. A ma droite, à ma gauche, devant et derrière moi, nmmense forêt multipliait ses chênes. A qui m'eût demandé ce que je voyais dans ce bois infini, j'aurais pu répondre naïvement des arbres, des arbres^ des arbres, à la tragique manière de ce Danois célèbre qui lisait, lui, des mots, des mots, des mots. Seulement, ma réponse eût été de beaucoup plus inquiète que sarcastique. Marchons vite, me dit le maitre-ès-arts, il est tard la fête est peut-être commencée. Et sur ce, Laverdière partit au pas gymnastique, suivant à travers le bois un chemin demeuré pour moi invisible. La neige, durcie au froid, offrait au pied une résistance élastique, ce qui me permettait de suivre aisément mon infatigable guide. Où allons-nous } demandai-je. Au Fort Jacques Cartier, répondit-il, sans tourner la tête. Puis il ajouta, après trois ou quatre enjambées gigantesques par-dessus des troncs morts entendre la messe à la Grande Hermine, Cette nouvelle me causa une grande joie. Et je marchai en conséquence, c'est-à-dire, prestissimo^. C'était merveilleux de remarquer comme le ma- gique sentier s'identifiait, par ses méandres, avec les iangles droits et les arcs de cercle du tracé cadastral LA GRANDE HERMINE Q9 actuel de nos rues dans la cité. Sans la présence des arbres, qui nous enserraient de toutes parts, j'aurais parié que je descendais la rue La Fabrique ; puis, tournant à gauche, au premier coude du chemin, je crus m'engager dans la vieille rue St Jean, car la route décrivait alors une courbe très accentuée, La ligne se redressait ensuite pour se casser encore à angle droit, tournant cette fois à droite. Evidemment je quittais la rue St Jean pour la Rue des Pauvres, 1 la rue du Palais, de son titre moderne. Il y avait, à cet endroit du chemin, un affaissement de terrain très rapide ; puîs^ toujours descendant, le sentier décrivait, de droite à gauche et de gauche à droite^ un grand arc de cercle lequel, tracé sur la neige, eût donné la fi^re typographique d'un S majuscule parfaitn A cet endroit Laverdière s'arrêta court, prêta Toreille, et frappant du pied avec impatience, il me dit " Nous n'arriverons jamais à temps, prenons la rivière. " Fuis il marcha droit devant lui. Effectivement, nous arrivâmes sur les bords d'une large rivière. L'hiver, notre terrible hiver du Canada, l'avait gelée sur toute l'étendue de sa surface ; et sa glace vive, bleuâtre et transparente, d'où le vent colère du nord -est chassait la neige, étincelaît dans les ténèbres de la nuit comme une armure d'acier. Je demandai au maître-ès-arts, le nom de cette rivière. 1. Histoire des Fortifications et des Bues de Québec, par J. M. LeMoine, page 28 *' La rue qui conduisait de la rue Saint- " Jean au palais de l'Intendant, sur les rives du Saint-Charles, ** s'appela plus tard la Rue des Pauvres, parce qu'elle traversait ** le terrain ou domaine dont le revenu était affecté aux pauvres '* de l'Hôtel-Dieu." À 70 LA GRANDE HERMINE Il me regarda étonné. Comment, s*écria-t-il, déjà égaré ? — Les Algonquins de Jacques Cartier nom- maient cette rivière Cabir-Coubat, à cause de ses nombreux méandres. Ce mot, dans leur langue, est Tadjectif qui rend cette idée. Le Découvreur du Ca- nada la baptisa Sainte- Croix^ en ménioire de V Exal- tation de la Sainte-Croix dont on célébrait la fête le jour qu'il entra dans ses eaux, le 14 Septembre 1535. Quatre - vingt - quatre ans plus tard, K les Pères Récollets rappelèrent Saint- Charles, en souvenir de Messîre Charles des Boues, ecclésiastique d'une haute piété, Grand Vicaire de Pontoise et Fondateur de leurs Missions en la Nouvelle-France. Ce nom du bienfaiteur a prévalu dans l'histoire, comme sur les cartes géographiques du pays. Rarre et précieux exemple de la reconnaissance humaine ! Voici l'embouchure de la rivière, me dit encore Laverdière, allongeant le bras dans la direction de l'est, au fond, cette grande tache d'encre que vous voyez là-bas, c'est le fleuve qui passe. Je fixai durant quelques secondes ce noir qui res- semblait au vide béant de quelque gouffre gigan- tesque. La neige immaculée du rivage accentuait encore l'intensité de ces eaux ténébreuses, qui n'avaient pour correctif que les blancheurs livides de longs glaçons flottant à leur surface, comme des noyés revenus de l'abîme, et s'en allant à la dérive, de toute la rapidité du courant quadruplee par j ...,.,, . ,._ c ^ vitesse de la marée basse. Ce fut dans le silence de cette muette contempla- tion, qu'à l'intervalle régulier d'un glas qui tinte, 1. En 1619. Les Récollets arrivèrent à Québec au mois de Juin de cette année. LA GRANDE HERMINE 7t récho agonisant d'une cloche m'arriva, si faible, si dilué, si grcle, si flottant» qu'on eût dit le timbre d*une pendule sonnant dans le vide d'une machine pneumatique. De toute évidence, ce clocher, cette église, devait être prodigieusement éloigné de nous. J'étais surpris, tout de même, qu'il y eût au seizième siècle une chapelle catholique au franc milieu de cette forêt païenne. Je m*étonnais davantage que les vieilles relations des missionnaires jésuites l'eus- sent oubliée. J'allais m'en ouvrir à Laverdîère quand deux hommes, surgis je ne sais d'où, passèrent entre lui et moi, silencieusement, comme des fantômes. C'étaient deux sauvages d'une haute stature. Ils étaient chaussés de mocassins et vêtus de grosses peaux d'ours noirs. Au sommet de leurs têtes, rasées comme un crâne de chartreux, il y avait un panache en plumes d'oiseaux, peintes aux couleurs voyantes du jaune, du vert et du rouge. Leurs bras nus 1 étaient piqués de tatouages étranges profils d'idole corps d'animaux, dragons, couleuvres, tortues, feuilles d'arbres, pinces de canots, le tout confondu en un gâchis incroyable. Laverdière répondit à ma surprise par un mot qui la centupla Les interprètes de Jaéques Cartier Taiguragny ! Domagaya ! ! 1. ^^ l&t sont les sauvages tant hommes, femmes qu'onfauts ** plus durs que bôstes au froid. Car de la plus grand froidure ** que ayons veu, laquelle estait merveilleuse et aspre, venaient *• par-dessus les glaces et neiges tous les jours à nos navires, la ** pluspart d'eulx tous nuds, qui est chose fort difficile k croire *' qui ne l'a veu." Voyage de Jacques Cartier, 1535-36 verso du feuillet 31, édition de 1545. 72 LA grAnde hermine Bien que je fusse à leurs côtés, les deux Algon- quins ne me jetèrent pas même un coup d'oeil. On eût dît qu*ils ne voyaient personne. Ils traînaient après eux sur la neige une longue tabagane 1 chargée de la royale dépouille d*un caribou tué à coups de flèches. Ils marchaient très vite, dans une direction qui faisait angle droit avec le cours naturel de la rivière. Où vont-ils ? demandai-je à mon guide. A Stadaconé, cela est évident. Bien que cela parût évident à Laverdière, je me permis de lui dire ; Comment le savez-vous ? Je Tai appris • . . . à étudier, me répondit le prêtre- archéologue, avec un sourire malin. — Suivez, dit-il. — Et ramassant sur la glace une écorce de bouleau que le vent taquinait outre mesure, il se mît à lire sur elle, ou plutôt à réciter, en la regardant Ferland, Histoire du Canada, page 27 " Les sauvages qui avaient été rencontrés par Jacques Cartier au Cap Tourmente revinrent en assez grand nombre à Stadaconé, résidence ordinaire de Donnacona et de ses sujets. C'était un village composé de cabanes d 'écorce de bouleau, et bâti sur une pointe de terre qui a la forme d'une aile d'oiseau ; elle s'étend entre le Grand Fleuve et la rivière Sainte Croix ; à cette circonstance est dû probablement le nom de Stadaconé qui signifie aile en langue algonquinc. 1. Traîneau plat bien counu dans le Canada sous le nom do traîne sauvage. Ferland— ^isfei'î'e dti Canacia — Tome 1er, page 113. LA GRANDE HERJVITJVE 73 '* Il est probable que Stadaconé était situé dans l'espace compris entre la rue La Fabrique et le Coteau de Ste Geneviève près de la côte d'Abraham , Il fallait de Teau pour les besoins du vîllaËfe, et les sauvages n'aiment pas à aller la chercher loin ; ci ils en auraient eu en abondance, car un ruisseau pas- sait au franc milieu de la rue La Fabrique ; il allait tomber dans la rivière Saint-Charles près du lieu où se trouve actuellement l'Hôtel-Dieu, A Textrémité du terrain un autre ruisseau descendait le long du Coteau Sainte Geneviève." Rappelez-vous encore le st4€cin€t et èrîef récit du Second Voyage de Jacques Cartier et sa description du site de la bourgade Stadaconé, le futur emplace- ment de Québec. ** Il y a dit-il, une terre double, de bonne haulteur^ " toute labourée, aussi bonne terre que jamais ^" homme veist et là est la ville et demeurance de " Donnacona et de nos deux hommes qui avaient " été pris le premier voyage Taiguragny et Doma* " gaya, les interprètes laquelle demeurance se " nomme Stadaconé, " 1 Le maître-ès-art ajouta, par manière de réflexion soulignée de reproche J'avoue qu'il importe peu de savoir le nom du locataire que Ton remplace dans une maison, M*est avis cependant, qu'il existe un intérêt de curicsité . . ; . ou même d'estime, à 1. YojagGB de Jacques Cartier- 1535-36, verao du feuillet 32, édition de 1545. ** Le village aauvage de Stadaconé devait être sifcué aur la partie du Coteau Ste Geneviève où se trouve maintenant le fau- boursf S t-Jean- Baptiste de Québec. Méjii^irca de la SocUié Littéraire et Hiêtorigue du Québec. 74 LA GRiCNDE HERMINE connaître quelle était au Canada l'historique devan- cière du Québec historique. ^ Ce disant, Laverdière, déchirait avec la lenteur gourmande d'un connaisseur qui grîgnotte un bon- bon fin, la petite feuille d'écorce qui, la pauvrette, n'en pouvait mais de ses morsures. Et regar- dant ce débri, que le vent allait reprendre et perdre sans retour, je pensais avec deuil à ces annales essentielles, à ces documents primordiaux, à ces archives inestimables de notre pays, aujourd'hui plus égarés et disparus que ce bouleau fragile ; non pas réduits, comme lui, à des lambeaux reconstructibles après tout, mais tombés 'pour jamais, en allés pour toujours en une poussière fatalement morte, sur laquelle vainement prophétiserait l'Histoire, car leurs cendres n'avaient pas, comme les nôtres, les pro- messes d'un réveil, ni la certitude d'une résurrection. Oh ! j'oubliais, s'écria tout-à-coup Laverdière, en se frappant le front. A propos de documents, j'ai quelque chose à vous montrer. Où donc ai-je mis cela ? Puis il se mit à se fouiller avec frénésie. 1. On ne sait rien de précis sur le site de la capitale de Donna- cona si ce n'est qu'il était à une demi-lieue de la rivière Lairet et qu'il en était séj^ nré par la riviëre St- Charles. Ferland — Histoire du Canada — Tome 1er, page 27. Au bout de l'Ile d'Orléans se trouvait un endroit convenable pour le mouillage des navires de Jacques Cartier il s'y arrêta le 14 septembre 1535, jour de l'exaltation de la Sainte Croix, dont ce lieu prit le nom ; c'est la rivière St-Charles d'aujour- d'hui. Tout auprès était Stadaconé, résidence royale du chef du Canada, remplacée maintenant par la ville de Québec, dont le faubourg Saint-Jean est assis précisément à l'endroit où gisait l'ancienne capitale des sauvages. D'Avezac — Brève et succincte Introduction Historique à la Relation du Second voyage de Jacques Cartier, xij. LA GRANDE HERMIME J$ C'était un spectacle cumique que celui de mon* sieur Laverdière évoluant de droite à gauche et de bâbord à tribord dans les poches phénoménales de sa soutane où ses petits bras disparaissaient jusqu'aux épaules. Finalement l'archéologue retrouva son papier. , . , dans sa veste. Et tout aussitôt le Mentor me demanda avec une voix railleuse Savez-vous lire? Aussi bien lire que regarder ? En vérité vous me répondriez non que j'en aurais aucune surprise ; il y a de par le monde, et ce jour- d'hui, tant de gens qui lisent sans comprendre, et tant d'autres qui regardent sans voir. Ainsi, par exemple, voici le portrait de Jacques Cartier, L'historien me présenta, devinez quoi ? Une gravure ? Nullement C'était une petite carte géographique qui n'était pas même carreau tée d'une longitude et d'une latitude, et sur laquelle était tracé le cours entier d un petit ruisseau, depuis les premières eaux de la source, figuréts par un réseau de petites lignes microscopiques, courant en pattes d'insectes sur la blancheur immaculée du papier, jusquesaux coups de crayon plus larges, plus noirs, plus pesants, simulant et les plus petites vagues moirées de clairs et d'obscurs, et la vitesse plus accentuée des courants vers Tembouchure à laquelle le dessinateur avait prêté la largeur d'un brin d'herbe. Ça, le portrait de Jacques Cartier ! m'écriai-je avec un éclat de rire incrédule. Allons donc, mais c'est le profil géographique de la rivière Lairet ! ^ 1, La rivière Lairet tire a on nom do François LmteU un des premiers habitants de Cbarlesbourg qui demeurait pïèi? de la petite Rivière» ''"'Farohst de Charleshourg^'' ouvrage de M. Tabbë Chs. Trudellej page 11. J OTVP * ^ 76 LA GRANDE HERMINE Qui VOUS soutient le contraire? Je vous dis seule- ment que le profil géographique de la rivière Lairet est l'exact profil de la figure historique de Jacques Cartier. Ça, vous y êtes ? Et comme je n y étais pas du tout Oadùs liabmt et non vident, s'écria le bon prêtre ; encore un qui regarde sans voir. Suivez-moi bien. Et, pointant, Tun après Tautre, les capricieux méan- dres de la sinueuse petite rivière Lairet Voici le béret, dit-il, et voici le front, voici le nez et voici la bouche, voici le menton et voici la barbe, tout le visage enfin ! Muet d'étonnement, pétrifié de surprise, je demeu- rais ébahi, cloué sur place, devant la stupéfiante vérité de cette découverte. Elle frapperait davantage, remarqua Laverdïère, si Ton dessinait un œil au-dessous de la tempe droite, avec nne moustache sur la bouche et quelques coups de crayon pour la barbe. Cet ensemble de sinuosités prête étonnamment bien à ce travail Tenezj comme ceci. Et Laverdière se mit à brosser fiévreusement là un œil, là une moustache, et là un buisson pour la barbe. C'était bien la même petite carte géographique, avec, au milieu, le profil de la rivière Lairet, courant à travers la blancheur du papier, comme une veine bleue sous la finesse d'une peau transparente. Et cependant, malgré le plus énergique effort de ma mémoire, ce profil géographique de la rivière m^échappaît absolument. Il venait de s effacer, de se fondre, de se perdre tout entier dans un profil humain où la sincérité des contours^ la rectitude, la vérité des lignes, l'expression saisissante de la vie particulière \ \ i Profil de la Rivière Lairet €L /^ÀiHrte fie tffr-re, \^ist'&/e\ 7natèe 6asse, où U. Profil de Jacques Cartier L -4 ;V V LA GRANDE ÏIERMmE , V7, I ^^ aux images photographiques, concouraient étonnam- f ment à donner la netteté lumineuse et le relief hardï I des campes. Eh bien ! eh bien I disait Laverdîère, avec un doux accent de voîx moqueuse, mon Carder vous paraît-il suffisamment réussi ? C'est un portrait d'après A^i^/i^r-^/ Un bon vieil auteur que je vo'js garantis classique ! Et mon spirituel causeur soulignait d'un sibncieux sourire cette boutade narquoise comme la gaieté et fine comme Fesprit de notre belle langue française. Il eût été souverainement malhonnête de contre- dire Tarcb ologue Jamais, en effet, caprice plus rare, plus gràcieiîx» plus intelligent d^ k nature ne m'avait encore été aignalé. Oui, trop intelligent pour n'être pas providentiel ! Cela me plaisait d'ail- leurs d'imaginer et de croire que la Nature, plus aveugle, mais ausdi plus artUte qu'Homère, avait eu, comme les prophètes et les plus magnifiques génies, Tintuition éclatante, le miraculeux pressentiment de la Vérité Historique. Et qu'ainsi, à mille ans d'avenir, à cette lointaine et séculaire distance de la conquête du Canada par l'Europe, la Nature avait frappé cette terre à l'effigie de son découvreur. Le merveil- leux camée ! La colossale estompe I Pièce unique d'antiquité, inestimable monnaie chiffrée d'un millé- sime centenaire comme les âges géologiques de notre ^ planète, La Numismatique retrouvera-t-elle jamais plus belle médaille commémorative ? ^ 1. lie profil géographique de k Rivifere Lniret a dfcé relevé sur Ift carte officielle du comté de Québec, publiée soua la dirac- tion du Département des Terres de la Courontte, C'est la page oti plutôt la planche No. 37, Paroisse 8t. Eot^h Nord, de T Atlas intitulé ; ** Atlas of the Citj aïid Couutj t>f Québec," from actual Burveya, based upon the Cadastral Plana depoaited in 78 LA GRANDE HERMINE Cependant, nous marchions tout le temps qu*îl ainsi. Tout à coup j aperçus, à ma gauche, un ^rand espace libre, large d*au moins vingt toises. On eût dit une route, un chemin de colonisation ouvert par un groupe de hardis pionniers dans l'épaisseur de Timmense forêt. C'était un cours d'eau qui venait se jeter dans la rivière Saint-Charles. Ce qui me frappa le plus particulièrement dans la physionomie de ce ruisseau fut l'élévation de sa rive gauche s'avançant sur la grève, et jusque dans la rivière, comme un gigantesque soc de charrue. Ses flancs rectangiilaires étaient nus et verticaux comme des pans de muraille. Evidemment, la main de rhomme avait essarté le sol à cet endroit, abattu les sous-bois, brûlé les buissons d'épine et rasé les broussailles du rivage. 1 Au sommet de l'éminence, sur le plateau même de la berge, une large trouée avait été pratiquée dans les arbres de haute futaie. Le rayon d'abatis était à ce point régulier, qu'il dessinait à travers la forêt un demi cercle parfait. Le compas européen avait dû prendre là des mesures. La coupe symétrique de ce déboisement attestait the office of the Department of Crown Lands by and ùnder the supcirviaioTi of H. W. Hopkina, civil engineer. Provincial Surveying and Pub* Co. — Walter S. MacCormac, manager, IH79. Cette référença an document original permettra aux incré- dulea àe constat er II Ut fois et la, vérité de ce profil géographique et la fidélité de sa copie 1. On apergoit encore aujourd'hui, sur la rive gauche de la petito riv"iera Lmret, k l'endroit oii elle tombe dans la rivière SL Charles, des traces viaihlea de larges fossés ou espèces de retrauchementa. Voyatje ds Jiic^ites Cartier 15^. Edition publiée par la Sociétés Littéraire et Hiatori^iue de Québec, en 1843, page LA GRANDE HERMINE 79 indéniablement la main d'œuvre, car les ouragans et les cyclones, malgré leurs, vieilles et terribles habi- tudes de travail, n'ont pas encore acquis une telle précision géométrique. Bourgade indienne ou colonie de blancs peu importait ce qu'elle fut, il y avait certainement à cet endroit une habitation d'hommes, car là-haut, sur le fond clair-obscur du ciel étoile se dessinait une palissade aiguë, faite de pieux taillés en dents de scie, un rampart véritable que les blan- cheurs de ses poutres équarries signalaient au loin, et qui couronnait l'enceinte de cette esplanade natu- relle. Avec quelques pièces d'artillerie, cette petite place forte eût facilement commandé les deux rivières, leurs alentours, et résisté victorieusement peut-être à toute la puissance du pays. J'eus la pensée que je me trouvais alors en présence du Fort Jacques Car- tier et j'allais m'en ouvrir à Laverdière quand celui-ci m'imposa silence d'un geste. Nous avions dou- blé la pointe de terre qui dérobait à nos regards l'entrée de la Rivière Lairet. 1 Le maître-ès-arts 1. Plus proche du dict Québecq y a une petite rivière la rivière St-ÔkarUs actueUe qui vient dedans les terres d'un lac distant de notre habitation celle de Québec de six à sept lieues. Je tiens que dans cette rivière qui est au Nord et un quart de Norouest de nostre habitation, ce fut le lieu où Jaques Quartier yvema, d'autant qu'il y a encore à une lieue dans la rivière des vestiges comme d'une cheminée dont ou a trouvé le fonde- ment et apparence d'y avoir eu des fossés autour de leur loge- ment, qui estoit petit. Nous trouvâmes aussi de grandes pièces de bois escarrées équarries vermoulues et quelques trois ou quatre balles de canon. Toutes ces choses monstrent évidem- ment que ça été une habitation, laquelle a estée fondée par les Chrestiens et que ce qui me fait dire et croire que c'est Jaques Quartier c'est qu'il ne se trouve point qu'aucun aye yvemé ny basty en ces lieux que le dit Jaques Quartier au temps de ses 80 LA GRANDE HERMINE s'arrêta brusquement devant elle, lui tendît les bras avec un élan d*amour passionné, puis d'une voix claire, vibrante de joie comme Téclat d'une fanfare militaire, il s'écria " Les trois vaisseaux de Jacques Cartier ! " Parole d'honneur ! Dumas n'eût pas mieux dit Mes, Trois Mousqtietaires ! Alors je regardai tout autour de moi avec stupeur. Aussi loin que l'œil pouvait atteindre aux limites du cercle d'horizon, il n'y avait rien, absolument rien ; sur le ciel étoile pas une silhouette de mâture, au rivage blanc pas même un débris de carène enlizée dans la neige, avec ses varangues fixées à la quille, comme la gigantesque épine dorsale d'un monstre marin. Je remarquai seulement sur la glace, à la gauche de la rivière, deux constructions de charpentier parallèles au rivage, attenantes l'une à l'autre comme deux vaisseaux voyageant de conserve. C'était, appa- ramment, deux hangars, à toits aigus, sans lucarnes. Sur la toiture de l'un d'eux, au centre, il y avait une cheminée. On apercevait aussi, à l'extrémité nord de cette même couverture, un clocheton de chantier, et dans ce clocheton une petite cloche, la même peut-être que nous avions entendu sonner. Ils étaient bâtis sur la grève, étroitement adossés à cette muraille naturelle, à cet escarpement si descouvertures et falloit à mon jugement que ce lieu s'appelast Sainte Croix comme il l'avait nommé, etc., etc. Œuvres de Samuel de Champlaithy pages 156 et 167, chapitre IV, année 1608. AUTRES RÉFÉRENCES — Ferlaud Histoire du Canada— Tome 1er, page 26. Œuvres de Champlain — Edition de 1632 livre 1er, chap. II. Le Përe F. Martin — Le Përe Isaac Jogues — ch. II, page 24. -i^r^'. LA GRANDE HERMINE 81 remarquable de la berge, dont Jacques Cartier avait utilisé toute la 'valeur stratégique en la fortifiant d'un triple rang de palissades et Tisolant de la plaine par des fossés larges et profonds. 1 Immédiatement placés sous le canon du Fort ils n'avaient pas à redouter les assauts ou les surprises que les Sauvages pouvaient tenter contre les Français par les rivières. Car l'hiver, sur la glace du St-Charles ou du Lairet, le chemin était grand ouvert à l'ennemi. Ces bâtiments, construits en planches grossière- ment rabotées, avaient une physionomie rude et misérable et suintaient trop le travail crucifiant, ingrat, acharné, pour ne pas abriter sous leur toit un secret de grande et profonde épreuve. Il en est de certaines masures perdues dans la solitude comme de telles et telles figures humaines qu'il vous advient de rencontrer égarées dans la foule elles ont, quand vous les regardez bien en face, une expression si déchirante de douleur inconsolable ou de misère horrible qu'il vous en vient à la bouche un goût de larmes avec un irrésistible besoin de pleurer. J'en étais là de mes réflexions quand Charles Laverdière m'éveilla de nouveau en criant avec en- thousiasme Les Trois Vaisseaux de Jacqiies Cartier ! ! ! Iciy les caravelles, là-bas, le galion ! 1. Voyant la malice d'eux des sauvages doutant qu'ils ne songeassent aucune trahison, et venir avecque un amas de gens sur nous, le capitaine Jacques Cartier fist renforcer le Fort tout à l'entour de gros fossés, larges etparfonds, avecque porte à pont-lëvis et renfort de rangs ou pans de bois au contraire des premiers. Et fut ordonné pour le guet de la nuit, pour le temps a venir, cinquante hommes à quatre quarts, et à chacun change- ment des dits quarts les trompettes sonnantes ; ce qui fut fait selon la dite Ordonnance. Voyage de Jacques Cartier^ édition publiée, en 1843, par la Société littéraire et Historique de Québec, page 52, chapitre XII. 6 \7 /- ^*"'^???>'' 82 LA GRANDE HERMINE Et comme j 'hésitais à les reconnaître, Laverdière repartit Je parie qu'il vous faut aux yeux le corps d'un vaisseau, une mâture complète avec appareil de cordages ? Vous ne savez donc pas l'histoire de votre pays ? Très possible, monsieur le maître-ès-arts. Je ne crois pas absolument ce que je dis là, se hâta d'ajouter l'archéologue, comme pour donner un correctif à la vivacité du mot lâché. Seulement votre mémoire est ingrate. ... ou mal cultivée. Rappelez- vous que l'hiver de l'année 1535 fut, au Canada, l'un des plus rigoureux du pays, et ee, de mémoire d'homme. Le froid y fut terrible et la neige si abon- dante qu'elle dépassait de quatre pieds les gaillards des vaisseaux de Cartier. La glace de la rivière Sainte Croix mesura deux brasses d'épaisseur, les boissons gelèrent dans les futailles, et le bordage des navires, sur toute sa hauteur, était lamé d'une glace épaisse de quatre doigts. 1 Rappelez-vous encore que Jacques Cartier, une fois l'hivernage résolu, fit enlever les agrès des trois navires pour mieux les protéger contre les intem- péries de cette formidable saison de Tannée. 1. Depuis la my Novembre jusques au quinzième d*avril avons ^' été continuellement enfermés dans les glaces, lesquelles avaient '' plus de deux brasses d'épaisseur. Et dessus la terre la haul- '* leur de quatre pieds de neige et plus, tellement qu'elle estait " plus haulte que les bortz de nos navires lesquelles ont duré *' jusques au dict temps, en sorte que nos breuvages étaient tous '' geliez dedans les futailles. Et par dedans nos dicts navires *' tant de bas que de hault estait la glace contre les bortz à ^* quatre doigtz d'épaisseur. Et estait tout le dict fleuve, par *' autant que l'eaue douce en contenait jusques au dessus du dict *' Hochelaga gellé." Voyage de Jacques Cartier 1535-1536, verso des feuillets 36 et 37. Edition 1545. LA GRAKDE HERMINE 83 Cela fait qu'il est maintenant bien difficile d*aper- cevoir deux navires ensevelis dans la neige à quatre pieds au-dessous de son niveau ; — d'autant plus impossible à l'heure présente, que les charpentiers des équipages ont désarmé leurs vaisseaux, abattu jusqu'aux chouquets les huniers des mâts, abrité enfin sous ces hangars les gaillards, les ponts, les em belles 1 , les dunettes, et les châteaux de poupe, toutes les surfaces de leurs navires, pour les protéger, les conserver davantage intacts de la pluie, de la neige, de la glace, des influences désastreuses du froid sur la ferrure aussi friable à la gelée qu'une lame de verre au premier choc. Laverdière m'amena au hangar de droite—" Voici îa Nef-Générale, me dit-îl en entrant, la Grande Hermine. Oh ! quil était petit le navire des découvreurs de mon pays I Mais, en revanche, comme il était grand leur courage ! Je ne sache pas avoir mieux compris, ailleurs que devant lui, la valeur absolue du mot hardiesse et tout ce que l'héroïque témérité française peut contenir d^audaceSj de bravoures et de gloires. Cent-vingt — soixante — quarante 3 tonneaux 1* Voir Bouillet au mot ^axUi^à Dictionnaire dea Sciencee, des Tjettrçs et Arts. 2. Probablement ainsi nammée parce qu'ellô portait à aon bord le Capitmrw-Gthi^raL '' Et depuis noug être entreperdns *^ depuis le 25 Juin 15^ avons été avec la Nef geîiÉralh parla " mer de tous vents contraires jusqu'au septièreie jour de Juillet " que nous arrivaamea à la dite Terre-Neuve et priâmes terre à *' îsU'h-Oiseaiibc F^mk Idartd^ à l'est de Terre-Neuve." Cha- pitre 1er, page 27. Second Voyage de Jacques Cartier, édition de 1843— et chapitre 1er, versa du feuillet 6, édition 1545. 3* La Grande Hermine jaugeait 120 tonneaux La Petite Hermine *^* 60 do LEmériUur troupeau. Et voilà qu'un " Ange du Seigneur ae tint près d'eus et la Lumière de Dieu ** les environna de ses rayons et ils fut ont saUis d'une grande " crainte- Mais l'Ange leur dit i Ne craignez pas, je voua '* apporte la hou ne nouvelle qui sera le sujet d'une grande joie " pr>i3r vouft et pour le peuple, c'est ju' aujourd'hui» dans la *' ville de David, il voua ont xii uu Sauveur qui eat le Christ ot '* le Seigneur.'^ et énorme, regardée comme à travers la lentille 104 LA GRANDE HERMINE d'un télescope- Le caractère distînctîf de la livrée, la gentillesse des profils, sveltes et gracieux, les doigts triangulaires du pied me le firent de prime abord classer dans cette grande fanlille ornîthologique. Mats je repris vite mon opinion aux remarques recti- fiantes de Tarchéologue. " Ainsi, me disait-il, en manière de correctif, le bec, de Tallouette, droit comme une épée, est démesurément long chez cet oiseau-ci, et de plus se recourbe comme un sabre, à la pointe. Les grandes jambes de Toiseau, à tarses effilés et grêles trahissent évidemment évidemment pour Laverdière, car je n'ai pas l'honneur d'être omo- thologiste trahissent évidemment la patte caracté- ristique de l'échassier. C'est un courlis, me dit Tarchéologue, un courlieu, pour parler le vieux français du seizième siècle. Aussi, cette voili^re, marquée à Teffigie de cet oiseau, appartient-elle à la Petite Hermine. Vous savez, n'est-ce pas^ que le nom de Courlieu fut changé en celui de la Petite Hermine, précisément à l'occasion du second voyage de Jacques Cartier ? N'empêche que la caravelle porte à toutes ses voiles et à la légende de son château de poupe la symbolique image de son premier nom. ^ Cette singularité ne vous fait-elle pas songer à Taventure heureuse d'une belle jeune fille, une prin- cesse du pays des fées, réalisant son rêve dans un mariage aussi brillant qu'imprévu, et qui emporterait dans la précipitation du départ, avec son royal trous- seau de noces, sa garde-robe marquée aux seules initiales de son nom de damoiselle ? 1, La Feîiîe Htrmity^ portait auparavant avant 1535 le nom de Cmwlitn^ cbatigé pour ce voyage celui de 1535. Ferland Tome 1er, page 21. ^"^r^^l^,^ LA GRANDE HERMINE ' 105 Laverdîère attira une dernière fois mon attention sur la misaine de XEmérillon^ balafrée comme un * visage de vétéran, comptant, celle-là, plus de cou- tures que celui-ci de cicatrices et de lézardes, une voile toute grise de vieillesse. Elle portait, au coin de récoute, le dessin d'un petit oiseau exécuté à Tencre comme ceux de l'hermine et du courlis. Seulement l'image en était si pâlie, si efifacée par l'usure de la toile, la pluie, le gros temps, le frotte- ment des mains, qu'elle n'était lisible que pour des yeux très vifs et très exercés. L'oiseau, dépeint à sa grosseur naturelle, était de la taille d'un merle ou d'un geai bleu. Le dessinateur l'avait représenté au repos, perché sur une branche. Ce petit oiseau, me dit Laverdière, est le faucoh- épervier des naturalistes. Il appartient à la famille des oiseaux de proie. Il se nomme émérillon, en langue vulgaire, et la galiote l'a pris et accepté pour symbole. Un juste emblème du caractère français, ce petit fauve gai, vif, hardi, étourdi presqu'autant Ce fut à ce moment que j'aperçus, à la gauche de l'autel, une petite crédence attifée de linge blanc, de fleurs artificielles, et de lampions, alignés par alter- nance de couleurs verte et rouge, devant un vieux tableau représentant la Vierge tenant l'Enfant Jésus dans ses bras. C'était une peinture ancienne, une très ancienne peinture sur bois, que les fissures du chêne, les griffades du temps, les stries innombrables de la matière colorante, avaient gâchée affreusement et de façon irréparable. C'était évidemment un pan- neau de stalle, ou bien encore, une boiserie de pilastre conservée comme relique-souvenir de quelque église 106 LA GRANDE HERMINE centenaire de Bretagne, encore plus ruinée de vieil- lesse que tombée sous les pioches des démolisseurs. L'église existe encore, me dît Laverdière, lequel,- suivant sa louable habitude s'amusait à m'écouter penser, cette boiserie vient du sanctuaire de Notre- Dame de Roquemado, 1 Roquemado ? Oui, Roquemado, en Bretagne, aujourd'hui Roc- Amadour, ^ était, au temps de Jacques Cartier, comme encore de nos jours, un lieu de pèlerinage célèbre. li jouîssaïtj par toute la France, d'une renoni- mée extraordinaire, et les miracles qui s'y opéraient 1- ** Notre cappitiiïne voyant la pitié et maladie ainsi esmeue ** fîst mettre le monde en prières et oraisons et feist porter ung ** y mage en remembrance de la Vierge Marie contre un arbre '* distant de nostre fort d'un traict d'arc le travers des neiges et " glaces. Et ordonna que le dimanche ensuyvant Ton dirait au ** dict lieu la messe. Et que tous ceux qui pourroient cheminer ^^ tant sains que mali^des yroient à la procession chantant les " sept paaumefl de Da\dd avec la litanie en priant la dite Vierge " qu'il luy pleut prier mn cher Enfant qu'il eust pitié de nous. ** La mease dicte et célébrée devant le dict ymage, se feist le ** cappitatne pfelerin a Notre Dame de Roquemado promettant " y aller si Dieu luy dormait grâce de retourner en France." *' Voyage de Jacques CaHier 1636-36, îeuûletSô. Edition 1545." Roquemady ou Roquauiadou. " Ou pour mieux dire Boque " Amaâou^ c'est-à-dire, des Amans. C'est un bourg en Querci, ** o4 il y a força pMerins/' Lescarbot. 2. K, ï. dL^ RoQiTTSMADO pnur Rocamadourle rocàSt-Anoadour, bouTïï de France Lot sur l'Alzon, à 25 kil. N. E. de Gourdon, chef il eu d'arrondissement à 3ii kil. N. de Cahors. Rocamadour est adofisé à des rocher» à pîc. 1,600 habitants. Ruines d'une abbaye, qui, selon la tradition, contient les reliques de S. Ama- dour et but de pèlerinage ; antique église où l'on conserve, dit- on, la fameuse Durandal, épée du paladin Roland. . Bûuillet, Dictiie, et la vie était la lumière " des hotnnies^ et la lumière luit dans les ténèbres j rf " les ténèbres ne t ont point comprise, , . , Ça^ dites-moi, vous qui aimez T Histoire du Canada, ces paroles ne vous rappellent-elles pas quelque chose ? Et Laverdlère, me parlant ainsi, avait un beau et grand sourire aux lèvres. A ma grande confusion il me fallut hélas ! avouer que ce beau latin-ià , . , ^. ne me rappelait rien. Alors lui, avec Te m phase doctorale d un profes- seur d'université dictant un cours à ses élèves " Voyage de Jacques Cartier, s'écria- t-il, expédi- ditlon de 1535— recto du feuillet vingt-sixième de la relation " Nostre cappitaine voyant la pitié et foy de ce " dict peuple d^Hochelaga dist TEvangile Saint '' Jehan, savoir Vin principio, faisant le signe de la *' croix sur les pauvres malades, priant Dieu qu*il " donnast cognaîssance de nostre saincte foy et " grâce de recouvrer chrestien té et baptême. Puis le " dict cappitaine print prit une paire d'heures " et tout hauttement leut de mot à mot la Passion " de Nostre Sei^eur. Sy que de telle sorte qtie tous " les assistants le peurent ouyr ou tout ce pauvre '* peuple feirent un grand silence et feurent merveil- '* leusement bien entend ibl es attentif s^ Cet extrait du manuscrit original de Jacques Cartier, Charles Laverdièrc le récitait si bien que je croyais le voir collationner et suivre à la page de 8 114 LA GRANDE HERMINE J*édîtîon rarissime le mot à mot de la dictée aussi bizarre que l'orthographe. Et coupant brusquement, en pleine phrase, la cita- tion commencée, Laverdière passa droit au commen- taire, sans transitions aucunes, de la voix du gram- mairien à la fougue d'un orateur mis en verve par quelque apostrophe victorieusement ripostée des hauteurs de la tribune. Cortéreal,Verrazzano,Cabot, Pizarre,Cortez, Magel- lan, Alvarez de Cabrai, Vasco de Gama, Americus Vespuce, n'ont pas eu la pensée grandiose de Jac- ques Cartier. A l'encontre de ses rivaux illustres en gloire humaine, découvreurs comme lui de continents, fondateurs de républiques ou d'empires, le navigateur français estima qu'il valait mieux chercher tout d'abord le chemin du ciel avant que de trouver la route de la Chine. Et tandis que l'Espagne, le Portugal, l'Angle- terre se disputaient à prix d'or, à coups de canons et à courses de voiles les primeures et la primauté des terres neuves d'Amérique, Jacques Cartier, pre- nant possession du Canada au nom de Jésus-Christ, lisait, en guise de proclamation royale, la Passion du Sauveur du Monde, croyant, en son âme et conscience, ne pas trahir son maître temporel en reconnaissant à Dieu la domination première, absolue, l'empire éternel d'un pays plus grand que l'Europe. Il ne venait pas, il est vrai, apprendre aux natu- rels farouches de ce sauvage pays l'art infernal des traiteurs^ l'amour maudit de l'argent, mais il appor- tait, à rencontre de la rapacité portugaise, l'abnéga- tion évangélique ; en retour du féroce esclavage espagnol, l'incomparable liberté chrétienne; et opposait^ au lucre ignoble du commerce européen de l'époque, l'apostolat, généreux dans tous les temps, des mis- I LA GRANDE HERMINE 115 sîonnaîres catholiques. Il apportait enfin la grande^ rînestîmable nouvelle de TEvangile, pour laquelle seule la Providence avait permis, avait voulu la découverte du Nouveau Monde, Cette première entrevue de Jacques Cartier avec l'homme indigène de TAmérique du Nord révèle étonnamment le souci, Tanxiété crucifiante du Découvreur pour le salut des âmes, intérêt dégagé de toute arrière pensée de gains ou de conquêtes. Ainsi, devant la population sauvage toute entière réunie de la bourgade d*Hochelaga, ^ Jacques Car- tier ne parle-t-îl que de Dieu seul. Il ne dit rien de lui-même, ni qui il est, ni d'où il vient, ni où î! va, ni qui l'envoie. S'il lui advient de parler de son maître, il dit invariablement Jésus-Christ. Et l'au- torité de François 1er n'en sera pas amoindrie plus tard. Nomme-t^il son pays, il ne dit pas la France, mais la Terre, parce que la Terre, pour l'Evangile qu'il proclame, ne constitue qu'un seul et même pays. Cette solennelle rencontre de la race blanche et de la race cuivrée, aux bords du St. Laurent, fait naturelle- ment penser à l'aventure d'un sauveteur qui repê- cherait en haute mer un naufragé sur une épave. Avant que de le secourir il n'ira pas lui demander son nom, pas plus que le misérable lui demandera le sien pour embarquer à son bord. Quelque chose presse davantage la vie. As-tu faim } Meurs-tu de soif 1 Depuis quand ? Et si l'abandonné n'est pas encore descendu à la dernière phase de l'agonie, s'il peut manger et s'il peut boire, victoire ! il est sauvé ! f En vérité l'allégorie en est par trop saisissante. 1. Cette entrevue de Jacques-Cartier avec les sauvages du royaxvïïie d^Hochelaqa eut lieu le 3 Octobre 1535. ^'.^^T^m^^' 116 LA GRANDE HERMINE Ouï, le Peau-Rouge du Canada, Tanthropophage adorateur d'idoles, avait grand' faim, avait grand* soif de connaître le vrai Dieu. Au commencement, dans h principt, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu, En Lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. Quelle aurore ! quel soleil ievés tout- à-coup sur ce pays où la nuit païenne .avait été longue, si longue que pendant quinze siècles complets toutes ses générations d'hommes étaient demeurées assises à Tombre de la Mort ! A la fois Jacques Cartier lui apprend l'origine de la Vérité, Torigine de la Lumière, l'origine du Temps, pour que plus tard le cathécumène puisse saisir davantage la formidable valeur du mot éternel. Ah ! qui donc inspirait Jacques Cartier dans le choix excellent de cet évangile merveilleusement approprié à la personne, à l'époque et à la circons- tance de cette rencontre mémorable ? Nul autre que ^Celuï qui parlait autrefois à Moïse dans la voix du Buisson Ardent, Celui même qui était, bien avant sa mission dans la Judée, la Sagesse de ses Patriarches et la Science de ses Prophètes, Celui même qui demeure TEsprit Saint des Apôtres dans l'Eglise. Jacques Cartier, cet homme qui n'était après tout qu'un marin, apparaît soudainement transfiguré, revêtu de toute la majesté d'un sacerdoce. Si bien que les aumôniers de l'équipage, ne sont plus, dans la solennité de cet événement capital que les ombres pâlies, les figuras éteintes, les personnages effacés d'un ministère suprême que Jacques Cartier seul exerce ! Coïncidence providentielle I à soixante-treize ans de distance, il se trouvera un homme pour repren- dre et poursuivre la grande et fière tradition du capi- LA GRANDE HERMINE 117 taîne Malouîn sur la préséance de Tautorîté chré- tienne. Samuel de Champlaîn, le fondateur de la première ville du Canada, Thistorique cité de Québec, avait coutume de dire " qtie le salut d'une âme valait " mieux que la conquête d'un empire et que les rois ne " doivent songer à étendre leur domination dans les *^ pays infidèles qu>e pour y faire régner Jésus- Christ A ' N'est-ce pas que le Père œ la Nouvelle-France con- tinuait à la fois le rôle et la mission de son Décou- vreur ? Ce fut sur cette réflexion consolante que je quit- tai avec Laverdière le bord de la nef-générale " Grande Hermine. " 1. Hubert Larue Histoire Populaire du Janada, page 50. Et le Përe Marquette, l'iminortel explorateur du Mississipi, ne trouvait-il pas dans l'âme baptisée d'un petit enfant une récom- pense surabondante à ses travaux apostoliques ? C'est lui qui, revenant des sombres forêts où il avait découvert le Père des Eaux, écrivait dans sa relation ** Quand tout le voyage n'aurait valu que le salut d'une âme, '* j'estimerais toutes mes peines bien récompensées, et c'est ce *' que j'ay sujet de présumer, car lorsque je retournai nous ** passâmes par les Illinois, je fus trois jours à leur publier les " mystères de notre foy dans toutes leurs cabanes, après quoy, *' comme nous nous embarquions, on m'apporta au bord de l'eau " un enfant moribond que je baptisay un peu avant qu'il '* mourût par une providence admirable pour le salut de cette ** âme innocente." I . CHAPITRE TROISIÈME LA PETITE HERMINE, Nous traversâmes l'espace qui séparait le Courliiti de la Grande Hermine^ puîs, après avoir soigneuse- ment refermé sur nous Técoutille de la Petite Her- mine, nous entrâmes dans la chambre de ses batteries. Je me crus transporté dans une salle d'hôpital, tant le spectacle qui m'y attendait me parut être la photographie saisissante des infirmeries plaintives et des dortoirs sans sommeil de THôtel-Dieu. Trois lampes d'habitacle suspendues par des chaînettes aux baux de la caravelle éclairaient mal cette chambre de batterie où des grabats remplaçaient les canons. 1 Les volets blancs des sabords, soigneusement fermés et calfeutrés d'étouppe contre le froid du dehors et les courants d'air, simulaient à se méprendre, dans le vaigrage du vaisseau, les petites fenêtres percéss dans "une muraille d'hospice. Sur les deux côtés de la cara- velle, la tête au flanc du navire, étaient rangés des lits, 1. Pendant l'abâence de Jacques Cartier à Hochelaga, un retranchement avait été élevé autour des navires et armé de pièces de canon, de maniëre à être aisément défendu contre toutes les forces du pays. Cette précaution était dictée par une sage prévoyance, car, pendant l'hiver, il s'éleva quel^ir-'^v^-^.ri;.'/^ ^>" IfiS LA PETITE HERMINE Ecoute encore. Après la messe, à la sortie, une querelle terrible, une prise de bec épouvantable entre le père et Pierres Soubeyrol,* à propos d'un bout de chandelle que le susdit Pierres lui avait, parait-il, volé à l'église, en se prosternant sur le fanal du père, à \ Elévation. Oh ! la bonne farce ! Toutes les histoires des grand'pères, des grand'- grand'pères. et des arrière grand 'grand'pères ressas- sées en plein vent, des mauvaises paroles, grosses comme la tête, des éclats de rire qui sonnaient fort comme djes trompettes. Tous les gamins de la foule accourus faisaient un beau grand rond autour de nos deux querelleurs. Da-oui ! Ton se serait cru à la foire devant les saltimbanques qui se désos- sent ou les bouviers de Roc-Amadour qui se battent. Il fallut voler un cierge pour rallumer la lan- terne. Maître Genhic fit le coup. C'était un bon apôtre et Ton n'est pas acolyte pour rien. A tous les recoins de la rue une bourrasque endiablée souf- flait le lumignon. Fallait rallumer, c'est-à-dire, battre le briquet. Et tandis que je courais m'accroupir le long d'un mur, sous un porche, avec le damné fanal, Hérault, le galant le plus éveillé de St-Brieuc, parlait à mon amoureuse avec un sourire. . . .et des yeux ! Terr-i-ben ! comme je le regardais. Je n'entendais pas un traître mot, ce qui ne m'empêchait pas de tout comprendre, et le sang de me siffler aux oreilles. Je battais le briquet avec rage .... sur la tête du fanal Le vieil Yvon criait Prends donc garde, ça cent ans ! Les polissons du quartier n'en visaient pas moins la relique, et l'attrapaient, da-oui ! Mon brave homme de père cachait alors le bijou sous son manteau ce qui nous procurait le double avan- tage de marcher à l'aveugle et de recevoir les boules de neige sur la tête. LA PETITE HERMINE 129 Finalement, un maître coup ; les vitres qui cassent, le briquet qui s'égare, au fond de mes poches, le père qui se trompe de porte, et toute notre bande joyeuse qui, entre chez vous, Anthoine, prendre le réveillon, O la bonne farce ! Da-oui ! En a-t-il fallu ipanger de vieilles salaisons pour changer, comme cela, un aussi bon sang en scorbut ! Et tandis que la gaieté de cette pensée gauloise s'effaçait dans Tesprît d*Yvon LeGal avec le sourire furtif de ses lèvres malades, le Breton regardait fixement la flamme de la bougie, comme si la vision présente de ces choses lointaines se fut jouée, avec un vol silencieux de phalène, dans le rayonnement de sa lumière. LeGal ajouta d'une voix grave Il y a de cela dix ans ! Que le temps passe vite ! Voilà neuf ans que tu es missionnaire et voilà sept ans que je suis marin. Les bessonnes ont quitté la maison Taînée en Picardie, la cadette en Lorraine, mariées toutes deux à des paysans qui n'ont pas sous les yeux. Dieu merci, en labourant leurs champs, le spectacle dangereux de la Mer. Le petit Genhic, Tenfant de chœur de St. Brieuc, est soldat. Moi, je me suis amusé à courir les grèves de Bretagne, à voir partir les grands vaisseaux, à me demander où ils allaient quand on les regardait à l'horizon disparaître. Tu sais où cela m'a mené } Des quatre enfants que nous étions à la maison paternelle, pas un cette nuit avec la vieille mère ! Il y a bien ma femme, l'amoureuse de 1725, la même en dépit de Mérault, de Mérault qui n'a pas eu Simonne, et puis ta sainte mère à toi ; mais des femme» ensemble, c'est encore pis, ça s'encourage à 130 - LA PETITE HERMINE pleurer. Elles doivent être à cette heure à la mai- son, ou bien peut-être à Téglise, récitant leur cha- pelet, le visage à l'Océan ; car, sans injustice, elles doivent penser davantage à ceux d'entre nous qui sommes les plus perdus. Douze cents lieues des terres de France, dis donc Anthoine, c'est trop loin, même pour un exil ! Comme le bon Dieu a soufflé sur nous avec colère ! Il n 7 a pas de feuilles mortes plus dispersées que les nôtres, et dans les arbres de cette sauvage forêt canadienne il n'y à pas de nids plus vides que le duB-nous de St. Brieuc ! Pauvre père Yvon ! Quand il passa dans son cer- cueil le seuil de notre porte, nous nous en allions dans îa rue^ la mère, les sœurs, Genhic et moi, titu- bant de douleur comme des gens ivres, criant de cha- grin, inconsolables, désespérés et nous disant les uns aux autres qu'il n'y aurait jamais à la maison de pire départ que celui-là. Et voilà qu'il advient que le père est aujourd'hui celui qui nous a le moins quit- tés ! Il n'est parti que pour se rendre au bout de la rue Du Guesclin, sa promenade ordinaire. Seule- ment, il n'est pas encore revenu. Il n'en est pas moins à St. Bneuc pour tout cela. Comme les bons vieillards, il s'attarde à l'église ; il est si bien, là, sous son banc, à dix pas du lutrin, en pleine nef de cathé- drale. Il assiste en ce moment avec les autres, à la messe de minuit, et le bon Dieu lui permet sans doute de s'éveiller un peu pour entendre chanter, encore une petite fols, les vieux noëls de la Bretagne. Pauvre père Yvon ! lui si ponctuel, si exact, si régulier, comme il doit être heureux de se voir mis là. Le voici bien, cette fois, rendu le premier à l'église, et pour longtemps. Avec cela, plus de fanal à allumerp plus de raffales à craindre de la part de * LA PETITE HERMINE 131 cet ér^crable nord -ou est qui souffle en tempête, plus de chamaîllis avec Pierres Soubeyrol ; le bout de chandelle brûlé jusqu'aux bobèches, la lanterne éteinte maintenant» et pour toujours. Yvon Le Gai eut le sourire forcé d'un homme quï plaisante à contre-cœun Tu sais, dit*il brusquement à Dom Anthoine, tu sais, je Tai vu ! L'aumônier le regarda ébahi.— Tu Tas vu ? maïs qui donc ? Lut l le père, le mien, Yvon Le Gai Fancîen, J'ai cru d'abord que c'était un infirmier avec sa veilleuse qui passait comme toi dans la chambre des battmes ; mai? quand j'aperçus les petites vitres, les lozanges du fanaK je me suis dit; c*est le vieux \ Il n'y avait que lui qui en eut un pareil dans tout St Brieuc. Qu'il était bien lui-même avec son costume de pêche, son chapeau en toile goudronnée» sa vareuse bleue, ilottant à grands plis dans le dos, comme une voile qui claque au vent, ses grandes bottes de cabotage, hautes jusqu'à la cuisse, en cuir rouge comme la vase dans les chemins de Vannes après la pluie. Il s'en allait paisible, faisant courir silencieu- sèment la lumière de la lanterne sur chaque visage endormi. Il identifiait les gars de Bretagne un par un et les nommait à un interlocuteur invisible ; Louys Douayrer^ pays de Brest ; Pierres Nyel. l'insulaire de Boëdic ; Michel Eon, de Lorient ; Guillaume de Guernezé ; puis les quatre Jelmn du bord de la Grande Hcrinine Jt^ian Go^ un pays de Quîberon \ le charpentier Je^ian Aîsmery, de Vannes ; Jehan M aryen, de Nantes ; et Jeluin Jacques, Morbihen, Da-^oui ï il savait bien sa côte de Bretagne! Rien d'étonnant, il Tavait encore plus courue qu^apprise. -1>"^' 132 hA PETITE HERMINE Il reconnut ensuite le premier gars de St. Brieuc, Colas Barbe, de la rue du Gouët ; puis, à la suite, Bertrand Samboste, de la rue du Guesclin. Samboste est mon voisin de lit. C'était à moi le tour. Terr-i-ben ! Je crus que ça serait une chose terrible que de m^entendre nommer par un mort Il n*en fut rien toutefois. Le père me dit simple- ment, lentement, tendrement, avec une expression navrée de désespoir qui acheva de me fondre le cœur -dans la poitrine Comme tu es loin, Yvon ! comme tu es loin ! Il ajouta Ta mère, celle d'Anthoine, Isabelle ta femme, sont à la cathédrale, dans la nef. Elles, se souviennent, elles, prient ! Le père dit encore Il ne faut pas que tu m'oublies ! Tu sais, là-bas, la mer était mauvaise, provocante, irascible. Elle crevait méchamment nos pauvres petits bateaux sur les récifs. Cela gâtait le cœur, il devenait haineux. Encore, si elle s'était contentée de prendre la barque ! Mais emporter le matelot et ne pas rendre le cadavre ! Alors la plainte du rivage se changeait en blasphème et toutes les chaumières criaient avec lui " Malé- diction ! " Le spectre cessa tout-à-coup de parler, comme s'il eût eu peur d'être entendu. Puis se penchant sur moi, avec des yeux hagards, et la voix craintive d'un forçat qui complote, il me dit dans un râle Là-bas! Yvon, là-bas, mon enfant, toute colère s'expie ! Et le père levait la main dans ne direction, sur un point, qu'il n'osait pas même regarder. Aussitôt, je me rappelai les missionnaires prê- chant les retraites à St. Malo, à Brest, à Nantes, LA PETITE HERMINE 133 à Rouen, et qui comparaient toujours Téternîté à un rivage, la vie humaine à un brouillard épais, la Mort à un pilote guidant, à l'insu de Téquipage, la marche du navire, et l'amenant fatalement au but. Alors je me souvins qu'un soir, à St. Brieuc, dans la cathé- drale noire de têtes, le frère-prêcheur disait qu'il y avait, en vue du ciel, il appelait cela \ entrée duport^ pour les ' caboteurs qu'il y avait, en vue du ciel, un lazaret sévère où tous les navires, grands et petits, devaient faire escale, quelques fussent les chiffres du tonnage, le nom de l'amiral ou l'orgueil du pavillon. Au sortir de l'église personne ne demandait ce que le missionnaire avait voulu faire entendre par ce vulgaire et terrible mot de lazaret. 1 Chacun s'en allait tête basse, comptant les morts dans sa famille et se disait, en regardant la lumière rougeâtre des chaumières échelonnées là haut sur les falaises de Bretagne les feux du Purgatoire ! Ce que je te dis maintenant est long à écouter ; cela prendrait, sans doute, beaucoup de pages dans un livre ; n'empêche que tout cela passa dans ma mémoire avec la rapidité de l'éclair. Le vieux était toujours là, au chevet du lit, muet, impassible, attendant ma réponse, — une réponse qu'il ne me demandait plus maintenant que par une épouvantable fixité des yeux. 1. Ce fut Barnabo, seigneur de Milan, qui le premier enjoignit de purifier avec le plus grand soin tout ce qui proviendrait des pestiférés, auxquels il interdit, sous peine de mort, l'entrée de \A Lombardie. 1383. Les Vénitiens, pour concilier l'intérêt de leur commerce dans le Levant avec les précautions commandées par le soin de la sauté publique, bâtirent dans l'île de St-Lazare des auberges de quarantaine que l'on appela lazoâ-ets^ de 1423 à 1468. Bescherelle, au mot ** Quarantaine," .'P"t»5VW h 134 LA PETITE HERMINE Aussi moi, je demeurais cloué suc mon grabat, silencieux, stupide, m'assèchant la gorge à me rap- peler quelques mots d*excuse banale, et ne trouvant ^ que du creux au fond de mon cerveau vide, et de ma mémoire paralysée. - Alors le spectre s^éloigna, marchant à reculons jusqu'à réchelle d'écoutîUe, qu'il remonta lentement, lentement, comme s'il eût voulu me donnfer encore le temps de le rappeler, de lui crier enfin " Père, j'ai souvenir, je prie !" ^ Soudain le fantôme réapparut sur l'escalier, leva la lanterne à la hauteur de son visage et demeura I immobile, comme une statue. Je poussai un cri horrible. Imagine que les chairs ^ de la face venaient de tomber en poussière et que, sous le chapeau de cuir luisant, une tête de mort, j; xblanche, hideuse, un crâne grimaçant me regardait i sans dévier ! l Je me suis éveillé à mon propre cri. L'as-tu en- tendu Anthoine ? Il a dû être épouvantable. p Non, répondit l'aumônier. C'est possible, repartit Yvon LeGal, car, le plus souvent, les cris que l'on jette en songe ne sortent pas ^ de la bouche et ne résonnent que dans la poitrine. \ C'est un mauvais rêve, tout de même, remarqua le k prêtre. Je l'avoue, Anthoine, c'est un cauchemar effrayant ; mais j'aimerais encore mieux être endormi. ?. Pourquoi ? demanda l'aumônier. Le rêve, vois-tu, le rêve, nous n'avons plus que lui ; maintenant pour retourner en France. Un rêve ! mais je donnerais toutes les flottes du royaume pour les deux ailes d'un rêve ! Dom Anthoine sourit. — Yvon, dit-il, tu as la '; fièvre ; je vais appeler l'apothicaire. LA PETITE HERMINE 135 LeGal haussa les épaules avec dédain — Françoys Guitault ? rhomme à la tisane ! ricana-t-il. C'était bien la peine assurément de trainer une pharmacie jusqu'à ce chien de Canada ! Un gradué de TUnî- versité de Montpellier, un docteur ès-sciences qui s*en va chez des moricauds, des Algonquins, de sales sau- vages plus barbouillés que des volets d'auberge, ap- prendre à infuser des écorces, à échauder des épi- nettes blanches ! 1 Da-oui ! elles valent quelque chose les pilules, les fioles et les emplâtres du sieur Guitault Faudra remporter ça . . au retour ! Au retour ! Ah ! la sotte escapade ! la sinistre farce ! On part, un beau matin, tout d'un coup, en fou qu'on est, sans même savoir où l'on va. Puis arrivé si Ton arrive ? Ton sait encore moins le pourquoi de l'arrivée et le comment du retour» Cette bêtise là, cette colossale équippée, ça s'appelle la Gloire. > . .avant de partir. L'interprète Domagaya avait lui-même ëtë atteint du acorbut AU point de ne pouvoir marcher. Il se guérit en employant, comme remëde, les feuilles et Técorce d'un arbre qu'il dëaigna, €et arbre, nommé anedÛAi parles sauvacres, était vraisemblable- ment répinette blanche. Le traitement indiqué fut essayé avec succès ; et les guérisons furent si rapides et ai complètes^ que tous ceux qui voulurent s'en servir furent sur pied \^n huit jours. Ferland Histoire du Canada^ Tome 1er, page 35. La tisane de T Algonquin fit merveille, et sa vogue égala son succès. A preuve, ce passage de la Relation du Second Voyage de Jacques Cartier le capitaine fit faire du breuvage pour faire boira ^a- malades, desquelz n'y avait nul d'eulz qui voulustesKayerlediet breuvage, synon un ou deux qui se misrent en advonture d*icel- lui assayer. Tout incontinent qu'ils en eurent beu, ils eurent Tadvantage qui se trouva être un vray et évident miracle. Car de toutes maladies de quoy ils étaient entachez, après en avoir beu deux ou trois foys, recouvrèrent santé et guarison. Après ce avoir veu et congneu y a eu telle presse la dicte médecine ,.^^^.^-,^ -T^J^F.^-iy^v-. ;••- 7^ r^v-; -^_ ^rrr^.^^-.^^. ^ ^f^t^^^Tf^^^^^SI^Jf^f^^ ' ' 136 LA PETITE HERMINE Quand il m'arrive de songer à cette exécrable aventure, mon sang fermente, non pas de fièvre ou de délire comme tu penses, mais de colère, oui, d'une rage blanche, féroce, aveugle, qui voudrait avoir une mâchoire de tigre pour mcrdre sans lâcher dans quelqu'un ou dans quelque chose. Ah ! que sommes- nous donc venus faire en ce maudit pays, sur cette terre de Caïn 1 ? Le sais-tu toi, Anthoine ? Yvon Le Gai fermait les poings en criant cela ; telle était son exaspération qu'il ne s'apercevait pas que sa bouche malade, fatiguée à cet excès de paroles, saignait par tous ses ulcères. Dom Anthoine le regarda avec un œil froid, tran- chant, aiguisé comme une lame de scalpel. Puis il dit Oui, LeGal, je le sais, moi ; car maintement je me rappelle qu'en cette nuit même Jésus-Christ, Notre Seigneur, a voulu naitre sur la • terre pour y venh*. Tu as raison, LeGal, ce n'était vraiment pas la peine que on si voulait tuer à qui premier en aurait. De sorte que un arbre aussi gros et aussi grand que chesne q^i soit en France a esté employé en six jours ; lequel a faict telle opération, que si tous les médecins de Louvain et de Montpellier y eussent esté avec toutes les drogues de Alexandrie, ils n'en eussent pas tant faict en ung an, que le dit arbre a faict en six jours. Car il nous a tellement profité, que tous ceux qui en on vouUu user ont recouvert santé et guarison, la grâce à Dieu- Vayage de Jacques Cartier^ 1536-36 — Ch. XV, édition 1545. 1. Voici ce qu'écrivait Jacques Cartier explorant la côte du Labrador ^^ Si la terre correspondoit à la bonté des ports ce seroit un grand bien, mais on ne doit pas l'appeler terre ; ains- mais plutôt cailloux, et rochers sauvages, et lieux propres aux bêtes farouches d'autant qu'en toute la terre devers le Nord, je n'y vis pas tant de terre qu'il en pourroit tenir dans un benneau et là toutefois je descendis en plusieurs lieux ; et en risle de Blanc Sablon n'y a autre chose que mousse et petites épines et buissons ça et là séchez et demi-morts. Et, en somme, je pense que cette terre est celle que Dieu donna à Caïn. Premier Voyage de Jacques Cdrtier 1534, ch. 8, pages 5 et 6* LA PETITE HERMINE 137 r de naviguer sî longtemps pour annoncer à des Sauvages une nouvelle qu'il aurait fallu apprendre, avant le départ de St. Malo, aux marins d'une flotte française, à des catholiques de .la Basse-Bretagne ! Cette pensée-là, vois-tu, excuse ceux qui partent sans savoir où ils vont, les console lorsqu'ils n'arri- vent pas au terme, leur fait voir le retour différable et de peu d'importance le but une fois atteint. C'est la raison du missionnaire. Èst-elle bonne celle-là ? Tn es encore meilleur qu'elle, s'écria Yvon LeGal avec chaleur. C'était une âme grande et belle, un franc et noble cœur que cet Yvon LeGal, oubliant, devant la splendeur de l'idée, la morsure sarcastique des mots et jusqu'à l'aigreur de la voix railleuse. Que veux-tu, ajouta le marin, c'est la famille qui nous gâte ; ça nous rend égoïstes. Au fond, c'est tout ce que l'on aime, rien que cela ; d'autre part, c'est tout ce qui peut nous aimer le mieux. Ah ! le chez- nous ! le ckez-noji^ ! ! il faut encore plus de courage pour le quitter que pour le défendre ! Malo ! Malo ! ! 1 bien parlé, camarade, crièrent en même temps plusieurs voix, ça nous fait comme cela nous autres ! Cette exclamation me fit tressaillir. Et j'aperçus, à la droite, à la gauche, en face d'Yvon LeGal dix à douze frères de caravelle, couchés sur leurs grabats, les coudes dans les oreillers, écoutant le causeur avec des bouches grandes ouvertes. Ce trait de phy- sionomie en disait long sur l'intérêt vivace du récit. Les yeux brillaient autant de curiosité que de peur, et 1. McXo ! Maloli cri breton répondant à Texclamation fran- çaise Vive ! Vive l ! 138 LA PETITE HERMINE c*était amusant de voir étinceler ces prunelles tout à l'heure éteintes, en apparence, sous des paupières lourdes closes. L'incomparable somnifuge qu'une histoire de revenant ! Yvon Le Gai regarda ses auditeurs avec ravisse- ment tous des Bretons ! dit-il. C'en était parbleu ! et de bonne marque Georget Mabnie, de Ploërmel ; Jullien Plantirnet, de Lander- tieau ; Lucas Clavier, de Lorient ; Jehan Ravy, de Tréguier ; Michel Andiepvre, de Quiberon ; Pierres Coupeaulx, de Dol ; Jacques Poinsault, de Quim- perlé ; Michel Phelipot, de Rennes ; Jehan Coumyn, de St. Pol de Léon ; Richard Le Bay, de St Cast. Alors Yvon Le Gai se leva Debout^ les gars ! commanda-t-il. C'est aujour- d'hui la grande et joyeuse fête du Christ, le jour anniversaire de sa naissance. Au nom de la vieille Armorîque, je propose trois Noëls en son honneur ! Ça, mes gabiers, crions si fort qu'on nous entende jusqu'en Bretagne ! Cette explosion de joie éveilla tout le dortoir, jus- qu'à Bertrand Samboste, ronfleur incomparable, qui s*étira paresseusement en baillant de tous ses mem- bres. " Dame ! qu'il dit, c'est comme cela, vous autres ; vous laissez dormir les amis quand on parle de là bas ! Ce n'est pas généreux. Eh ! bonjour St. Pol, bonjour Tréguier, bonjour Landerneau ! Quelle bonne nouvelle ? Ceux que Bertrand Samboste saluait ainsi de leurs noms de village n'étaient autres que Jehan Coumyn, Jehan Ravy et Jullien Plantirnet. — Tréguier, Landerneau, St. Pol de Léon sont trois bons voi- sins de hameaux, assis depuis mille ans sur les grèves LA PETITE HERMINE 139 septentrionales de la Bretagne; et qui ne se fatiguent pas encore du grand spectacle de la Mer. Bertrand Samboste répéta Quelle nouvelle ? Une grande et bonne nouvelle, répondit Dom Anthoine, Je vous apprends la Naissance du Christ, venu cette nuit même sur la terre pour y souffrir encore plus que vous. Bertrand Samboste leva sur Taumônier un regard froid, silencieux^ puis il porta la main à sa bouche malade et dit avec un, sourire triste Cela n'est pas possible, messire aumônier, cela n'est pas possible ! Tous les vçisins de Bertrand Samboste penchèrent la tête en signe d'assentiment, et ces désespérés de la douleur répétèrent à Tunissoh le mot amer du timonier " Messire aumônier, cela n'est pas possible ! Alors le missionnaire répondait Vous êtes couchés dans un cadre, et II dormait dans une crèche, sur la paille d'une étable. Vous vous plaignez ? A Bethléem II ne s'est pas même gardé une place dans l'hôtellerie et II vous a paternellement ménagé la vôtre, à douze cents lieues de la patrie, sur ce navire^ que sa Providence a sauvé de la Mer et du Feu. Les délicats, continuait le prêtre avec un accent de raillerie douce, les délicats ! les douillets ! ! ils se plaignent du bon Dieu qui a établi leur maison dans un caravelle vice-royale portant à la corne de son mat d'artimon le plus beau des drapeaux de la terre ! Durant que l'aumônier parlait de la sorte, Ber- trand Samboste, assis sur son séant, regardait avec inquiétude à tous les coins et recoins de la chambre rn 140 LA PETITE HERMINE des batteries — Dom Anthoine s'en aperçut le pre- mier. Que cherchez vous, dit-il ? Sambostc répondit Terr-i-ben ! Vous me faîtes peur ! Qui ? Moi ? Non pas, messire aumônier, mais votre surplis, votre étole, ia toilette de Philippe ! Quelqu'un de nous autres va-t-il encore s'en aller ? Ah ! le chemin, le chemin de Rougemont ! Vous avez le cerveau hanté, mon excellent amî, dit le prêtre. Je n'apporte à personne les derniers sacrements. J'attends seulement delà Grâijfe//>r/;2zW le signal de V Elévation de la messe pour réciter avec vous tous les Prières de la Nativité. Cette réponse ne m'expliquait pas cependant ce que Samboste avait voulu dire par la toilette de Philippe, Quel était ce pauvre Philippe dont il parlait si mélancoliquement ? Et le chemin de Rouge- mont, où menait-il ? Un horrible 'soupçon me tra- versa l'esprit et j'eus, tout de suite, le pressentiment sinistre d'une plus sinistre vérité. Cette route incon- nue devait courir droit au cimetière, et \^ pauvre Philippe ne devait être autre chpse que le cadavre d'un matelot jeté à la mer par un sabord, cette porte basse de l'éternité pour les marins surpris en route. J'allais interroger mon guide à ce propos, quand une détonation formidable ébranla l'atmosphère. Le canon ! dit Taumônier, Y Elévation de la messe I A vos rangs matelots ! En effet Tartillerie du Fort Jacques Cartier tirait LA PETITE HERMINE 141 une salve d'honneur. 1 L'éclair des pièces et le fracas de la poudre ébranlaient à ce point le navire que Ton aurait parié que la batterie manœuvrait sur le pont de la Petite Hermine, Alors il se passa une scène incomparable de gran- deur. Tous les invalides du bord se levèrent de leurs cadres et vinrent se ranger en ordre de^ parade au milieu du vaisseau, formant, avec leurs quatre lignes, un parallélogramme parfait. Dom Anthoine entra dans le fcarré, et, le visage dans la direction de la Grande Hermine^ récita d'une voix grave et douce les belles prières de la Nativité. Puis il entonna, et avec lui toute l'infirmerie poursuivit, la prose célèbre de la fête de Noël Votiè Pater annuit, Justum pluunt sidéra Salvatorem genuit, Intacta puerpera Homo Deu8 nascitur. Tuj lumem de lumine, Ante solem funderis ; Tu^ numen de numiney Ab seterno gigneris, Patri par progenies. Tantua es ! et superisy Qux te prœmit caritas ! Sedibus deiaberis Ut surgaJt infirmitas^ Infirmus humijaces. L Je n'ai fait suivre à l'équipi^e de Jacques Cartier qu'un vieil usage passe à l'ëtat de traditionnelle coutume de la Nou- velle-France aux fêtes de Noël. Les extraits suivants du Jour- nal des Jésuites le prouvent surabondamment " M, le Gouverneur avait donne ordre de tirer à l'élévation 142 LA PETITE HERMINE J^étaîs Stupéfait du courage de toutes ces bouches malades chantant avec un irrésistible élan dé ferveur cette vieille hymne de la Foi Catholique. Les braves gens ! m'écriai- je, comme ce qu'ils chantent est beau ! Laverdière eut un éclat de rire sarcastique, et me dît En vérité, monsieur, vous avez l'attention vive. Je vous en félicite ! Ce latin-là, voici trente ans qu'on vous le donne ^u lutrin de la Cathédrale. Le para- doxe a raison, en toilette comme en musique *^Rien de neuf comme le vieux!' Il ajoute presque aus- sitôt, avec un accent de deux reproche " Ah ! mon ami, si vous écoutiez au lieu d! entendre ! Oui, si vous écoutiez attentivement chanter la Liturgie Catholique dans les vieilles églises du Bas-Canada ! Quelles grandes épopées, quels héroïques poèmes racontent ses hymnes saintes, et comme leurs strophes alter- nantes récitent avec un art merveilleux les pages les mieux écrites de l'histoire du pays ! Ça, avouez-le moi, en bonne sincérité, vous est-il possibleden'êtrepasémujusqu'auxlarmeslorsque,dans unegravecérémoniereligieuse,onchanteàQuébec,sous les voûtes centenaires de Notre-Dame, l'invocation solennelle et magistrale du Ve7ii Creator Spiritus ? Elle me causait à moi, sur la terre, un attendrisse- ment indicible. Ce n'est plus Toreille, mais le cœur qui écoute, qui vibre à l'unisson des voix et de l'orgue. ** de la messe de minuit plusieurs coups de canon lorsque notre '* F. sacristain en donnerait le signal mais il s'en oublia t ainsy '* on ne tira point." Journal des Jésuites, p^ge 21. 25 Décembre 1645. ** On tira cinq coups de canon à l'élévation de la messe de ** minuit." Journal des Jésxdtes, page 74. 25 Décembre 1646. ** Le Fort tira cinq coups au Te Deuwi de la messe de minuit." Journal des Jésuites, page 97. 25 Décembre 1647. / V'7WX\ LA PETITE HERMINE 143 Vent Creator Spiritus ! c'est lui que chantaient les trois équipages de Jacques Cartier, dans l'église ca- thédrale de St Malo, le i6 mai 1535, un jour de Pentecôte ! Comme 1* Esprit-Saint a bien répondu à l'appel, et que son souffle se reconnaît à la brise favo- rable qui s'éleva sur la Mer, semblable au bruit du vent que les apôtres entendirent ! Vent Creator Spirittis ! Samuel de Champlain, à Québec, 1 LaViolet^e, à Trois-Rivières, 2 p^tul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, à Montréal, 3 Pont chanté tour à tour ; et après eux, le Collège des Jésuites, aux ordinations de ses prêtres et à ses con- cours de philosophie. ^ Veni Creator Spiritus ! c'est lui que chantait Laval au Séminaire des Missions Etrangères, et c'est encore lui que répètent, dans la chapelle séculaire de sa maison, les prêtres-profes- seurs de son Université. Veni Creator Spiritus ! c'est lui que chantaient, aux avant-postes de la civilisation chrétienne, ces pionniers incomparables de l'Evan- gile, les Jésuites missionnaires au pays des Hurons, dans leurs bourgades célèbres de Ste. Marie, St. 1. 3 Juillet 1608. Fondation de Québec. 2. 4 Juillet 1634. Fondation de Trois-Rivières. 3. 18 Mai 1642. Fondation de Montréal. 4. Le 2 Juillet 1666 furent soutenues, au Collège des Jésuites, les premières thèses publiques sur la philosophie en présence de messieurs De Tracy, de Courcelles et Talon. ** Le 2 Juillet 1666 les premières disputes de Philosophie se •' font dans la Congrégation avec succez. Toutes les puissances " s'y trouvent ; M. l'Intendant entr'autres y a argumenté très •* bien. Mons. Louis JoUiet et Pierre de FranchevSle y ont très ** bien répondu de toute la Logique." *' Le 15 Juillet 1667, Amador Martin et Pierre de Franche- *' ville soutiennent de toute la Philosophie avec honneur et en '• bonne compagnie." Le Journal des Jésuites, pages 345 et 355. Ferland Histoire du Canada, Tome II, page 63. ^^^^^'•^f^ 144 l-A PETITE HERMINE José pli, Sfc. Louis, St Jean -Baptiste, St Michel. Feni Creator S pi ri tus ! c'est lui que chantaient ces hardis expéditionnaires du lac Gannentaha, la plus héroïque aventure de l'apostolat catholique au pays des Iro- quois, la course la plus téméraire, la plus divinement insensée à cette nr^ission flottante que la Relation, et après elle l'Histoire du Canada, nommèrent avec tant de justesse la Mission des Martyrs. Veni Creator Spiritm / les trois pouvoirs civils de la Nouvelle France, le militaire, la magistrature, le gouvernement administratif, le chantaient aux séances solennelles du Conseil Supérieur à Québec, et à l'arrivée des nouveaux vice-rois. Fondations de villes, fondations de paroisses, fondations de collèges, fondations d'institutions poli- tiques, toutes ont prospéré, toutes sont demeurées debout, fortes, vivantes^ progressives, exubérantes de sève et d'avenir. Le village est devenu cité, la mission s'est faîte paroisse, le collège, université, la Colonie, puissance, oui Puissance du Canada. Et le chant immortel de la vieille hymne catholique se continue. Voix ferventes des choristes, poésie des strophes, beautés de l'harmonie, rien ne change, tout demeure, comme la Vérité dont il est le pre- mier écho. Veni Creator Spiritus ! Et, se grisant à l'enthousiasme de son propre langage, Laverdîère élevait la voix, comme s'il eût adressé la parole à quelque immense auditoire, grandissait sa petite taille, et déclamait arec une chaleur de gestes égale au feu sacré qui le brûlait comme une Sybille. Aussi, écouté à travers le bruit de cette voix dominante, le chant de la Petite Hermine me sem- LA PETITE HERMINE ï^ blait-il un accompagnement d'orchestre soutenant un récitatif d'opéra. Lesscorbutiquescliantaient toujours; Cœlum mi regia^ Stabnlum non requis ; Qui donas ivipeTia^ Sermformam induis Sic teris superbia^m.. , Vous me trouvez prolixe, continuait Laverdière mis en verve par la musique, vous me jugez bavard^ intarissable. Que voulez^vous l je siiis comme les anciens, j'aime à parler, à m'appuyer sur mes idées favorites, comme ceux-là, quand ils mar- chent, sur les épaules solides ou le bras vigoureux de leurs enfants. Mes souvenirs, voCà mes meil- leurs bâtons de vieillesse 1 Je vous ai donné tout à Theure le développement historique, Tamplification littéraire des idées reli- gieuses et nationales que m'inspire la prière du Vent Créa for chantée dans nos églises. A vous mainte- nant, cher ami, de répéter Texpérience, de la repren- dre sur d'autres hymnes liturgiques, avec le Te Dettmy par exemple, un beau sujet, facile et tout exubérant d*tmagination. Je vous le donne allons, marchez ! Et, comme s'il se fût douté que je n^en ferais rien, il poursuivit avec cet accent d'enthousiasme qui lui était familier " Rappelez-vous le TV Dmmi chanté, à St-Malo, au retour de la célèbre expédition de Tannée 1535, par l'équipage de Jacques Cartier, pour remercier la Providence de la découverte du Canada ; le Te Deum chanté à Québec, par Samuel de Cham- plain, le 23 mai 1633, pour rendre grâce à Dieu de la recouvrance du pays ; le Te Deum, chanté, cel u i -1 à^d an s tou tes 1 es églis es d e 1 a colon [e,e n mém oi r e 10 ï 146 LA PETITE HERMINE de rhéroïque triomphe de Dollard des Ormeaux sur les féroces Iroquoîs ; plus tard, le Te Deum chanté, à Notre Dame de Québec, à la nouvelle de la découverte du Mîssissîpi ; le Ti^i?^/^w chanté, par Louis Hennepîn, au lancement du Griffon sur la rivière Niagara ; puis les Te Deum militaires, portant, comme des drapeaux de régiments, le chiffre de leurs glorieux millésimes 1690, 171 1, 1*758 ; celui de Frontenac, à Notre Dame de Québec, avec le pavillon-amiral de Sir William Phîps suspendu coAime trophée à la voûte sonore ; celui de Vaudreuil, à la chapelle de Notre Dame des Victoires, pour remercier Dieu d'avoir prévenu par une catastrophe effroyable la flotte de Tamiral Walker, et sauvé le Canada d'une conquête certaine ; celui de Montcalm enfin, chanté comme à Bouvines, par les aumôniers de l'armée canadienne- française, en plein champ de bataille, sous le rempart de Carillon ! Ce Te Deum est sans conteste la plus brillante de toutes ces répétitions d'actions de grâces. Que son éclat cependant ne vous fasse pas oublier le le Deum que Marie de l'Incarnation récitait avec ses religieuses, à genoux sur la neige, dans la nuit du 30 décembre 1650, pour remercier Dieu. , , . de r incendie de leur couvent. N'est-ce pas que devant une pareille grandeur d'âme la Providence dut elle- même trouver son épreuve petite } Rappelez- vous encore cet autre Te Deum que les Jésuites chantaient à la chapelle de leur séminaire chaque fois que Ton apportait au Collège la bonne nouvelle qu'un père missionnaire avait été assassiné au pays des Hurons, ou bien encore, martyrisé dans les terri- bles bourgades iroquoises. Bonnes nouvelles \ comme il leur en est venues t-^ LA PETITE HERMINE 147 en dix ans ! Ce .fut d'abord celle du Pire Jogues*; presque aussitôt celle du Père Daniel Un an plus tard il en vint deux à Ja fois, les deux meilleures souvenez- vous des morts glorieuses de Jean de Bré- beuf et de Gabriel Lalemant. Puis, à leur tour, les meurtres de Charles Garnier,de Chabanel, de Buteux, de Léonard Garreau. Tant et tant, qu*à la fin, la population de la petite ville de Québec en était arrivée à pleurer moins au carillon des cloches sonnant un glas qu'à la voix des Jésuites chantant un Te Deum ! Le maître-ès-arts me dit encore Ecoute !^ — * Mais Laverdière ne parla plus. L'infirmerie seule continuaient d'une voix plaintive et lente Nohis uUro similem, Teprssbes in omnibus ; Debilibus debilem, Mortalem mortalibus ; His trahis nos vinculis. Cum œgriè confunderisj Morbi labem nesciens ; • Pro peccatis pateris^ Peccatum nonfaciens Hoc uno dissimilis. Quelles paroles ! s'écria le maître-ès-arts ! En savez-vous de plus intimes, de plus attachantes, de plus attendries ? En seraient-ils de mieux appro- priées au divin caractère de cette fête et à la situa- tion désespérée de ces infirmes qui chantent avec des bouches souffrantes l'allégresse anniversaire de la Grande Délivrance ? Etudiez cette hymne de Noël en elle-même la mélodie de son thème et l'adorable simplicité de son récit semblent faites, comme les joies d'Andromaque, ^dpgt^r^ 14S LA PETITE HERMINE de sourires et de larmes. Cette musîque inspirée traduit tout à la fois et le bonheur extatique de TEpouse du Christ, pleurant de joie devant la beauté ëternellc de son Bien-Aimé, et Tamertume inconso- lable de la Mère du Christ, sanglotant de tristesse devant la pauvreté volontaire, l'indigence absolue du Dieu fait Homme. Tel est mon sentiment artistique à son égard, et je vous le donne pour ce qu'il vaut. Mais le charme divin de cette mélopée grégorienne se cen- *tuple pour moi, s'idéalise, quand, au lieu de lui prôter Toreille sévère du critique musical, il m'arrivé et cela très souvent de l'écouter avec ma seule mémoire reconnaissante de prêtre-historien. Comme ils chantent alors dans mon âme ravie, les noëls captifs, les noëls d'exil, les noëls douloureux de la patrie absente — 25 Décembre 1629 — 25 Décembre 1630—25 Décembre 163 i — Alors je me souviens de Guillaume Couillard, d'Abraham Martin, de Guil- laume Huboust 1 , de Pierre Desportes, de Nicolas Pivert, 2 réunis avec leurs familles dans la chapelle déserte de notre Vieux Château St Louis, et récitant à chaudes larmes la prière du matin. 3 Connaissez- K Guillaume Huboust épousa la veuve de notre premier jiaj^san Louis Hébert, mort le 27 Janvier 1627, à la suite d'un accident. Di^'ionriaire Généalogique de l'abbé Tanguay. 2, Les cinq seuls paysans français demeurés au Canada après bt prise de Québec par les Kertk. 3. ^* Le 13 Juillet 1632, Québec fut remis entre les mains *^ d'Emery de Caën et du Sieur DuPIbssis Bochart et le même ** jour, leiï Atigjjàis firent voile sur deux navires de chargés ""' pellctoriea et de marchandises. Il y avait déjà près de trçis ** aus qu^ils s'étaient emparés du Canada. Les Français restés " tlaua le p^iys avaient trouvé ce temps bien long aussi furent- ** ila remplifl de joie, lorsqu'à la place du pavillon anglais ils LA PETITE HERMINE 149 VOUS spectacle plus navrant que cet autel sans prêtre et cette communion des fidèles sans hostie ? 1 Cela ne rappelle-t-il pas le déjeuner d'un Premier l'An où des orphelins regardent à travers leurs sanglots les chaises vacantes de la table familiale, attendant en vain cette bénédiction maternelle que seule donnera maintenant à leur foyer l'invisible main de la Provi- dence ? Mais la Providence, poursuivit le maîtrc-ès-arts avec un renouveau de chaleur éloquente, mais la Pro- vidence ne se laissa pas vaincre en générosité. Sa récompense dépassa l'épreuve de si haut qu^elle faillit tuer de joie ces stoïques paysans qui avaient eu l'immense courage de croire en elle jusqu'à la fin ï La récompense ! demandez ce qu'elle fut à ces femmes et à ces enfants de laboureurs à genoux sur la petite grève de la Basse-Ville ; demandez ce qu'elle fut à ces habitants héroïques, à ces robustes patriotes, qui criaient, pleuraient, riaient, tout à la fois, au spectacle de trois grands navires portant à leurs cornes d'artimon le drapeau blanc d'Henri IV, le vieux pavillon des anciens marins de la Bretagne, *' virent flotter le drapeau blanc. Leur satisfaction f\it coni- '* plëte quand ils purent assister au saint sacrilice de l.'i meaae ** qui fut célébrée dans la demeure de Louis Hébert. Depuis le *' départ de Champlain 24 Juillet 1629 ils avaient été privés ** de ce bonheur." Ferland Histoire du Canada, Toni I, page 252. 1. Une sinistre prière du matin est celle que le Chevalier de Lorimier récita lui-même dans la chapelle de hi prison de Mont- réal le jour de son exécution. ** Aussitôt que sa toiletta! fut ** terminée De Lorimier sortit du cachot, et s'îKlressant à tous *' les prisonniers leur demanda de dire en comniun la prière du *' matin. Ce fut lui-même qui la fit d'une voix haute, feruie, et ** bien accentuée." L. O. David ** Les patriotes de 1837-88.'' page 24J5, 'v;^.'^ 150 LA PETITE HERMINE de Roberval, le petit roi de Vimeux, 1 de Pontgravé, le marchand'corsaire, 2 de Jacques Cartier, le hardi capitaine Découvreur ! Les trois grands navires se nommaient le Saint- Pierrey le Saint-Jean, le Don de Dieu, Ils portaient la fortune d'un homme plus heureux que César, et qui rentrait en possession de toute sa conquête, une conquête supérieure à celle des Gaules, un pays plus vaste que sa République, une terre plus large que la frontière du vieil Empire Romain. ^ Le Saint-Pierre ! le Saint- Jean \\\^ Donde Dieu ! ! ! Dites-moi, quel prophète eût mieux trouvé les allé- goriques légendes de ces trois vaisseaux ? Pierre ! Tapôtre de la Foi. Quel homme plus que Champlain avait eu cette foi absolue d'une absolue Providence, lui qui estimait le salut d'une âme préférable à la conquête d'un empire } Jean ! l'apôtre de l'amour. Quel homme plus que Samuel Champlain avait 1, François de la Roque, sieur de Roberval, que François 1er appelait ly " Feiit Roi de Vimeux^^ à cause du crédit illi- mité d^^nt ce gentilhomme jouissait dans sa province. Ferland Histoire du Canada, Tome 1er, page 38. 2, *' Poïitgravé, dit Emile Souvestre, était un de ces naviga- '"^ tours moitié -marchands, moitié-corsaires, qui, lorsqu'on les * ^ hêlrùt sur r Océan, arboraient le pavillon de leur maison de com- " morco, criaient *' Malouin " et passaient sous la protection de " leur courage.'* 3, L'éteiidue àa Canada est évaluée à 3,610,257 milles carrés C'est la plus grandes des possessions britanniques. L'Angleterre et l'Irlande réunies n'ont que 121,115 milles carrés d'étendue, de sorte que le Canada est trente fois plus grand que le Royaume-Uni. L'^^tendue de TEurope entière n'est que de 3,751,002 milles carrés j et par conséquent, il ne s'en manque que de 145,745 milles carrés que le Canada à lui seul soit aussi grand que toute l'Eu- rope, La surface du monde entier est évaluée par les géographes à 52,611^004 milles carrés, et par conséquent le Canada, à lui seul, forme un quatorzième de l'étendue du monde entier. i..;2 LA PETITE HEKMTNE 151 aimé le Canada Français, cette colonie née de lui, de son cœur et de son âme, plus étroîtement encore que sa famille, les enfants de son propre sang, lui que l'Histoire appellera jusqu'à la fin du Teirps Père û€ la Nouvelle France f Le Don de Dieu \ Après le Paradis, en connaissez-vous un plus magni- que sur la terre que , celui de la patrie recou- vrée ? ^ Ici le maître-ès-arts cessa de parler, moins encore pour me permettre de répondre à ses questions rapides, que pour reprendre haleine. Ce dont il me parut avoir grand et urgent besoin. L'infirmerie de la caravelle achevait la Prose de Noëlj et disait Amen à la belle et sainte aspiration du dernier verset i hijus igné cœlituSf Caritas acccnditur^ Ades ahne Spiritus ; Qui pro nrthi^ Tiascititr^ Da Jcsum diligere. Je vous le confesse à ma honte, ajouta Laver- dière^ en manière de péroraison, je vous le confesse à ma honte, ces réminiscences historiques me hantent obstinément la mémoire, même à l'église. Je m'y arrête complaisamment, au lieu de bien prier Que voulez'vous, ces hymnes magistrales du Venî Creator^ 1. Samuel ûq Chiimplain avait fait vœu à la Très Sainte Yiergti, s'il recouvrait jamais le Canada à la France, de lui hâfir nne égliae- Ce fut en accomplieflem^int de ce vœu autant qu'on mémoire de cette faveur ïnostimable que le Pfere de la Nouvelle France ^leva, sur le site actuel de notre Basilique, une église âoua le Tocablc caractéristique de Notre-Dame de Eêùvuvrancû. 152 LA PETITE HERMINE du Te Deuntj du Vexilla Régis prodeunt, 1 de \Ave Maris Stella^ du Pange lingiui gloriosi m'entraînent irrésistiblement à la suite des glorieux cortèges qui marchent à leur rhythme. Le bon Dieu m'a par- donné ces fautes de recueillement,'ces défaillances de Tesprit, ces distractions mondaines, car toutes ces escapades de mon imagination fatiguée d'études, se fondaient en un sentiment intense d'amour recon- naissant, de gratitude exaltée pour cet étendard du Monarqtce Eternel déployé, ponr ce mystère de la croix éclatant aux yeux de l'univers, et qui valait à mon pays, à cette adorée terre du Canada catholique et français d'inestimables bienfaits, et un honneur immortel ! Tout-à-coup Guillaume Le Marié, le maître du CourlieUy apparut sur l'escalier d'honneur de la cara- velle. Il revenait de la Gravide Hermine, Il entra précipitamment dans le carré formé par l'équipage et dit " A la gloire de Dieu ! à l'honneur de la Petite 1. Le chant du Vexilla Begis se rattache à deux événements historiques également fameux et de circonstance presque iden- tique. Le premier — 14 Juin 1671 — fut la prise de possession par Daumont de Saint Lusson, au nom du Roi de France Louis XIY, du lac Huron, du lac Supérieur, de la Grande Ile du Manitoulin et de toutes les terres découvertes et à découvrir entre les mers du Nord, de l'Ouest et du Sud. Le second— 9 Avril 1682 — fut la prise de possession de la Louisiane, par René Robert Cavelier, Sieur de la Salle, au nom du même Roi de France, Louis XIV. Le chant du Vexilla Begis Prodeunt rappelle encore les tortures du Père Poncet captif chez les Iroquois '* J'offris mon *^ sang et mes souffrances pour la paix, regardant ce petit " sacrifice la perte d'un doigt d'un œil doux, d'un visage *' serein et d'un cœur ferme, chantant le Vexilla et je me '* souviens que je réiteray deux ou trois fois le couplet ou la LA PETITE HERMINE 153 HerminCy en ma qualité de maistre de la nef^ je demande deux trompettes pour répondre sur le pont aux sonneries du vaisseau-amiral.'* L'on entendait en effet en ce moment, au dehors, deux clairons chanter la diane 1. Guillaume Le Marié n'avait pas achevé sa phrase que dix hommes sortirent des rangs et coururent au vaigrage de tribord où deux bugles étaient sus* pendus à leurs glands de soie verte. C'était une véritable curiosité pour l'œil que le spectacle de tous ces bras tendus vers les trompettes de cuivre. Un ** strophe Impleta s^mt qiiœ concinit, David fiddi carminé^ *' dicendo yiationihus, regnavit a ligno Deiis." Relations des Jésuites^ année 1653, ch. IV, pago 12* Le chant du Patige li^igua gloriosi rappelle une égale triateHae, peut-être même un plus long courage ** Mon cher amy, ** Je n'ay plus presque de doigts, ainsi ne vous eatonni^z pas '* si j'écris si mal. J'ay bien souffert depuis ma prise ; mais j'^ty " bien prié Dieu aussi. Nous sommes trois François hy qui fi\ ona ** été tourmentés ensemble, et nous nous estions accordez, que ** pendant que l'on tourmenteroit l'un des trois, les deux autres ** prieroient Dieu pour luy, ce que nous faisions touji^urs ; et *' nous nous estions accordez aussi que pendant que les deux *' prieroient Dieu, celuy qui seroit tourmenté chanteroit les ** Litanies de la Sainte Vierge, ou bien VAve MarU BUlhiy ou *' bien le Fange Ihigtia, ce qui se faisoit. Il est vrai que nos ** Iroquois s'en moquoient, et faisoient de grandes huées, quAVid ** ils nous entendoient ainsi chanter ; mais cela ne nous envpes- *' choient pas de le faire." Lettre d'un Français captif à un sien ami des Trois- Rkiières. Relations des Jésidtes^ 1661, page 35. 1. A ceux qui m'accuseraient de faire de la haut..^ fantaisie en donnant des trompettes aux matelots de Jacques Cartier je réponds de la manière suivante " Ce fait la distribution des cadeaux aux sauvages d' Hoche - ** laga, hommes, femmes et enfants le dit cappitaine com- ** manda sonner les trompettes et autres instrums^its de mu^iqite^ ** desquels le dit peuple fust fort réjoui." Voyage de Jacgiies CaHier. 1535-36, verso du feuilet 26, édition 1545, Aussi référer à la note de la page 81, Chapitre Deuxième de ce livre La Grande HermÂne. 154 LA PETITE HERMINE instant les deux clairons disparurent dans ce fouillis de mains insatiables. Puis deux hommes se préci- pitèrent sur le pont par l'échelle d'écoutille. Les vainqueurs de cette lutte chevaleresque, les bravî de cet ht^roïque tournoi se nommaient Yvon LeGal et Bertrand Samboste, les deux gars de St-Brieuc. A vos ran^s ! commanda le maistre de nef. L'équipage ou plutôt les invalides reformèrent le carré. Presque aussitôt une fanfare éclatante joua sur le pont C'était une musique étrange, triste comme le der- nier appeldu corde Roland,fantastique autant que IVîw/- lali du Féroce Chasseur passant à la vitesse d'un galop infernal dans les ballades de Burger. Mais toutes les nuances de cette sonnerie martiale se fondaient en un seul caractère harmonique pour l'équipage de la Petite Hermine l'orgueil de la caravelle ! Et ce sentiment unique du fier honneur relevait spontané- ment la tête à ces hardis marins de Bretagne et de Normandie. Les bugles avaient à peine sonné les dernières me- sures de la diane, que tout à coup, un détonnant vivat partit du bord de la Grande Hermine, C'étaient les gaillards de la nef-générale qui acclamaient leurs frères d'armes et d'aventure, les invalides du Cour lien. Perjou! 1 il ne fallait pas qu'une aussi grande et haute clameur allât s'éteindre sans réponse dans les ténébreuses profondeurs de la solitude. Au mépris de la discipline, malgré la voix terrible du maître de la nef qui le rappelait à la consigne, l'équi- page en délire brisa les rangs, courut à l'écoutille et 1, pÊr 'jQu^ abréviation de Fer Jovem, c'est-à-dire par Jupiter [ LA PETITE HERMINE 155 s'engouffra dans son carré avec la violence d'une foule prise de terreur panique et qui s'écrase aux portes. En un clin d'œil, les matelots envahirent le pont avec un bruit de paquet de mer qui tombe d 'aplomb ^ emportant, comme un fétu, les bois et les ferrures des bastingages. Et tandis que les matelots de la flottille échan- geaient là haut, au-dessus de nos têtes, des Noéh 1 interminables, je m'approchai avec Laverdière d'Y von LeGal et de Bertrand Samboste, les héroïques trom- pettes redescendus à la chambre des batteries. Ils 'offraient un spectacle lamentable. Toutes les plaies de la bouche s'étaient rouvertes ! Qu'importe ! ils leur avaient fameusement joué la diane ! Allons toi, dit tout à coup Ivon LeGal, où donc as-tu pris ce courage ? L'autre, confidentiel, se rapprocha du ^camarade. Tu sais il parlait tout bas, tu sais, la nuit est calme, l'atmosphère sonore et le vent souffle de l'ouest ! Je me suis dit un son que la brise emportemit dans cette direction vers l'est arriverait, , . , Bertrand Samboste n'acheva pas. Arrête, lui cria LeGal, pas avant moi. Alors ces deux hommes se rencontrèrent du regard — un regard aveuglé de larmes — puis ils marchèrent précipitamment l'un sur l'autre, se saisirent aux mains, comme des lutteurs qui s'éprouvent, dans une étreinte formidable qui leur broya les doigts et fit craquer toutes leurs phalanges. Un instant ils demeu- rèrent immobiles, comme les personnages d'une œuvre statuaire, puis leurs voix sourdes d^émotion 1. Noél ! le cri do joie du Moyen-Age. 156 LA PETITE HERMINE dirent ensemble En France ! En France ! Si, là -bas, on nous avait entendus ! Alors je m'expliquai leur courage ! Que lewr importait, après tout, à ces croyants de Tamour natal, les principes ou les utopies de la physi- que ? L'illusion des âmes ferventes supplée à toute science, et, mieux qu'elle, console et fortifie. Coquin va ! bégayait Bertrand Samboste, en riant mal, tu Us dans les yeux ! Da-oui ! répondait Yvon LeGal, par les yeux dans le ci^ur. Et, silencieusement, les deux compagnons mari- niers 5*embras3èrent ! Croyez-moi, disait Laverdière, m'entraînant loin du bord de la Petite Hermine, croyez-moi, compa- triote, le mal du pays en tuera plus ici que le mal de terre ^. Et, m'en allant, je songeais avec un amer senti- ment de tristesse et de sourde colère à tous ces cœurs 1, Mal de Urre ancien nom du scorbut. — *' L'hivernage de Caïtier à Sainte- Croix 1535-36 est surtout remarquable par la maliidie qui décima ses hommes. C'était une espèce de scorbut appelé plus tard mal de terre mais que l'on pourrait qualifier plus proprement de maî de mer, parce que, selon toute évidence, il provenait des vieilles salaisons que portaient les vaisseaux. Pour n'iivoir pas su se nourrir de viandes fraîches que pouvait produire la chasse, les marins perdirent vingt-cinq ou trente hoiuïiies des leurs, ceux-là même qui probablement manquent à la liste que nous possédons, car les trois équipages s'élevaient à cent dix hommes. Les autres malades furent guéris par les sauvages qui leur firent boire à cette effet une décoction d'épi- nette blanche," Benjanim Suite Histoire des Canadietis- Français, Tome 1er, page 13. L'épidémio du scorbut fut encore plus violente en Acadie, dans rhiver de Tannée 1604 et 1605 '* M, de Monta passa environ un mois à faire avec Champlain LA PETITE HERMINE 157 magnanimes qui battent dans la poitrine des hum- bles, des petits, dés obscurs de ce monde, et dont r Histoire ne s'occupe pas ; à ces manœuvres de toutes les besognes, paysans, soldats, marins, héros anonymes que nulles fanfares ne saluent, que nulles acclama- tions n'accompagnent, qui rentrent, au sortir de leurs homériques' aventures, dans les ténèbres de la vie quotidienne comme des figurants s'effacent dans les coulisses à la fin du Drame, eux, les acteurs princi- paux, eux, les premiers rôles ! Et je me demandais, avec angoisse, si l'injustice resterait irréparable, si de pareils dévouements, de telles abnégations ne se trahiraient pas un jour, et ne vaudraient pas à leurs auteurs l'éclat de cette vaine gloire, passagère comme son nom, fausse comme son lustre la reconnaissance humaine ! '* l'exploration des côtes de la presqu'île et de la baie Française " Fundy et vint enfin fixer sa colonie à l'entrée de la Riviëre ** des Etchemins ou Sainte-Croix sur une petite île qui fut " aussi nommée île de Sainte-Croix. Cette île, n'ayant qu'une *' demi-lieue de circuit, fut bientôt défrichée, on eut même le " temps de commencer des jardinages à la terre ferme. Mais '* l'hiver venu on se trouva sans eau et sans bois, et comme on " fut bien^tôt réduit aux viandes salées, le scorbut se mit dans " la nouvelle colonie et enleva trente-six personnes jusqu'au •' printemps." Laverdière Histoire du Canada, page 21. CHAPITRE QUATRIÈME L'ÉMÉRILLON. Je me rappellerai longtemps la sensation de bien- être indicible qui me pénétra tout entier à la sortie de la caravelle. Contre l'atmosphère horrible de cette infirmerie improvisée, les émanations pestilentielles, les miasmes nauséabonds, l'haleine infecte de toutes ces bouches putrides, mes poumons aspiraient main- tenant avec délices le plein air vif et pur d'une nuit d'hiver splendide, au cœur de la forêt immobile, debout comme une silencieuse sentinelle au pied du promotoire où dormait, dans son aire, la royale bourgade de Stadaconé ; au cœur de cette forêt primitive, sauvage, impénétrable, que des milliards d*étoiles, aperçues par les à-jours d'un fouillis de branches colossales, semblaient poudrer d'un givre étincelant. Ce plein air froid et sec, une voluptueuse caresse pour les lèvres, vaporisait la respiration et mettait à la bouche comme une fumée de cigarette. Le silence absolu de cette immense forêt faisait penser au recueillement des âmes contemplatives. Les senteurs résineuses de conifères énormes, pins, sapins, mélèzes et cèdres, continuaient cette compa- raison religieuse en mon esprit ; car, au parfum de ces grands arbres, 1 je croyais reconnaître cet encéfts 1. " Les arbrea y e&toyent trèa beaux et de grande odeur." Voyage de Jacques Cartier j 1534, page 41, ^^ Nou^noinmasmes le dicb lieu Sainte Oraix parce que le dicb , r 160 L*EMÉRILLON d'agréable odetir que l'Ecriture Sainte voit monter au ciel, comme un nuage, avec la prière de l'âme. Muet et sublime hommage d'une grandiose Nature seule à connaître Dieu dans un pays peuplé d'hommes créés à son image et seule à l'annoncer par l'incom- parable beauté de son spectacle. La nuit est délicieuse, me dit Laverdière, et il n'est pas tard à peine deux heures du matin. Si nous allions voir le Fort Jacques Cartier } Cela prend une minute à s'y rendre et autant à le regarder, car il est tout petit. Allons, en route ! C'était un grossier rempart fait d'une suite de troncs d'arbres, chênes, pins, merisiers, droits comme des fûts de colonnes, aussi solidement enfoncés dans la terre qu'étroitement serrés les uns contre les autres, et reliés ensemble par de fortes attaches. Ces pieux, aiguisés de la tête, rappelaient aux yeux les clôtures de vergers toutes hérissées de longs clous et de fiches aiguës, précautions menaçantes et narquoises s'il en fut jamais, désespoir du braconnage et de la maraude. Des couleuvrines, des caronades, disposées à inter- valles égaux sur toute la circonférence de la palis- sade, allongeaient le cou au dessus du parapet du rampart comme autant de chiens de garde, de boule- dogues en arrêt, flairant le vent et l'ennemi com- mun, le sauvage. Vous savez, me disait Laverdière, qu'en l'absence '* jour nous y arrivâmes embouchure de la rivière Sfc. Charles. ** Auprès d'iceluy lieu y a un peuple dont est seigneur Donnacona " et y est sa demeurance qui se nomme Stadaconé qui est aussi '* bonne terre qu'il soit possible de voir et bien fructiferente, " pleine de fort beaulx arbres de la nature et sorte de France, " comme chesnes, ormes, noyers, yfs, cèdres, vignes, aubéspines ** qui portent le fruit aussi gros que prunes de Damas et autres *' arbres. " Voyage de Jacques Cartier 1535-36, recto du feuillet 14. Litt_ l'émérillon 16Î de Jacques Cartier, qui visitait alors le royaume d'Hochelaga, les maistres compagnons mariniers et charpentiers de navires, demeurés au havre de Ste- Croix, construisirent auprès des deux caravelles une palissade fortifiée qu'ils garnirent d'artillerie. 1 Je fis le tour de cette étrange fortification. Sa physionomie indienne, profondément accentuée, répondait si parfaitement aux idées préconçues que je m'étais faites d'une bourgade palis* sadée, telle que décrite par les historiens du pays, qu'au mépris de tout ce que me disait Laverdière, et contre ma propre expérience, je me surprenais à guetter entre les couleuvrines ou derrière les à-joufs des pieux dentelés, la silhouette fantastique, la tête emplumée de quelque farouche algonquin. Mais une porte bardée de fer comme un bou- clier du moyen-âge, une porte taillée dans l'épaisseur de la muraille en troncs d'arbres, me fit reconnaître tout de suite à son travail la main d 'œuvre européenne. Les gonds, les pentures, les têtes de clous forgés, les lames de fer de cette porte massive étaient énormes. Les à-jours des pièces laissaient apercevoir deux verrous formidables qui soutenaient vaillamment, en apparence du moins, l'action de la serrure. Laverdière sonda la porte elle était barrée. Je la secouai à mon tour, mais le meilleur de mes efforts ne réussit qu'à me faire constater le jeu de ses ver- rous dans leurs crampons.^ Il aurait fallu un vent 1. Le lundy onzdesme jour d'Octobre nous arriva&mea au dict hable Sainte-Croix ou estoient noz navires, et troQvaames que les maistres et mariniers qui étoient demourez, avaient faict ung fort devant les dictes navires, toutcloz do grosses pièces de boy a, fdantez debout joignans les unes et autres, etc^ Relation du Second Voyage de Jacques-Cartier^ verso du feuil* let 28, édition de 1545. 11 162 l'émérillon de tempête pour la remuer, Tébranler, tant elle était pesamment empalée* sur ses gonds. D'un coup d'oeil à travers les interstices des pieux je saisis tout l'aménagement intérieur du Fort Jacques Cartier. Alentour de la palissade il y avait une estrade soliden\ent bâtie, appuyée à des poutres de gros diamètre, elles-mêmes soutenues par des piliers de large carrure.. L'extrême force de la galerie s'expli- quait par le fait qu'elle avait à supporter tout le poids des caronades et des couletivrines, y comprise la charge de leurs affûts et de leurs projectiles. En ce moment, et tel que prescrit par l'Ordon- nance, le guet de la nuit annonça, à voix de trompettes sonnantes, un changement de quart. Tout aussitôt des aboiements furieux éclatèrent dans la montagne. Les chiens sauvages de Stadaconé répondaient à leur manière afù " Qui-vive ! " des sentinelles françaises. Ces aboiements colères en provoquèrent d'autres qui partirent, cette fois, de notre côté, et se répétè- rent en échos interminables dans la forêt boisant alors le territoire des futures paroisses de Beau- port, de Charlehourg, de St. Roch-Nord, de La Canar- dière, des deux Lorette. C'étaient des jappements beaucoup plus brefs et beaucoup plus rauques que eux des chiens, pour cette excellente raison que ce n'étaient plus des chiens mais des loups qui hurlaient. Et Laverdière me dit d'une voix grave Tout fait bonne garde ici la Forêt, le Peau-Rouge et le Blanc. 1. Et tout à lentour du fort garny d'artillerie et bien en ** ordre pour soy deffendre contre toute la puissance du païs." Voyage de Cartier^ 1535-36, verso du feuillet 28. •'VWP^*^- l'émérjllon 163 Je m'en allais songeur, le regard dans la neîge, une neige épaisse et molle comme un velours, sourde comme un tapis turc, où le bruit des pas s'étouffait. Et je pensais avec un charme délicieux à tous ces compagnons de Jacques Cartier que j'avais vus de mes yeux, écoutés de mes propres oreilles. Je les entendais causer encore au fotid de ma mémoire, avec cette loquacité naturelle au caractère breton. Je me demanda^is seiîllement, avec une certaine inquiétude, comment il se pouvait que je fusse devenu tout à coup le contemporain du découvreur du Canada. J'avais absolument, dans mon aventure, perdu la mémoire du point de départ, et cette réflexion me causait la fatigue oppressante d'un homme pris de cauchemar et qui rêverait rêver. Mais le maitre-ès-arts me secoua brusquement. A quoi pensez-vous, me cria-t-il ? Cette question m'éveilla net. — Au grand plaisir d'avoir connu les compagnons de Jacques Cartier. J'en suis ravi. Et d'autant plus que, satisfaisant votre légitime curiosité historique, j'établis du même coup la vérité de l'une de mes thèses favorites, savoir çue les pires angoisses de V incertitude ne sont pas toujours aussi crucifixntes que certaines réalités horribles. Le spectacle des scorbutiques de la Petite Hermine en demeure pour vous une mémorable et saisissante démonstration. Saisissante, oui ; mais concluante, jamais. Pardon- nez-moi ce franc parler, il entre dans mes habitudes. Très-bien, donnez m'en la raison s'il vous plaît. Ne me la demandez pas, ce serait de la mauvaise foi, car sa clarté aveugle. La mère de Dom Anthoine, la sœur d'Yvon LeGal, les enfants de Reumevel, tous ^^T^xW}J^jr 164 l'émérillon les parents, tous les amis prochains ou éloignés de ces hardis matelots vous eussent payé, au poids de l'or, la faveur de cette vision, au coût du sang, la hideur de ce spectacle. Savoir malade celui que Ton croyait mort ! quel réveil pour Tespérance ! Comme elle accourt, comme elle s'installe, cette radieuse infirmière ! Nommez-moi une garde- malade attentive, infatigable, courageuse, active comme cette incomparable Vaillante ! Elle croit à la guérison comme à un dogme, elle lui garde la foi jurée comme l'amour à une fiancée, elle espère jusqu'à la fin, comme une âme ! Elle va si loin qu'on la voit suivre la convalescence jusque dans l'agonie du bîen- aimé ; elle ne meurt qu'avec lui. Le maître-ès-arts ne me répondit pas tout d'abord ; seulement il leva les épaules avec l'air ennuyé d'un homme qui se résigne à écouter sans vouloir rien admettre. Puis, il me regarda avec un sourire froid qui me glaça comme un attouchement cadavérique. Mais, dit-il, si le bien-aimé était mort, ne vau- drait-il pas mieux pour la mère, la sœur, le bon fils s'imaginer pareille catastrophe toute la vie, qu'en acquérir la certitude une seule minute devant son cercueil ? Si le bien-aimé était mort ! Il me disait cela d'un ton railleur, méchant. Et le mauvais rire avec lequel il me fixait tout à l'heure lui revînt aux lèvres, y demeura quelques secondes, puis, finalement, se perdit avej son regard dans la neige floconneuse du chemin. Nous nous en allions marchant l'un devant l'autre, suivant la rive du bois, comme chantent les dode- linettes et les complaintes canadiennes françaises qui ont bercé pour nous tous le sommeil de notre pre- L^ÉM^RILLÛK ilSS mlère enfance. Nous marchions par un petit sentier battu dans la neige et dont les sinuosités multiples semblaient calquées sur les méandres de la rivière. Tout à coup nous arrivâmes à une clairière, à une baie coupée en demi-lune, comme à la serpe, dans l'alluvion de la berge droite, et qui ressemblait à rembouchure de quelque cours d'eau dans le Ste. Croix, Je pensai tout de suite au ruisseau St Michel, car les vieilles chroniques fixaient aux alentours Thivemage des vaisseaux de Jacques Car- tier, Le vent de nord -est qui souffle avec violence toute Tannée, et particulièrement à la saison d*hiver, avait balayé la neige à cet endroit sur un espace considérable, et la surface plane de îa glace transparente étîncelait comme le cristal d'un miroir. J'aperçus au fond de la crique, enlîzé jusqu'à sa ligne de flottaison dans un immense banc de neige, un petit bâtiment de la mâture et de la taille de nos goélettes modernes qui font aujourd'hui le cabotage entre Québec et les paroisses rîpuaîres du bas St Laurent Laverdîère leva la main dans la direction de la galiote \JE7neriU0n ! s'ecrîa-t-il. Puis, faisant écho à sa propre voix, Tarchéologue répéta dans un éclat de rire VEmérillou ! Cette fois il semblait se parler à lui-mênne. Etant donné que Ton connût au préalable la pas- sion grande du maître-ès-arts pour les sports nautî- ques,cette gaieté singulière s'expliquait par le souvenir hilarîant d'une aventure héroï -comique, La cliaioupe de Laverdière ! mais elle avait plus couru d'aventures à elle seule que tous les yachts réunis de notre rade. Donc, Témulatîon, Tamourde la gloire, les émotions "''^.'IJI'llyi*'.'' 166 l'émérillôn de la lutte, quelque diable enfin le poussant, Laver- dière construisit un yacht superbe, à seule fin d'arra- cher la victoire à la Mouette du Dr. Wells, une triomphante, s'il en fût jamais. En bon historien national qu'il était notre prêtre-matelot donna à son léger navire un beau nom de baptême, et l'appela Eniêrillon. Ce qui n*empêcha pas XEmérillon d'arriver bon dernier, en touage d'un remorqueur, le jour l'unique jour qu'il disputa la palme à sa glorieuse rivale. Cela n'était pas très illustre pour VEmériilon, mais en revanche très historique. Il y avait d'ailleurs une grandeur d'âme incompa- rable, une abnégation absolument artistique, à perdre ainsi, de gaieté de cœur, trois mille piastres et quel- ques centins pour l'honneur de livrer une seconde bataille d'Actium. Ce fut un véritable sinistre mari- time. , > .et financier. Le souvenir en flotta sur la mémoire de Laverdière encore plus légèrement que VEmériilôn dans l'entre-quai de la Douane ; car la conscience du marin n'était pas engagée dans la responsabilité de la catastrophe, le modèle, au dire des connaisseurs» ayant été reconnu chef-d'œuvre d'architecture navale, malgré que Y EmérilloUy assis dans l'eau, prenait la bande à tribord. La faute était- elle à. . , , ? Neptune, et avec lui les copeaux discrets de la Rivière St Charles en gardent encore le for- midable secret. Toute la gaieté de cette anecdote me revenait au cœur et aux lèvres en écoutant rire mon compagnon de route, qui me cria ; " A l'abordage !" avec un bel accent martial, en même temps qu'il enjambait leste- ment le bastingage du galion. En un clin d'œil nous eûmes enlevé le panneau I t l'émérillon 167 de récoutille et nous nous trouvâmes sous le tillac, dans la chambre du château de proue. Une lampe suspendue par une chaînette de cuivre ëclairait mal cet appartement où le souffle continu d'une violente rafale faisait sauter la flamme du lumignon. Ce cou- rant d'air était provoqué par deux sabords — corres- pondant, en position! aux sabords de chasse dans les vaisseaux de guerre du temps— que j'aperçus grands ouverts. Ce qui m étonna beaucoup. Il y avait par toute la chambrette une bonne odeur de bois neuf fraîchement travaillé, provenant sans doute d'une grande boîte, en bois de sapin, dont les planches rudes^ varlopées à la diable» étaient criblées de nœuds suintant une gomme parfumée, couleur d'ambre et qui revêtait dans la lumière tourmentée du lumignon les scintillements et les reflets de l'on Cette boîte, longue de sept pieds, haute et large de deux, reposait sur des tréteaux et son couv^ercle s appuyait debout au vaigrage de la galiote. Tout auprès, sur le plancher, îl y avait un coffre d'outils, et dans le casier de ce coffre, un rabot, une scie, un marteau^ une livre de grands clous forgés. Que renfermait cette boîte ? Quels ouvriers atten^ daient ces outils ? Je ne fus pas longtemps à me le demander, car Laverdière, prévenant ma curiosité, me dit aussitôt ; Venez voir. Il détacha la lampe du bau où elle était suspendue et fît tomber sa lumière au fond du mystérieux colis. Je reculât d'épouvante ; cette boîte était un cer* cueil ; son contenu, le cadavre d'un homme 1 Vous aurez mal refermé Técoutille, me dit Laver- diÊre, Elle est entrée ! ^^"?^W^- 168 l'émérillon Je le regardai avec stupeur. Les lèvres nerveuses de Tarchiviste, convulsivement contractées, dessi- naient un sourire étrange, d*une expression indéfinis- sable. Elle est entrée, répéta le prêtre. Qui, elle ? — bégayai-je absolument ahuri, dérouté par le mysticisme de mon interlocuteur. Le maître-ès-arts se pencha sur moi La Mort ! dit-il, avec une voix creuse comme la tombe. Et pour achever de m'épouvanter sans doute, il accompagna cette sinistre farce d*un éclat de rire effrayant. Eh ! regardez donc derrière vous, ricana-t-il méchamment, je parie que vous verrez quelqu'un. J'avoue que je n'osai pas tourner la tête ! Oui, nous sommes quatre ici, continua l'impi- toyable railleur, Elle est entrée, pas la mort, mais Elle^ la. folle, Idi pauvre folle dû logis ! Ah ! jeune homme, jeune homme, quels pièges vous tend l'imagi- nation. Et comme on y tombe ! Cette plaisante mystification eut le mérite de me fâcher rouge. Je la trouvai mauvaise, inconvenante, exécrable, précisément parce qu'elle était bonne, excellente même, et m'avait fait grelotter de peur. Allons nous-en, lui dis-je, allons nous-en ! Et je gagnai précipitamment l'échelle de l'écoutille. Pourquoi } me demanda l'autre ; le pauvre enfant est si seul ! A ce moment, un courant d'air passa si vite qu'il coucha la flamme du lumignon comme pour l'étein- dre. Laverdière ajouta Vous ne me demandez pas son nom ? Je lui répondis avec humeur Evidemment vous^ l'émérillon 169 tenez à me rapprendre ; moi je ne tiens pas à le savoir voUà la différence. ' Pardon, reprit-il, ce sera plus tard, pour votre mémoire, une grande joie de s*en souvenir. C'est le premier des vingt-cinq, le Benjamin de Téquipage, Philippe Rougemont, 1 Toute ma mauvaise humeur tomba à cette parole. Je compris alors où menait le cliemin de Rougemonty et ce que Bertrand Samboste entendait par la toilette de Philippe. La toilette de Philippe, c'était Tagoni- sant porté dans la chambre du maître de la nef et couché sur un lit de camp ; c'était l'aumônier, Dom Anthoine, revêtant le surplis et Tétole ; c'était la petite table du Viatique avec sa garniture de linge couleur de neige, ses deux chandeliers d'argent, les flammes immobiles et silencieuses des cierges jaunes auprès du crucifix ; c'étaient les matelots des trois équipages k genoux dans la batterie de la caravelle, et récitant les dernières prières pour le camarade qui allait rece- voir les derniers sacrements ; c'était le décor du cin- quième acte, tous les acteurs en scène, comme au théâtre. Et, me rappelant les regards effrayés de Bertrand Samboste encore mal revenu des émotions profondes du drame, je me disais qu'il avait dû se passer quel* que chose de terrible à la fin, à la chute du rideau. Qui sait, mon Dieu ! le petit Philippe Rougemont, pour parler le langage coloré des gabiers, le petit 1. '' Celuj jour trespasaa Philippea Rougomoiit^uatii d'Am- boise, de l'âge de environ vingt deux ans/^ Voyage de Jacques Cartier ^ 1535-S6, verao du feuillet 35* C'est le seul mort que Jact^ues Cartier nomme. Charlevoix, dans Bou Hîiytvlre du Canada^ en nomme un autre JJe Goyelh, Ce sont les doux stul^ scorbutiques déc^d^s dont noua sachions lea noms* rXVMJH* 170 l'émérillon Philippe Rougcmont n'avait peut-être pas voulu s'en aller, avaler sa gaffe. Cela se voit à vingt ans ! En vérité le navrant spectacle que celui d'une âme qui part ainsi dans un cri de désespoir ! C'était le corps d'un marin apparamment très jeune, car sa figure accusait à peine dix-sept ans. On l'avait enseveli dans son costume, il en était vêtu de pied en cap ; rien ne manquait, pas même le chapeau goudronné, 11 n'avait pas de linceul, mais il était couché dans sa bière, sur un lit épais de branches de sapin. La tête reposait sur un oreiller où le duvet était remplacé par des rameaux de cèdre, un bon édredon pour le dormeur de tel somme. C'était vraiment une aubaine, car il était, celui-là, plus heureux que bien d'autres qui n'emportent sous la terre que leur traversin de copeaux, ceux du cercueil ! Et la pensée me vint que ce malheureux avait une mère ; qu'elle était, à cette heure même, dans quelque obscure chapelle de hameau, au fond de la Bretagne ou de la Normandie, à genoux devant une de ces naïves Eiabks de Bethléem, toutes étoilées de lumières et peuplées en même temps de bergers et d'agneaux, d'anges et de mages. Sur la paille fraîche de son berceau, l'Enfant Jésus souriait à cette pauvre femme, lui tendait ses petits bras avec une ravissante mignardise, comme autrefois, cet autre, le premîer-né de son sang, qu'elle regardait dormir au foyer de sa chaumière, épiant, avec une délicieuse impatience, la première joie de son regard et s'ou- bliant quelquefois jusqu'à l'éveiller par une délirante caresse. Vingt ans avaient passé sur ce bonheur suprême sans rien enlever à l'ivresse et à la vivacité du souvenir. l'émérillon 171 Revenue de l'église je revoyais cette femme mettre le couvert du cher absent à la table familiale, rap- procher la chaise vacante ; puis, le traditionnel réveillon terminé, se glisser, à la dérobée du père et des enfants, dans la chambre solit^Lire du jeune marin, déposer sur l'oreiller froid un baiser rapide et brûlant. Enfin, elle-même endormie, rêvait que les trois vaisseaux de Cartier, voiles hautes et mâts pavoises, entraient dans le port de St. Malo, au bruit des cloches et des salves, avec tous les équipages de la flottille ; et plus haut, dominant les clameurs de la foule sur les quais et les vivats des équipages des navires en rade, il y avait pour elle, une voix grêle, une voix enfantine criant " Mère ! mère, me voici, il n'y a plus d'exil ! Et devant le spectacle de cette pauvre femme, toute entière livrée au ravissement de son extase, je louais Dieu en moi-même, le remerciant de lui faire oublier sa prière, de peur qu'elle ne lui demandât le retour de son fils comme une grâce. Autrement, sa Providence m'eût paru odieuse ! N'est-ce pas } répondit tout haut mon étrange interlocuteur, qui m'écoutait penser, suivant sa fantas- tique habitude. Voyez, par contre, comme la Divine Providence prépare de loin, comme elle résigne à l'avance cette tendre mère à la terrible épreuve. Elle retarde de six mois la fatale nouvelle, et met à douze cents lieues le cadavre du bien-aimé. Combien de jeunes gens, partis comme lui, rayonnants de santé et de force, ont été rapportés morts à leurs demeures, le soir même de leur départ ! Pour le matelot il existe autant de morts subites que de fausses manœuvres. Pour toute préparation les mères, les 172 l'émérillon femmes, les sœurs de ces misérables n'auront eu que le retard de la civière portée par deux camarades et cachant mal, sous son drap blanc, le corps mutilé,, sanglant de la victime. La miséricorde du bon Dieu n'a pas crié " Gare ! " à ces pauvresses, mais elle leur a broyé le cœur d*un seul coup, à la première étreinte. Et cependant, c'est cette main-là qu'il faut bénir. Ici, l'espérance va s'éteindre avec lenteur, s'éva- nouir doucement dans le cœur maternel, comme la belle lumière d'un jour d'été. La pensée de son fils demeure dans cette âme à la manière des parfums pénétrants qui embaument les cassolettes longtemps après que l'aromate a disparu. Aux premiers jours de Juillet, Jacques Cartier, l'immortel Découvreur, va revenir en France. Un matin 1 toute la population de St-Malo envahira, comme un flot irrésistible, les quais, les môles, les jetées, les phares, tous les postes avancés du rivage. Une caravelle, toutes voiles dehors et pavoisée à ses trois mâts, entre dans la rade. L'artillerie gronde à la citadelle de St-Malo et les sabords du grand navire sont pleins d'éclairs et de fumée. L'équipage crie avec enthousiasme le nom d'une terre inconnue " Canada ! Canada ! ! " Et la foule en 1. *' Et nous vinsmes au Cap de Raze et entrasmes dedans un *' hable nommé Rougnoze où prinsmes eaues et boys pour '* traverser la mer et là laissâmes l'une de nos barques et ** appareillasmes du dict hable le lundi, 19ième jour du dict ** mois de, Juin. Et avec bon temps avons navigué parla Mer, ** tellement que le 6ième jour de Juillet 1536 sommes arrivez au '* hable de Sainct Malo, par la grâce du Créateur. Lequel ** prions faisant fin à notre navigation, nous donner sa grâce et ** paradis à la fin. Amen," '* Voyage de Jacques Cartier 1635-36, feuillet 46 et verso. siiâiiU-. l'émérillon 173 délire de répondre " Cartier ! Cartier ! ! la Grande Hermine /" La mère de Rougemont sera là, venue d'Amboîse, 2 à genoux, elle aussi; sur la grève, avec les femmes, les filles, les sœurs et les fiancées des marins, grâce à Dieu, revenus ! Ce sera un grand et cruel crève-cœur lorsqu'on dira à cette femme que son Philippe n'est pas à bord du vaisseau-amiral. Son beau rêve, blessé à Taile, s'abattra un instant, mais pour s'envoler pres- que aussitôt plus loin au large. L'envergure répondra, croyez m'en, à la distance. Ils étaient trois vaisseaux. Pour sûr, Philippe revient sur le Courlieu. La Mer et le Vent ont de ces caprices incorrigibles d'épar- piller à fantaisie les navires ; ils ont du temps et de l'espace pour cela. UEmérilton arrive. C'est le plus vieux comme le plus petit des trois vaisseaux. Pauvre mère ! L'enfant attendu n'y est pas encore ! Et puis, voyez-vous, il y en a qui disent, par la ville, que vingt-cinq Aesprin- cipatix et bons mais très compagnons mariniers sont restés là-bas, sous la terre, à cause du scorbut. Cette fois le cœur saigne beaucoup dans la poitrine de la crucifiée, l'espoir exubérant, vivace, le rêve, le divin rêve sont bien malades. Le pauvre oisillon volète encore, mais à fleur du sol, dans les pierres du che- min, comme un perdreau blessé qui se rase au creux d'un sillon. Ils étaient trois vaisseaux ! La Petite Hermine retarde encore. Oh ! lequel d'entre vous, camarades survivants de Philippe, aura le courage de lui dire que le Courlieu a été abandonné à Stadaconé . . . • 2. " Philippes Rougemont, natif d'Amboise." Voyage de Jacques Cartier, 1635-36, verso du feuillet 35. 174 ^ l'émérillon faute de bras pour la manœuvre ? 1 Cette fois, Tillu- sion ne sera plus possible. Malgré cette grande épreuve de la foi, admirez la tendresse de la Providenoe qui amène par degrés, au cœur de cette femme, la certitude de la catastrophe, qui multiplie les étapes du chemin, atténue la roi- deur de l'ascension au calvaire. Puis, le sacrifice accompli, accepté, un soir de grande solitude et dé silencieuse douleur pour la chaumière des Rougemont, voici Taumônier de Jacques Cartier, dom Anthoine, venu exprès de St. Malo, qui se présente à Amboise, et qui raconte à cette mère en deuil la mort sainte de Philippe ; non pas une agonie d'abandonné, de lépreux, au fond d'une cabane sauvage, mais une belle mort de Catho- lique et de Français, une mort en présence des pays des trois équipages, à bord d'une caravelle où l'on avait parlé d'Amboise et dç St. Malo tout le temps .... avant l'agonie. Puis les dernières paroles, les derniers messages, le dernier à- Dieu, rapportés avec une précision sacramentelle. Enfin, l'heure du départ. . . .la Mort venue à quatre heures du soir, la veille de Noël. 2 Mort la veille de Noël ! quelle révélation ! Oh l comme je m'explique maintenant pourquoi cet attendrissement involontaire, subit, irrésistible, qui l'avait fait pleurer, comme de force, à la vue de rEtable de Bethléem ; — pourquoi les triangles de 1. La Petite Hermine avait été abandonnée à Québec, au printemps de 1536. — On en a retrouvé la carcasse, en 1843,^à l'embouchure du ruisseau St Michel. 2 Cette mort est anti-datée. — Philippe Rougemont, d'aprëft les meilleurs archivistes chroniqueurs, mourut un dimanche de Février 1536— Le lecteur saisira quels avantages d'imagination cet anachronisme procurait à Fauteur. u l'émérillon 175 lumières semblaient avoir la pâleur des cierges sur les herses d'un catafalque ; — pourquoi elle trouvait au Jésus de la Crèche la figure souriants de son Philippe, petit enfant j^pourquoi elle le voyait assis à la table famiUale, sur la chaise vacante ; — ^pourquoi elle lui avait servi sa part de gâteau, rempli son verre'; pourquoi ce baiser de feu sur l'oreiller froid du lit vide ;— pourquoi ce rêve de calions voilés en course entrant dans le port de St. Malo, — Ah ! sa maison était alors visitée, bénie, sanctifiée par l'âme présente de son enfant, âme bienheureuse, âme con- firmée en grâces et en joies éternelles, âme revenue elle aussi ! Dites-moi, en toute sincérité^ consolation plus suave pouvait-elle humainement s'échapper d'un plus funèbre souvenir ? Seule, la Providence a le don de pareilles antidotes, et parce qu elle n'en vend pas le secret, ses négateurs l'cippellent Hasard / Cela me fait penser au blasphème d'un mauvais hli qui dit " marâtre " à sa mère 1 A ce moment un bruit de bottes ferrées retentit sur le pont de la galiote, droit audessus de nos têtes, Presque aussitôt les panneaux de l'écoutille s'ou- vrirent bruyamment et trois hommes descendirent dans la chambre. Les croque - morts ! me souffla Laverdière à roreille. Les ouvriers de la dernière heure et de la dernière besogne ! Ce face-à-face imprévu, cette confrontation instantanée, me glaça d'effroi. J'avoue que la pré- sence du cercueil de Rouge mont aurait dû m'y pré- parer. Je nen subis pas moins cependant cette poussée de recul que provoque lapparition du bour- reau sur la foule qui regarde une potence. 176 l'émérillon Je les reconnus tous les trois le plus grand se nommait Guillaume Séquart, le charpentier ; la moyenne taille, Jehan Duvert, aussi lui charpentier de navire ; le plus petit, Eustache Grossin, un maître compagnon marinier. 1 Laverdière me les avait tous signalés à bord de la Grande Hermine, Un moment les croque-morts regardèrent silen- cieusement le cadavre au visage. Puis Eustache Grossin lui toucha la joue, lui palpa les mains et le frappa au front, à petits coups rapides, à la manière d'un visiteur s'annonçant discrètement à une porte. La tête rendit un son mat comme le marbre d'une statue. Il est parfaitement gelé dit Séquart, fermons la boite. Alors je m'expliquai pourquoi les sabords de chasse avaient été laissés grands ouverts. C'est une singulière idée, tout de même, dit Eustache Grossin, c'est une singulière idée de geler ainsi notre petit Philippe avant de l'enterrer. M'est avis qu'il aurait eu assez froid dans sa fosse. Pauvre Rougemont, lui qui nous faisait promettre de le ramener à Amboise ! Comme nous lui tenons bien parole ! Ça, dites moi donc, la bonne raison que l'on a de geler ainsi le compagnon. ^La forêt, répondit Jehan Duvert, la forêt est infestée de chiens sauvages, de renards et de loups. Au printemps, à la fonte des neiges, l'odeur du 1. Ce nom de Grossin se retrouvait sur le rôle d'équipage de l'aviso français Le Bouvet ancre en rade de Québec pendant l'été de 1887. — On y lisait, parmi les oflSciers, Grossin, enseigne de vaianeau. Consulter Le Canadien du 2 septembre 1887. / l'émérillon 177 cadavre pourrait en trahîr la présence. Ces animaux, dont Taudace et la férocité se décuplent par Texcès du froid et de la faim, ont un flair merveilleux, et seraient prompts à découvrir le corps du camarade. Par ce moyen le Capitaine-Général espère qu'il n'y aura plus à craindre que les restes mortels d'un chrétien, les cendres baptisées d'un homme devien- nent la pâture des fauves* comme une charogne d'animal. Très bien ! Où les Le Gentilhomme doivent-ils creuser la tombe ? Tout près d'ici, à l'embouchure du ruisseau St. Michel, sur la glace même de la rivière. On calcule qu'il faudra creuser à douze pieds pour l'atteindre, car la neige, à cet endroit, est amoncelée à telle épais- seur. Mais c'est étrange, remarqua Duvert ; pourquoi ne pas l'enterrer au rivage ? lui donner une fosse bénie, avec une croix de bois à la tête, comme à la tombe d'un catholique ? Dans un mois d'ici, répondit Séquart avec un long soupir, dans un mois d'idi, compterons-nous encore dix hommes valides ? Et combien sur ce nombre seront en état de creuser le sol à six pieds de pro- fondeur ? Si le fléau cesse, il sera toujours facile aux survivants de relever sous neige les cadavres des camarades et de les ensevelir en terre. Mais si le scorbut doit nous dévorer l'un après l'autre 1 jusqu'au 1. Et tellement ,se esprint se déclara la dicte maladie le scorbut à nos trois navires que à la my-Février de cent dix hommes que nous estions il n'y en avait pas dix sains, en sorte que Tun ne pouvait secourir l'autre qui estait chose piteuse à veoir, considéré le lieu où nous estions. Car les gens du pays venaient tous les jours devant notre fort, qui peu de gens 12 178 l'émérillon dernier, ne vaut-il pas mieux mille fois s'en aller à l'Atlantique par le St Laurent, sur les glaces flot- tantes de la rivière, que de savoir nos ossements, nos pauvres corps jetés à la voirie, abandonnés à la grève en pâture aux chiens, aux renards et aux loups ? Que le corps d'un homme s'en retourne en pous- sière au fond de la terre, ou qu'il pourrisse dans l'eau, cela revient toujours au même limon. Seulement, s'il nous faut partir pendant l'exercice, je préfère m'en aller par le sabord, suivant la coutume du navire. L'Océan ! voilà le cimetière par excellence du matelot, le véritable champ du sommeil, labouré, celui-là, avec des proues de navires, mieux que tous les autres avec des socs de charrues. Là, mes gail- lards, toutes les tombe*; creusées d'avance et dans le sens que Ton veut ; ce qui est un avantage pour ceux qui ont un côté pour dormir. Pas de fossoyeurs à payer, choix absolu des places, et liberté complète de changer de coin si le voisin vous importune ou voyentj et ia déjà j en avait huict de morts et plus de dnqtuinte erî qui oTi ne espérait plus de vie. l'^oifage du Jacques VaHkf% 1535-36, feuillet 35. Et depuis jour en aultre s'est tellement continuée la dicte maladie, que telle heurt a esté que par tous les trois iiavires n'y avait pas trois humuies ^nins, de sorte que en l'ung des dits navire a n'y avait hmnme gui eut pu descendre sous le tillac pour tirera holm tant ptjur lui que pour son compagnon. Et pour r heure y en avait déjà plusieurs de morts. Lesquels ils nous com-int de rnettre j^t faiblesse sous les neiges car il tie nou>s estoit possible dÉ pouvoir p . . Eh ! Eh ! vogue la galée^ Dminez-lui du vent ! Quelle honte, quel affront pour des gabiers de notre marque, vieux comme la mer, de nous savoir personnifiés dans ces vachers de la terre ferme, des rebuts de cabotage, des épaves d'auberge, le déshon- neur de la profession ! l'émérillok 1S9 Doucement, camarade, doucement, Fer fou ! TTOilà de la haute fantaisie. Par Dieu et Notre-Dame de Roc-Amadou^ il y aura encore, dans quatre ou cinq cents ans d'ici, de fiers, de braves et solides matelots français. Notre marine sera une gloire ou TOcéan sera tari. Je te le dis, Séquart, faudra descendre des huniers et Grossin parlant ahisi montrait le cîel, faudra des- cendre des huniers pour voir passer la procession historique. Da-oui ! ça vaudra la peine de constater par nous-mêmes si les gars du vingtième siècle auront un bon mouvement de tangage dans les jambes, un beau costume, de belles voîx, des chan- sons gaies comme les nôtres, Dites donc, entendre parler françaiSj après quatre cents ans de latin dans le Paradis, quel dessert î Séquart et Du vert s'écrièrent ensemble 3£h ! l'on parle latin là-haut ? Qu'en sais -tu, naon pauvre Eustache ? Da-oui ! Cest mon curé qui prétend ça. Laisse-le dire ; tu vois bien que, dans ce cas, cela serait fait exprès pour faire taire les matelots. Ce n*est pas juste ; faudra tenir pour le bas-breton et le français. N'est-ce pas, vous autres ? Terr-i'ben / répondit Grossin, qui mourra verra ! Je ne suis pas même certain de comprendre le fran- çais de mes enfants dans quatre cents ans d'ici. As pas peury répliqua Duvert. Il faudra que la langue ait bien vieilli pour que la terre, en français, ne s'appelle plus la terre ; la mer, la mer ; le ciel, le ciel ; un navire, un navire ; pour que l'on ne nous comprenne pas quand nous demanderons du pain, de l'eau, du vin, une rame, un poignard, un cordage, une futaille ! 1^ l'émérillon Changeront-ils aussi le mot patrie î Ils le conserveront, même malgré eux, car, voîs-tu^ ce mot là est impérissable» Il se garde immortel dans toutes les langues du monde. Seulement, ajouta Duvert^ seulement j'ai bien peur qu'ils le traduisent I Traduire quoi ? demanda Séquart, je ne comprends pas. Je dis que dans quatre cents ans d'ici les Cana- diens n'auront peut-être plus le mot France pour répondre au mot patrie. Hein ? Qu'est-ce que tu dis-la ? Ce pays que nous avons Tintention de nommer N -nivelle France sur nos cartes géographiques et dans l'histoire du globe, ce pays s'appellera peut-être alors Noîivelle Espagne ou Nouvelle Angleterre. A tous les âges du monde, amis, les conquérants ont eu cette manière de traduire. Eustache Grossin se leva debout Il faudrait pour cela, dit-il, il faudrait que l'empire de la mer appartint à TAngleterre ou à l'Espagne. Ce qui n'est pas, ce qui ne sera pas, par St, Malo ! aussi longtemps que Ton verra dans T Atlantique les galions, les nefs, les chebecs et les caravelles de la Bretagne, — Rappelle-toi, Duvert, que les Normands ont conquis l'Angleterre, et n'oublie pas que tu es français ! Duvert regarda le compagnon marinier avec orgueil et lui répondit simplement J'aimerais mieux, Grossin, me rappeler que je suis Breton ! Avant que la France s'appelât Gaule, la Bretagne se nommait Armorique ! Nous ne sommes français que d'hier, ^ L Lii BmtaETiie n© fut déânitivenient attachée au royaume de FrïiTice qu'en 1532. • l'émérillon 191 camarade, et le courage date de plus loin. Le cou- rage, ami, n'est pas exclusivement une qualité fran- çaise, c'est plus qu'un caractère national, c'est une vertu humaine. Seulement, à la gloire de notre nou- veau! drapeau, nous sommes de tous les peuples actuels de l'Europe, son meilleur terme de compa- raison. Et voilà pourquoi tu désespères de la colonie, pourquoi tu oses croire à sa ruine, le jour même de sa découverte ? dit Grossin avec colère. Tu sais mieux que cela, Eustache. Ce n'est pas souhaiter un événement que d'y penser. Même avec ce pressentiment au fond du cœur, je me ferais tuer pour notre conquête. Très-bien, cela. Ce qui ne m'empêche pas de croire et de dire que les futurs habitants de la grande ville que nous croyons voir cette nuit, à travers les ténèbres de quatre siècles d'avenir, ne nous ressembleront peut- être en aucune sorte, ni par le visage, ni par l'habit, ni par la langue. Alors, dit Grossin, il faudra écouter attentivement carillonner les églises pour ne pas s'y trouver tout-à- fait étrangers. Comment cela ? dit Séquart. Toutes les cloches seront venues de France, et les cloches, voyez-vous, sont les dernières à perdre l'accent du pays ! A moins, ajouta Séquart, qui aussi lui paraissait tourmenté par l'horreur d'un pressentiment invin- cible, à moins qu'on ne les ait fondues pour couler des boulets. Pendant un long siège les canons, comme les hommes, finissent par avoir faim. Dieu aimera trop la colonie pour la réduire à ce 192 l'émérillon désespoir. Non, impossible ; avant que d'en venir là, tous les Français de là-bas seront morts. On enfume un renard, on accule un sanglier, on relance un dix- cors, mais on n'affame pas un Français. Quand on Tassiège trop longtemps, il fait comme les lion^, il sort de la citadelle comme Tautre de sa caverne, la garnison quitte la muraille et se fait tuer, à décou- vert, debout, en pleine lumière^ Puis, quand Tcnnemi enterre les coips mutilés au fond de la tranchée béante, il voit avec terreurles têtes de cadavres garder leurs yeux ouverts, comme si la revanche était encore possible et que la mémoire de chacun de ces morts eût un nom, un visage à retenir, pour les colères de l'autre monde. Cette opinion confirme mes craintes, conclut Jehan Duvert. Une fois la garnison tuée jusqu'à son dernier homme, qui çmpêchera la ville d'être emportée d'assaut ? Les Espagnols ou les Anglais auront alors la victoire facile.' Avec les pièces d'artillerie trouvées sur les remparts, sans affûts, sans boulets, sans canon- niers, ils couleront des cloches d'églises. Et ce seront elles qui chanteront, avec des carillons écla- tants, les Te Deum anniversaires de leur triomphe ! Eustache Grossin se recueillit un moment, puis il répondit avec une voix grave Il vaudra mieux alors, camarades, ne pas s'éveiller, garder pour nous seuls le secret de nos tombes, demander au bon Dieu qu'il nous efface de la mémoire des vivants et que sa Paix nous endorme jusqu'à la fin ! Ecouter de pareilles cloches ! Moi je pleurerais trop si je les entendais sonner. Et toi aussi Guillaume, et toi aussi Jehan, et tous aussi, les autres, mes vieux compagnons mariniers. - 4W^f^yi^ l'émérillon 1Ô8 Ainsi causaient ces trois hommes quand soudain ^ln bruit de pas retentit là-haut sur le pont de la galiote. Presque aussitôt Técoutille s'ouvrît brusque- ment etje vis, par son échelle, neuf personnages descen- dre au milieu de la chambre mortuaire. Je reconnus Jehan PouUet et DeGoyelle^ de la Grande Hermine^ puis Marc Jallobert, capitaine et pilote du Courlieu^ Guillaume ,LeMarié, maitre de la Petite Hermine, Guillaume LeBreton Bastille, capitaïne et pilote de VEmérillon avec le maitre de la galiote, Jacques Maingard, puis enfin Garnier de Cham beaux, Jean Garnier, sieur de Chambeaux, Charles de !a Pomme- raye, tous trois gentilshommes de St-Malo. La messe vient de finir à bord de la Grande Her- mine^ dit Marc Jallobert à Séquart. Nous venons réciter la dernière prière. Tous les gars de St. Malo sont-ils présents ? Présents, répondirent ensemble les douze hommes. Jallobert ajouta Il faut se hâter, la bénédiction du feu a lieu dans un quart d'heure et le Capitaine-Géné- ral nous y attend. — Etes-vous prêt, Grossîn ? Le matelot baissa silencieusement la tête et s'en alla chercher le couvercle du cercueil, Séquart, de son côté, ramassa le marteau et Duvert se mit à choisir les clous au fond du coffre d'outils. Ces derniers préparatifs, si petits qu'ils fussent, me parurent épouvantables. Guillaume Le Breton Bastille demanda Va-t-on le fermer maintenant ? Non, dit Jacques Maingard, le maître de YEméril^ lofiy seulement après la prière ; ça nous conservera quelques minutes de plus dans rilîusion de croire que Philippe Rougement nous entend mieux et qu'il est moins parti ! 13 194 l'émérillon Les douze Malouins s'agenouillèrent alors auprès du cercueil- — Jallobert alluma un cierge qu^fl avait apporté de la nef-amirak et le plaça entre les doigts du mort Fuis il dit Guillaume Le Breton Bastille, en votre qualité de capitaine et pilote de T^^/W/A?», la parole vous appar- tient, récitez le De Profundis, Cet honneur vous revient, Jallobert, répondit l'offi- cier en se récusant, vous êtes à mon bord s*ans doute,, mais vous représentez le Capitaine-Général, le Pilote du Roi.^ — Moi, je dirai le Notre Père. Alors commencèrent les alternances lugubres du De profundis ; et quand l'auditoire eut répondu Amen à Marc Jallobert qui récitait Toraison, Guillaume le Breton Bastille, les yeux fixés sur le pâle visage du jeune marin, commença le Notre Père lentement,, lentement, comme pour donner à cet incomparable graveur que nous appelons la Mémoire, le temps de fixer dans son cœur et dans son âme une image éter- nelle de rétemel absent. Enfin, les dernières invocations dites, celles-là, par le maître de la galiote. Saint Philippe ! — le patron du mort. — Et Tassis- tance qui répondait — Priez pour lui. Saint Malo! — le patron de la ville. — Et Tassis- tance qui répondait ; — Priez pour lui. Saint Louis ! — ^le patron du royaume. — Et Tassis- tance qui répondait i — Priez pour lui ! Alors, suivant ordre de grades, la petite colonie malouiae défila devant le cercueil. Marc Jallobert passa le premier. Il éteignit le cierge de Philippe Rougemont, et le donnant à Guil- laume Le Breton Bastille, il dit " tu le rapporteras à Amboise, tu sais, c'est pour la mère." Et il déposa l'émérïllon 195 sur le front glacé du camarade le baiser de Tadîeu suprême. Puis vînt Guillaume Le Breton Bastille ; ce fut ensuite le tour de Guillaume Le Marié et celui de Jacques Maîngard, de Jean et de Garnîer de Chambeaux et celui de Charles de la Pommeraye* Jean Poullet et De Goyelle s'approchèrent les der- niers. Et comme personne n*attendait après eux, ils embrassèrent Rougemont longuement, à leur aîseJoël^ pour se reposer dans sa Crèche ? — S'en déta- che -t-il, à r Ascension, pour remonter ,au ciel ? A Pâques enfin, n'est-ce pas la croix du Vendredi- âaint avec son crucifié qui rayonne aux splendeurs delà résurrection? — Il est toujours cloué! Voilà le dernier mot de la vie ! et la dernière raison de l'au- mônier ! Ah ! ne m'accusez pas de vouloir exagérer, par tristesse de caractère, la mélancolie de ce noèl histo- rique, hélas ! déjà trop lugubre. Vous me reprochez aujourd'hui de charger les couleurs ; la Providence assombrira davantage le Noël de 1635- Oui, frère, dans cent ans d'ici, à la même heure, à pareil jour, tout comme elle emporte aujourd'hui le petit matelot découvreur sur les caravelles de Jacques Cartier, la Mort viendra chercher, au Château des Gouverneurs Français, Samuel de Champlain, le père de la Nou- UN NOËL BRETON 199 velle France 1 Oseriez-vous comparer la douleur de réquipagc au deuil de la Colonie ? 2 Serez- vous encore étonné, et trouverez- vous étrange r Eglise Catholique qui chante le De Profundis aux grandes vêpres de la Nativité ? De Profundis, De Profundù ! Eh 1 eh ! ce n'est pas, comme vous le dites, absolument, absolument g^^ai ; il n'en demeure pas moins cependant un psaume historique, et de caractère absolument humain- De Praf midis ! voilà bien le propre des joies de ce monde ; de la tris- tesse mise en musique \ A ce moment nous rejoignîmes nos compagnons 1. Samuel de Ohamplain mourut à Québec le 25 décembre 1636. 2, Parlerai- je dei Noëls passés à l'île de Sable, {25 Décembre 1598, 1599, 1600, 1601 et 1602 de eea t^ii^U du Désespoir quts les bandits du Marquis de la Ruche, les abandonnés de Cbédotel, célébraient, à leutr abominable façon, par le meurtre et le blas- phème î L'intérêt de ce fait historique est petit et Testime qu'on en peut avoir encore moindre. Il se réduit à une curiùsité delà mémoire pour qui étudie l'Histoire du Canada, Lescarbot raconte qu^en 1598 le Marquis de la Roche e* embarqua avec environ 60 hommoa, et n'ayant pas encore reconnu le paya, fit descente à l'Isle de Sable, Il le a quitta dans le dessein de les rejoindre aussitôt qu'il aurait trouvé en Acadie un lieu propice à l'établissement d une colonie. Mais les tempêtes rompirent toutes ses me sures et il se vit obligé de repasser la mer abandon- nant a^H gens au hasard, lis dameurèrc^nt cinq ans retenus dans la dite Ile, se mutinèrent et se coupure ïit la gorge, en bandits qu'ils étaient Henri IV, étant à Rouen, commanda à Chodotel, ou GIiêf-d%ostélf d'aller recueillir ces pauvres diables. Ce qu^il fit. De cinquante hommes qu'ils étaient» Tancien ijilote de l'expédition de 1598 n'en ramena que onze. Le roi se les fit présenter dans leurs habits de peaux de loups-marins^ leur fit grâce de toutes les condamnations qui pesaient sur aux et fit remettre à chacun d'eux cinquante écua. Les Registres d'Au- dience du Parlement de Rouen, année 1603, nous ont conservé leur noms i Jacques Simon dit la Rivière, Olivier Delin, Michel Heulin, Robert Piquet, Mathurin Saint Gilles, Gilles de Bultel, Jacques Simoneau, Franmbattent dans V^ir." Dictionnaire de Bescherelle, au mot '^ anvor^ " page 291. Le Groëîiland {qr^€,n ]jtxud {ittrt rei-iej uinai nommé à CAUse de Bon aspect verdoyant fut découvert par Tlàlandftis Eric Randa lâQ 932. La colonie qu'U y fonda diaparut en 1406. J I 901 UN NOËL BRETON Alphonse, et le maître-ès-arts me répondît qu'il n'était autre que le fameux Jean Alphonse, de Xantoigne,. DU bien encore Jean Alfonse le Saintongeois, celui- là même qui devait commander, sept ans plus tard, en qualité de premier pilote, l'expédition du Sieur de Roberval, Tauteur du ROUTIER célèbre de 1542 cil est représenté le eours du fleuve St-Laurenty depuis le Détroit de Belle-lsle jusqties au Fort de France-Roy^ au Canada^ Tu as raison, camarade, répartit Guillaume Le Breton Bastille, c'est un grand voyageur. Il est allé si loin vers la terre du Nord, que le jour lui a duré trois mois comptés par la réverbération du soleil ! 1 Les compagnons de mer, tous gens avides de merveilleux, poussèrent un grand cri d'admiration- et firent cercle autour du maistre de la galiote,, pour mieux entendre raconter les fabuleuses aven- tures de rhomme de Cognac. 2 En vérité, continua LeBreton Bastille, en vérité, c'est un vieux loup, un gaillard d'avant, un hardi de la mâture. Voilà quarante ans qu'il navigue trois océans. A lui seul, dans sa galiasse, il a plus couru l'Atlan- tique que toutes les caravelles de la Bretagne ensem- ble î Fer Jou ! mes gars, il fait honneur à la marine de France î Or, parlons-en. 1. ^^ ToutoBfois j'aj esté en ung lieu là où le jour m'a duré " trois moya comptez par b réverbération du soleil, etn'aypas *' voulu attendre davantage de craincte que la nuict aie ** aurprînt/' Cosmographie de Jean Alfonse, — Voir Les Décou- luttes Françaises et la Révolution Maritime du Unième au lôième siècle par Pierre Margry— Y. L* Hydrographie d'un Découvreur dîi Ca^mda et les Pilotes de Faida^rueU page 317 2 Jean Alfonse naquit au pays de Saintonge, près de la ville de Cognac. ^Paya ici est Tëquivalent de box,rg, d'après le mot latin pag^is. Siùntonge est du canton de Segonzac. Pierre Margry Dtko^vmrtes Françaises, page 226. UN NOËL BRETON 205 Autres fois Jean Alfonse passa en Angleterre. Il y vit des arbres étranges, verdoyant au printemps comme les nôtres, mais qui,_ l'automne venu, opéraient miracles. Car leurs feuilles se changeaient tout à coup en poissons et tout à coup en oiseaux, suivant qu'elles tombaient à la surface de Teau, dans les rivières, ou bien à la surface du sol, dans les terres labourées, au gré du vent ^ Autres fois Jean Alfonse naviguant les mers d'Asie, retrouva à Babylone . * . • devinez quoi, chers amis ! Les pommes du Paradis Terrestre, marquées chacune, au dedans de leur chair, à la figure d'un crucifix ! ^ A ce mot grave de crucifix les compagnons mari- niers se signèrent dévotementi comme à Véglise, quand le prédicateur nommait Notre Seigneur au sermon. Autres fois Jean Alfonse a vu, bien loin, là -bas, au delà de TEquinoxial, 3 des hommes à visages de chiens, et d'autres à pieds de chèvres ; d'autres bor- gnes en cyclopes, n'ayant qu'un œil au milieu du 1, ** En cestô terre Angleterre j a une tnanifere d'arbrea que quand la feuille d'iceuls tombe en Tettue se canvertiat eo poisson, et ai elle tombe sut k trre ae converfciat en ojseau/' Cosmographie de Jean Alfonse I}éçeaux, elles ne choisis- sent pas leur arbre pour chanter. Elles ne deman- dent que du silence et du soleil. La Providence inspire souvent l'âme naïve d'un berger plutôt que iUllBr l'intelligence hautaine d'un penseur. Quels hommes de Foi ! s'écriait Laverdière avec admiration. Tous les mêmes, ces découvreurs ; depuis Colomb jusqu'à Champlain, l'idée du ciel les hante. Ils voient le Paradis partout et le premier toujours, au bout du monde comme à la fin de la vie. Ils en cherchent le chemin dans toutes leurs hardies décou- vertes ; la route même de la Chine n'est qu'un pré- texte pour retrouver celui-là. Le Paradis ! voilà pour ces croyants la Terre Promise par excellence, une terre que les vigies de leurs caravelles signalent avant les îles merveilleuses et les contihents richissimes du Nouveau Monde. Aux yeux de ces visionnaires la Mort est un horizon, l'Eternité un rivage. 1 1. Lors de son troisième voyage 1498-1500 Christophe Colomb poussant plus loin son erreur, .celle de prendre l'Amé- rique pour l'Asie — erreur qui se complique alors d'autres rêveries du moyen-âge, pense en son âme et conscience qu'il était près du Paradis. Les cosmographes du moyen -âge, Saint Isidore, Béda, le maître de l'histoire scolastique, saint Ambroise, Scott, et les autres savants théologiens plaçaient tous le Paradis à la fin de l'Orient et en faisaient dériver les quatre grands fleuves de la terre. L'abondance des eaux et tout ce qu'il voyait lui paraissait des indices de ce lieu oh. il ne croyait pas toutefois qu'on put arriver autrement que par la permission expresse de Dieu. Pierre Margry Découvertes Françaises, page 172. 14 210 UN NOËL BRETON Et cependant, comme ils commandent à d'ignares- et superstitieux équipages ! Quelles tortures morales, quels supplices physiques n'ont-ils pas infligés à Christophe Colomb, à Jacques Cartier, à Jean Alphonse ! Pour n'en rappeler qu'un exemple, sou- venez-vous que les mariniers d'Amerigho Vespucci croyaient inspirés par le Démon les géographes qui déterminaient les longitudes. Ailleurs qu'au bord de leurs propres navires ces illustres capitaines n'au- raient pas dit avec un meilleur à propos Et in tene- bris spero lucem ? 1 Él Tout à coup une grande lueur sanglante apparut à la rive du bois et nous fûmes enveloppés d'un reflet rouge comme les personnages d'un féerie aperçus dans la lumière d'un feu de Bengale. A distance les tambours battaient aux champs et les trompettes sonnaient une éclatante fanfare. A rencontre des prévisions de Laverdière, cette musique, bien loin de compléter le rêve des gars de St-Malo fut pour eux un réveil instantané, un réveil de catastrophe, brusque, violent, brutal, un de ces réveils qui glacent le corps d'un tel froid que l'âme en est elle-même transie jusqu'à la peur. Les Français laissèrent échapper un grand cri, vous savez le cri des cataleptiques et des somnam- bules que l'on a nommés tout haut par mégarde, et qui s'éveillent tout à coup avec un sursaut formidable. Puis, comme une bande de chevreuils affolés par un 1. Beaucoup de marins, au commencement du XVIe siècle, croyaient encore inspirés par un démon ceux qui déterminaient les longitudes, comme l'avait fait en 1501 Amerigho Vespucci, cet homme que sa science fit choisir plus tard, en Espagne, pour- grand pilote de la flotte royale. Pierre Margry DécouveHes Françaises, page 258. UN NOÏL BRETON 2ll feu de carabine, les Malouîns s'élancèrent dans ta. direction du Fort Jacques Cartier. Il nous fallut bien emboiter ce pas forcené^ sous peine de manquer leur trace et les perdre sans retour» Ils marchaient droit devant eux, sur la glace de 1 rivière, en dehors de tout sentier connu, entrant jusqu'aux hanches dans les bancs de neige, plutôt que de les tourner. Nous filions de Tavant avec une vitesse de yacht voilé en course qu'un vent de tempête emporterait. ^Etrange, en vérité, fut le spectacle qui frappa mes regards, A la distance de plus d'un demi-mille, en aval du Fort Jacques Cartier, non pas à la grève, mais sur la glace de la rivière, au centre précis de sa largeur, j'aperçus un immense bûcher flamboyant de la base à la pointe, et tout autour deT lui, se tenant par la main, comme dans une ronde, cinquante hommes environ dansant une sarabande effrénée. Les Français ! me dit Laverdière. Et comme J'hésitais à les reconnaître Venez, ajoutat-il, nous allons les identifier. Je crus un instant, et pour de bon, que la Barbarie avait repris ces hommes civilisés, tant la joie qui les possédait manifestait un caractère sauvage. C'était une sauterie hideuse, à cabrioles grotesques, entre- mêlées de cris féroces et de gambades ressemblant aux rondes infernales des Iroquois autour de leurs pri- sonniers de guerre liés au poteau de la torture. I 1. Ces retours de la civilisation à la barbarie sont très rares. Ils existent cependant, même dans notre histoire. L'un des plus célèbres est celui rapporté par l'immortel découvreur de la Louisiane. Au mois d'Août de l'année 1680, Cavelier De La Salle, dans son voyage à la recherche de Tonti au pays des Illinois, raconte que les hommes qu'il avait chargés de reconstruire le Griffyn et de garder le fort Crève-Cœur, avaient déserté et s'al- liant aux sauvages étaient devenus aussi sauvages qu'eux-mêmes» 212 UN NOËL BRETON Chacun de ces hommes portait un flambeau à la main, celle-ci tenue à hauteur de la tête. C'était une espèce de torche, grossièrement fabriquée d'écorces de bouleau gommées de résine, comme lé prouvaient d'ailleurs, surabondamment, l'odeur acre de leur rouge fumée et le pétillement de la flamme. Les marins vêtus de peaux de bêtes ^ étaient en outre coiffés ame^ pour prendre en amrsion ; — voir son pied^ pour sortir de prison ; 1S73 — Dictionnaire de la hatigue Fra^içaise^ par C Hippeau. Je Fiei^ da aignaler quelques archaïames de la langue fran- içaiae au temps de Jacquoë Cartier ] le lecteur aimera peut-être ^ connaitï'e auââi certiahis mots de la lan^e sauvage parlée, il cette mê m a époque, pat les Algonquins du Canada. En voici tguelquea uns, choisis parmi lea phia euphouiques Ils appellent seigneur, agouha^ina i la neige ^ eanisa ; le vent, tcahoka ; le feu, azLsta Teau, cîme ; la terre, dA^'mga ; le blé, on^y ; Je pain, carra^onny ; la fumée, qtiea ; la mer agofiasy ; lea vagues de la mer, cwïa ; le boiflla forêt, tjoîuia; les feuilles, hoga;\^ che- min, adde ; uu chien, agayo ; bonjour, aujtiaz ; un petit enfant, f^xioBta ; le nombre 1, segtida ; le nombre é^ ^nadelon etc., etc., ^etc. Ils appellent une ville ; Cdiiada, La traduction sauvée du jnot chie^t^ est partie uliërem en t heureuse agayo^ on croirait entendre japper. Second Voyage de. Jacqiies Cartier 1&35-36 feuillet 13, verao da feiilHet 46 et feuilleta 47 et 48. > ÉPILOGUE 231 vivement les yeux sur les trois croque-morts de VEmérillon qui chargeaient maintenant le bois car* bonisésurlatabagane. Et j'entendis Guillaume Séquart qui disait à ses camarades Pauvre petit Rougemont ! ça lui aurait fait grand heur tout de même de voir la fête ! Il regarde mieux que cela, répondit Duvert, accom- pagnant cette réflexion d'un geste énergique de la tête qui montrait bien le ciel à ses auditeurs. N'empêche, ajouta Eustache Grossin, en manière de réflexion mentale, n'empêche qu'on ne s'habitue pas à voir mourir la jeunesse, et que ça peine d'y songer ! Pour la seconde fois Charles Laverdière me dit d'un ton impératif Regarde vite, vite .... le jour arrive ! * Phénomène étrange ! le propre du rêve et sa carac- téristique dominante, plus j'ouvrais les yeux t moins les objets m'apparaissaient visibles. Par contre, il me suffisait de fermer énergiquement les paupières pour ramener fixe, distincte, précise et de netteté photographique absolue, la vision des choses naguère troublées et flottantes. Je ne savais trop comment expliquer cet événement bizarre, sinon que les lueurs expirantes du brasier faisaient vaciller, sauter à leur lumière, tous les profils du paysage. Le feu, comme la vie humaine, a quelquefois une agonie tourmentée. Je regardai derrière moi pour m'en convaincre. A ma grande stupéfaction, je m'aperçus que le feu de joie était mort, bien mort sous ses braises éteintes et ses charbons noirs. De ses cendres épaisses, encore tièdes, s'élevait une lente spirale de pesante fumée, fumée blafarde, fumée grise comme le matin d'un jour de pluie. 232 ÉPILOGUE Etais-je donc le jouet d'un songe ? Quand je retournai la tête, Grossîn, Séquart et Duvert avaient disparu, à la magique façon des autres, les maîtres compagnons mariniers et charpentiers de navires. . Si loin que je pouvais regarder à la ligne de Thorizon et sur tous les points d^ sa circonférence, il m'était impossible d'apercevoir aucune silhouette humaine^ Le maître-ès-arts, seulement, demeurait auprès de moi. A ce moment précis le vent m'apporta de grandes bouffées d'orgue et de voix chantantes, comme de la musique échappée par Tentrebaillement d'une porte ouverte et close presque aussitôt. Je voulus demander à mon guide d'où venait cette étrange mélodie, cette musique d'église orchestrée, savante, comme le chant moderne de nos maîtrises. Mais la métamorphose quelui-même, Laverdière, subis- sait, me rendit muet d'épouvante. Je n'avais plus de lumière suffisante pour l'apercevoir, et sa silhouette indécise semblait appartenir maintenant aux ténè- bres extérieures, s'y fondre par degrés. Cet efface- ment fantasmagorique rappelait, par l'identité des effets, ces accidents de lanterne magique où, la lumière venant tout à coup à manquer^ la flamme du lampa- daire à s'affaisser dans son brûleur de cuivre, la lame de verre colorié ne projette plus sur la muraille blan- che qu'une image vacillante, indéterminée. Ainsi; m'apparaissait Charles Honoré Laverdière. Son ombre n'était plus maintenant qu'un fantôme affreu- sement pâli aux lueurs grandissantes de l'aube, un spectre si léger, si ondulant, si subtil, que la brise l'entraînait déjà dans sa course inconsciente, que je le voyais enfin s'évanouir, et pour jamais, comme une ÉPILOGUE 235 buée de marécage dans Tatmosphère diaphane de Taurore. Je courus à lui avec l'énergique impétuosité du désespoir, craignant, à tout instant, de le voir me laisser seul. Ce qui me causait une peur horrible. Mais égale se maintenait la fatale et infranchissable distance. Cette course affolée dura longtemps. Soudain,, je lâchai un cri terrible, tendis les bras en avant, et demeurai stupéfait. . . Un rayon de soleil venait de fondre dans sa lumière le spectre du prêtre-archéolo- gue. Seulement, une voix grêle, diluée, flottante, et dont le timbre me restera pour jamais au fond de Toreilleet de la mémoire, vint expirer, en lointain écho, ces paroles ailées, faibles comme un souffle, timides comme un aveu " Jour venu ! adieu ! ! Souviens-toi ! ! ! " Et je n'entendis plus rien .... rien .... rien . . . . qu'un puissant accord longuement soutenu sur un clavier d'orgue, des voix de jeunes filles, des voix merveilleusement belles, chantant une partition soprane, des strettes de violons, une grande rumeur d'orchestre roulant un flot d'harmonie, comme un ressac sur une grève sonore, des cuivres soutenant les notes basses et lentes d'un accompagnement magistral écrit par quelque auteur célèbre. J'cvris de grands yeux cette fois, des yeux bien éveillés, que les lumières éblouissantes des gazeliers aveuglèrent et je me retrouvai scandaleuse- ment assis, au fond de mon banc, à l'église, au franc milieu de la Basilique Notre-Dame de Québec, tandis que mes voisins, tandis que mes voisines, pieusement agenouillés, priaient avec ferveur. 234 ÉPILOGUE L'on chantait au chœur de l'orgue une phrase de VAgm4s Dei et l'orchestre, en guise d'accompagne- ment, jouait sur ses premiers violons un délicieux motif de berceuse, charmeur, endormant, d'un effet irrésistible sur des auditeurs bien disposés et bien assis. Cette œuvre magistrale de Fauconnier sa Messe Solennelle de Noël 1 avait ceci de particulier que les accompagnements d'orchestre soutenaient une mélo- die identique au Kyrie et à Y'Agniis Deu La berceuse, qui m'avait endormi avec les premières stances musi- cales du Kyriey m'éveillait maintenant au rhythme somnolent de ses mêmes mesures. Cette singularité confirmait, d'ailleurs, l'exactitude d'une vieille expé- rience physiologique sur les phénomènes naturels du sommeil, savoir que le son de paroles habituelles, l'accent connu, le timbre d'une voix familière, le nom du dormeur prononcé, même à voix basse, réveillent plus vite que l'éclat d'un grand bruit. Vous savez maintenant, lecteurs, quel rêve histo- rique a traversé cette nuit-là mon sommeil, pourquoi -et comment Une Fête de Noël sous [acques Cartier est devenue le sujet et le titre de mon premier essai littéraire. 1. La Messe Solennelle de Noël de Fauconnier, fut exécutée à la Basilique de Notre-Dame de Québec, le 25 DécembM 1885. APPENDICE. Réponse dd Son Excellence VhûmraHe Auguste Rèaî Angers, aune adresse dt filicitations présentée par î^ Institut Cana- dien Français de Québec^ le ij janvier i888, à T occasion de son élévation à la charge de Lieutenant Gouverneur de la province de Québec. - Monsieur le présidant de rinstitut Canadien de Québec, Messieurs, Je constate avec un vif plaisir que votre influence a su réunir à une fête dé l'esprit l'élite de la société française de Québec. Avec un rare succès vous avez inspiré à. la jeunesse le goût de s'in-^truire, à l'âge mûr le désir de se perfectionner ; goût qui absorbe les entraînements premiers de l'adolescent, désir qui captive rambition de l'homme fait. C'est par vos soins que nous voyons rangés dans votre bibliothèque et classés dans votre catalogue, les plus beaux produits du génie dtr rhonime dans les sciences et dans les lettres* Vous avez fait le travail de l'essaim qui envahit la plaine^ cueillant^ des prés en fleurs, les meilleurs parfums,* les sucs les plus purs. Amsi butinant, vous avez comblé vos rayons de livres précieux, honnêtes et charmants, miel dont se nourrit l'intelligence, manne que nous pouvons ramasser à toutes les heures. Du haut de leur cases, combien d^amis me reconnaissent et me squrient, comme si je ne les avais depuis longtemps délaissés/ Comme je me sens tenté d'entreprendre avec vous, monsieur le président, un voyage autour de cette bibliothè- que. Il nous faudrait passer à travers l'histoire contempo- raine, nous arrêtant aux hauts faits de nos incomparables annales canadiennes ; voyager au moyen âge oti resplendit Vhéroïque é[opée de la chevalerie et des croisades, et lemonter jusqu'aux temps anciens, faisant halte aux Ther- mopyles, nom qui au Canada, depuis 1813, se prononce Chateauguaj i 236 APPENDICE Dans un si long retour vers des temps envolés, nous nous verrions délaissés des dames dont Tesprit, comme le charme,- est toujours au présent, jamais au passé. Puis, conduits par l'ordre alphabétique du catalogue^ nous arriverions devant la porte close de la philosophie, et la clef en est aux mains du maître-ès-sciences. Dans le catalogue, la poésie est sa voisine. Similitude des choses de la vie réelle, c'est auprès des buissons inextricables qu'il faut chercher les fleurs. La poésie est une fée qui connaît tous les accents. Dans son domaine, à côté des plus riches moissons, que de pervenches, de muguets et de violettes pour vos parures, mesdames ; mais la discrétion de Tâge me soupire à Toreille passez, passez ! Comment éviter ce secrétaire en bois de santal incrusté de filigranes d'argent, ce sachet capitonné de soie bleue oà repose l'art épistolaire ? ces lettres dont l'écriture courante reconstruit les traits, le regard, le sourire des chers absents, évoque l'image, la personnalité entière d'êtres aimés. Lisez des lettres, surtout des lettres de femmes. Elles sont comme ces médailles d'un autre âge, ces portraits sur ivoire, qui,, par la délicatesse des lignes, la carnation des chairs, le relief des figures, font revivre des causeries à cœur ouvert et re- mettent sous la main le velouté des meilleures heures de l'existence. Nous, le grand nombre, nous qui n'aurons jamais cette seconde vie qui attend l'auteur, cultivons l'art de la correspondance. Quelques lettres seront peut-être , tout ce qui restera de nous aux soins discrets de l'amitié. Votre catalogue révèle le choix judicieux des livres qu'il contient et ne me laisse rien à dire de ceux qu'il faut évi- ter. Vous inviter à l'étude et à la lecture serait aussi ua hors-d'œuvre. Le goût des lettres nous pénètre dans cette salle avec l'atmosphère qu'on y respire, et nous en voyons les brillants résultats au dehors. Au printemps dernier, un phare allumé aux terres d'Evangéline a percé les brumes qui envelop^ paient l'histoire du Bassin des Mines. Une revue nouvelle,. Le Canada-Français^ rajeunira de jets de lumière bien des feuilles détachées et oubliées de nos annales ; la religion,, les sciences et les lettres entreront aussi dans le cadre de cette publication.. Au nombre des ouvriers de la pensée qui lui ont promis leur concours, je trouve plusieurs des- membres de votre institut ; un autre a clos l'année 1887 par JùM^_ APPENDICE 287 la'* Légende d'un Peuple" que Jules Claretie a tenu sur les fonts et que le secrétaire perpétuel de TAcadémie fran çaise a saluée d'un carillon joyeux, 1888 va commencer par la venue prochaine â^ un autre îivre^fih du taknt d'un des vôtres. Il est de noble Hgnk ; sa source remonte à nos plus vieux parchemins. Il a nom *' Nael 1535 sous Jacques Cartier^ NûUvelh'I^ranceJ' Vous le reeonnài Irez, f espère^ à son ètat^ il ' est roman-histoire ; roman par la grâce du style, la mise en scène et I intérêt, histoire par l'exactitude desfa Frustration ressentie, c'était pas mal comme petit film. - Cher Père Noël ... Love Always, Santa Je le voyais pour la 3ème fois. Ca se regarde, c'est mignon. L'idée d'un auteur qui répond au nom de Père Noël, est un thème mignon. Mercredi 7 novembre 2018 - Le Pacte Secret de Noël Switched for Christmas Ah ben j'ai bien apprécié celui-ci. On verra si ca se confirme, mais ça sera peut-être mon préféré de la semaine. Des jumelles qui échangent leur vie et qui vont se rapprocher de cette manière, on dépasse un peu le côté romance même s'il y en a évidemment comme tout film de Noël. - Noël à pile ou face A Dream of Christmas Revisionnage. Ca se regarde même si j'ai été un peu plus attentive que la première fois je pense. Jeudi 8 novembre 2018 - Un délicieux Nöel The Sweetest Christmas J'espère que vous avez de bonnes choses à grignoter sous la main car cette série donne envie de manger du pain d'épices ... et pourtant j'en suis pas fan. Les décos en pain d'épices sont sublimes, surtout celui de la fin de concours qui fait vraiment rêver et que j'oserais jamais y toucher tellement il est beau. Ce téléfilm m'a donné envie d'essayer d'en faire. Peut-être que ça me goutera + que celui qu'on trouve en magasin. Sinon ca se regarde et j'ai bien aimé le début avec le gars qui demande à son amoureuse d'être promue à la manière d'une demande en mariage. Par contre, la réaction de la fille était un peu disproportionnée à mon goût par rapport à ça. Ya romantique et romantique hein. - Une mélodie de Noël A Christmas Melody Revisionnage. C'était plaisant à regarder et j'apprécie toujours Mariah Carey dans son rôle de petite peste, qui lui va toujours aussi bien. Vendredi 9 novembre 2018 - A la recherche d'un Père Noël Finding Santa Le personnage principal masculin s'appelant Ben, je ne peux que dire que j'ai apprécié le film. p J'ai bien apprécié qu'on aborde le thème de choix de vie. Et puis, le gars qui a failli faire le Père Noël sur la parade ... qué catastrophe! x - La Parade Amoureuse de Noël Sleigh Bells Ring Revisionnage. C'est sympa à regarder mais j'ai pu faire d'autres petites choses côté. Pas de téléfilm pour samedi et dimanche. Mon préféré de la semaine Le Pacte Secret de Noël. Bilan du mois de mai 2018 Ce mois de mai est un petit mois au niveau livresque. Ce que j'ai lu Pour un avis plus complet, n'hésitez pas à cliquer sur la couverture du titre qui vous intéresse. Si je dois choisir un titre; ca sera Le Chaudron Brisé puisque Piste d'Enfer est un tome 2, mais je vous recommande vivement la série si vous êtes adeptes de magie. Le mois fut donc court en lectures mais bien sympathique. Ce que j'ai lu - 1 one-shot Le Chaudron Brisé - 1 suite de saga Piste d'Enfer J'ai commencé le mois de juin 2018 avec Ces émissions littéraires - Livrés à Domicile Mai 2018 Dernier mois de la saison pour Livrés à Domicile. Emission du 7 mai 2018 Best Of - Histoires d'écrivains Replay ICI 1. Oona & Salinger - Frédéric Beigbeder Lectrice Sophie Beigbeder n'est pas un auteur qui m'attire de prime abord dans ses oeuvres mais il est intéressant à écouter. Mais même si ce titre a l'air de m'attirer plus que ses autres titres, je ne suis pas certaine de m'y plonger. 2. Julia Kerninon - Buvard Lectrice Natacha Pas trop attirée par ce titre. 3. Jean-Baptiste Baronian -L'enfer d'une saison Lectrice Cécile Livre parlant de Rimbaut, Verlaine et autres personnages. Je ne suis pas trop attirée par ce titre non plus. Emission du 14 mai 2018 Auteur invité Alain Bomboko - Dernières nouvelles du fleuve Lecteurs Joël et Laurence Replay ICI Interview très intéressante avec l'auteur. Il est passionnant à écouter quand il parle de ses origines et sa vie. Il a l'air très sympathique en plus. Par contre, je ne sais pas si je me tournerai vers son livre même s'il peut être intéressant à lire. Dans sa rubrique numérique, Michel nous parle du site "Bibliothèque numérique de littérature de jeunesse libre". Timika, Western Papou de Nicolas Rouillé, Samouraïs dans la brousse de Guillaume Jan et Le suspendu de Conarky de Jean-Christophe Ruffin. Je pense que je choisirais Le Suspendu de Conarky pour découvrir un auteur que j'ai croisé plusieurs fois sur les blogs. Tu dormiras quand tu seras mort de François Muratet,Le mal en soi d'Antonio Lanzetta et Le Salon de Beauté de Malba Escobar. Je pense que je choisirais Le Mal en soi car les thématiques ont l'air intéressantes. Emission du 21 mai 2018 Auteur invité Didier van Cauwelaert - J'ai perdu Albert Lectrice Marie Replay ICI Dans sa rubrique numérique, Michel nous parle du droit d'auteur en numérique. Vous n'espériez quand même pas un CDD de Mathilde Ramadier, Par les rafales de Valentine Imhof et Partir avant la fin d'Ariane Le Fort. Je pense que je choisirais Vous n'espériez quand même pas un CDD. Boréal de Sonja Delzongle, Une famille de Pascale Kramer et Rome de Miles Hyman. Je pense que je choisirais Une famille, mais parce qu'il faut choisir. Le Chaudron Brisé de Nathalie Dau Synopsis L'amour et la vengeance ont l'art de traverser les âges, et ce d'autant plus lorsque les dieux sont impliqués. Pour certains mortels, cela signifie un héritage lourd à porter, mêlé de malédiction. Ainsi en va-t-il d'Augusta Quinn et d'Alwyn Archtaft. Destinés à réparer le chaudron de Kerridwen, afin de permettre le retour de la déesse, ils devront compter avec Affang, le terrible démons des eaux, qui les poursuivra de sa haine. Mais en cette fin de XXème siècle, un dieu veille et se souvient. Capable d'arpenter les lieux d'ici et d'ailleurs, Kernunnos, sous l'un ou l'autre de ses avatars, permettra à la réalité de rattraper le mythe ... et de le dépasser. Mon avis Voilà un livre qui ne sera pas resté longtemps dans la PAL. Ce livre m'a intrigué dès le départ avec les mots Mythes, esprit celte. J'ai donc demandé à ma soeur de me le procurer à la Foire du Livre de Bruxelles puisque je ne savais pas m'y rendre cette année. Et en plus, le livre est trop mignon dans son format. Et avril de la même année, le voilà lu. Qu'en ai-je pensé? Ce fut une bonne lecture. J'avoue que je ne sais pas trop comment en parler, à part en vous recommandant de le lire si vous aimez les légendes qu'elles soient celtes ou non, la nature, les animaux mais également les malédictions, la nature humaine et ses côtés sombres. On fait une plongée immédiate dans l'ambiance celtique et ses légendes. Ca sent la nature et les animaux dès le départ avec les deux personnages principaux qui savent se transformer en animaux. On découvre un amour et une confiance très forte entre la déesse-mère et le dieu-cerf. Mais très vite on sent que ça ne va pas durer et leur histoire va durer dans le temps. On suit donc leur histoire mais également leurs descendants dans une époque plus proche de maintenant. Et on peut dire que les descendants ont une fameuse malédiction qui les poursuit puisqu'ils doivent éviter de s'approcher de l'eau sous peine d'en mourir. Et pourtant, ils se sentent attirés par l'eau même s'ils sentent une menace en émaner. Ils sont rattrapés par le passé afin de pouvoir y mettre un terme. J'ai aimé suivre cette histoire de longue durée même si certains épisodes au niveau des Dieux sont un peu particuliers voire glauques. Le fils de Kerridwen et Kernunnos est vraiment malsain et particulièrement avec sa mère. Ceci dit, j'ai trouvé que Kerridwen et Kernunnos c'est aussi particulier dans leur genre. J'ai du passer assez vite sur certains aspects afin de laisser ma logique continuer à poursuivre cette histoire et savoir comment tout cela allait évoluer. J'ai l'impression qu'il me faudra relire cette histoire même si j'ai passé un bon moment, afin de ne plus me faire surprendre par ces aspects un peu particuliers et pour mieux m'imprégner encore de cette mythologie que je ne connais pas du tout au final. D'ailleurs, j'ai mis un temps fou pour rédiger ces lignes et je sens que je ne rends pas justice à l'histoire et à l'auteur alors que j'ai passé un bon moment. Cette histoire permet de découvrir la culture/mythologie celte si on ne la connait pas encore. Un glossaire est inclus à la fin et explique certains termes et certains dieux. A lire à la fin, je pense pour éviter les spoilers. Sinon, il fait un très bon complément à l'histoire. Il me tarde de plonger dans un autre titre de l'auteur. C'est lundi, que lisez-vous? 22 octobre 2018 Qu'ai-je lu la semaine passée? Que suis-je en train de lire? Que vais-je lire la semaine qui vient? Je vais poursuivre Shining, j'aimerais le terminer cette semaine afin de pouvoir commencer un autre titre pour Halloween. Sinon, du point de vue graphique, ça devrait se jouer entre Et vous, que lisez-vous? Ces émissions littéraires - La Grande Librairie Mai 2018 Dernier mois de cette saison pour La Grande Librairie. Emission du 3 mai 2018Invités Zep, Francis Hallé, Jaqcues Tassin, Gilles Clément, Douglas Kennedy, Silvia Avallone Pour voir l'émission et en savoir plus, c'est ICI que ça se passe. Emission très intéressante sur la première partie avec la terre mais surtout sur les arbres. Sans oublier la fin du monde et pourquoi pas la fin de l'Homme avec la revanche de la nature. Je suis donc intriguée par Zep qui change de genre avec sa BD "The End" qui a l'air sombre sur le thème de la fin du monde et l'intervention de l'arbre. Le livre de Jacques Tassin "Penser comme les arbres" a l'air intéressant aussi et on dirait que l'auteur n'est pas du même avis que ... Emission du 10 mai 2018Invités Jean-Christian Petitfils, Frédéric Vitoux, Jean-Claude Bologne, Virginie Girod, François Taillandier et Jacques Weber Pour voir l'émission et en savoir plus, c'est ICI que ça se passe. Pour cette émission sont invités des historiens. Cette émission est intéressante mais niveau livre m'attire moins ... sauf peut-être pour le titre de Jean-Christian Petitfils "Les énigmes de l'histoire de France". L'énigme du Masque de Fer par exemple est abordé/étudié. Emission du 17 mai 2018Invités Edouard Louis, Pascale Kramer, Geneviève Brisac, Violaine Huisman, Mary Dorsan et Philippe Labro Pour voir l'émission et en savoir plus, c'est ICI que ça se passe. Hommage à Tom Wolfe avec Philippe Labro. Thème de l'émission les parents et les classes sociales/la société. Edouard Louis m'a donné envie de découvrir son titre qui a tué mon père. Il parle très bien des dominants/dominés d'une société. Et peut-être même ses autres titres dont un a été recommandé par la libraire de la semaine. Emission du 24 mai 2018Invités traductrice, ... Pour voir l'émission et en savoir plus, c'est ICI que ça se passe. Emission spéciale Philippe Roth afin de lui rendre hommage. Emission inéressante pour les fans ou les gens l'ayant déjà lu. Je ne l'ai jamais lu donc j'ai regardé sans trop être attentive, je dois l'avouer. Emission du 31 mai 2018Invités Leïla Slimani, Patrick Grainville, Franck Courtès, Patrick Pécherot, Lydie Salvayre, Dan Franck, Mahir Guven, Colum McCann Pour voir l'émission et en savoir plus, c'est ICI que ça se passe. Spéciale conseils de lecture pour l'été Leïla Slimani parle de Simone de Beauvoir et de son oeuvre "Le deuxième Sexe" Lydie Salvaire a choisi de parler des Hauts de Hurle-Vent et de son auteur Emilie Brontë. Elle évoque aussi Virginia Woolf. François Busnel présente La Petite Fille sur la Banquise d'Adelaïde Bon et remontre son intervention dans l'émission pendant la saison. Scénario de Dan Franck raconte les coulisses d'une série TV. Patrick Grainville parle de Jean d'Ormesson et de son oeuvre "Moi, je vis toujours". Richard Texier parle du peintre chinois Zao, personnage de son roman "Zao". Patrick Pécherot parle de Hevel, son dernier titre. Mahir Guven présente son 1er roman "Hevel" La libraire de la semaine nous présente sa sélection "Bondrée" d'Andréa A. Michaud, "La vie parfaite" de Silvia Avallone, "Les cavaliers" de Joseph Kessel, "Moins qu'hier plus que demain de Fabcaro et "Station Eleven" d'Emily St. John Mandel. Franck Courtès nous parle de sa passion pour la photo dans son titre "La dernière photo" et on voit qu'il a photographié quelques auteurs présents. 30 secondes pour donner envie de lire Les argonautes de Maggie Nelson => peut-être Le Lambeau de Philippe Nelson => bof Ecoute la ville tomber de Kate Tempest => bof Correspondance d'Albert Camus et Maria Casarès => déjà présenté dans une émission de la saison, mais je ne m'orienterais pas forcément + vers ce titre. Colum McCaan vient parler de ses "Lettres à un jeune auteur" et il donne envie de s'intéresser de plus près à son livre. => Je suis contente d'avoir retrouvé l'exercice des 30 secondes pour présenter un titre mais j'aurais aimé retrouver le même format entier qu'avait la dernière émission de la saison précédente pour cette émission. C'est lundi, que lisez-vous? 15 octobre 2018 Qu'ai-je lu la semaine passée? Que suis-je en train de lire? Que vais-je lire la semaine qui vient? Je vais essayer d'avancer un peu plus "vite" dans Shining. Si je le termine dans la semaine, je ne sais pas encore ce que je vais lire, mais ça sera un titre qui sera lu dans le cadre du Pumpkin Autumn Challenge. Peut-être que je m'intercalerais un de ces graphiques Et vous? Que lisez-vous? Alors que Disney+ arrive le 24 mars 2020 chez nous, la liste complète de son catalogue vient d’être diffusée et c’est donc près de 500 productions qui sont prévues à son lancement. Créations originales. LA BELLE ET LE CLOCHARDSTARGIRLTIMMY FAILURE DES ERREURS ONT ETE COMMISESTOGOUNE JOURNEE A DISNEY SPECIALA VOUS CHEF !CHIEN GUIDE D’AVEUGLE EN DEVENIRHIGH SCHOOL MUSICAL LA COMÉDIE MUSICALE LA SÉRIEHIGH SCHOOL MUSICAL LA COMEDIE MUSICALE LA SERIE LESCOULISSESIL ETAIT UNE FOIS LES IMAGINEERS, LES VISIONNAIRES DISNEYJOURNAL D’UNE FUTURE PRESIDENTE Saison 1L’ATELIER DE JUSTINLE MONDE SELON JEFF GOLDBLUMLES COULISSES DE DISNEYMARIAGES DE REVES DISNEYPROJET HEROS MARVELSOUS LES FEUX DE LA RAMPESTAR WARS THE CLONE WARSTHE MANDALORIAN Saison 1FAMILY SUNDAYSFOURCHETTE SE POSE DES QUESTIONSLA VIE EN LUMIÈRELES COURTS MÉTRAGES DISNEYPIXAR EN VRAISPARKSHORTSUNE JOURNEE A DISNEY Disney films et animations. 101 DALMATIENS 2 SUR LA TRACE DES HEROS102 DALMATIENS20 000 LIEUES SOUS LES MERS3 ÉTOILES, 36 CHANDELLES4 BASSETS POUR UN DANOISÀ LA POURSUITE DE DEMAINÀ NOUS DE JOUERALADDINALADDIN ET LE ROI DES VOLEURSALEXANDER ET SA JOURNÉE ÉPOUVANTABLEMENT TERRIBLE ETAFFREUSEALICE AU PAYS DES MERVEILLES 1951ALICE AU PAYS DES MERVEILLES 2010ALICE DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIRAMERICA’S HEART & SOULAMIENNEMIESAMYANNIE 1999ANTARTICA, PRISONNIERS DU FROIDATLANTIDE, L’EMPIRE PERDUAU ROYAUME DES SINGESAVALON HIGH UN AMOUR LÉGENDAIREBABES IN TOYLANDBABY-SITTORBAMBIBAMBI 2BASIL DÉTECTIVE PRIVÉBENJAMIN GATES ET LE LIVRE DES SECRETSBENJAMIN GATES ET LE TRÉSOR DES TEMPLIERSBENJI LA MALICEBERNARD ET BIANCA AU PAYS DES KANGOUROUSBIENVENUE CHEZ LES SCOUTS !BIENVENUE CHEZ LEZ ROBINSONBIENVENUE CHEZ TRUDYBLANCHE-NEIGE ET LES SEPTS NAINSBOBBY DES GREYFRIARSBRINK, CHAMPION DE ROLLERCADENCECADET KELLYCALLOWAY LE TRAPPEURCALVIN ET TYCOCAMP ROCKCAMP ROCK 2CASEBUSTERSCENDRILLON 1950CENDRILLON 2015CENDRILLON 2 UNE VIE DE PRINCESSECHASSEURS DE VAMPIRECHÉRIE, J’AI RÉTRÉCI LES GOSSESCHÉRIE, J’AI AGRANDI LE BÉBÉCHÉRIE, NOUS AVONS ÉTÉ RÉTRÉCISCHICKEN LITTLECHIENS DES NEIGESCHIMPANZESCLOCHETTE ET L’EXPÉDITION FÉERIQUECLOCHETTE ET LA PIERRE DE LUNECLOCHETTE ET LE SECRET DES FÉESCLOUD 9, L’ULTIME FIGURECOOL ATTITUDE, LE FILMCOQUIN DE PRINTEMPSCROC-BLANCDANS L’OMBRE DE MARYDARBY O’GILL ET LES FARFADETSDAVY CROCKETT ET LES PIRATES DE LA RIVIÈREDAVY CROCKETT, ROI DES TRAPPEURSDES AMOURS DE SŒURCIÈRESDES AMOURS DE SŒURCIÈRES 2DES VACANCES INOUBLIABLESDESCENDANTSDESCENDANTS 2DINGO ET MAXDINGO ET MAX 2 LES SPORTIFS DE L’EXTRÊMEDINOSAUREDISNEY BABYSITTING NIGHT 2016DOUBLE ÉQUIPEDOUG, LE FILMDOUMA ET SES AMISDRÔLES DE VACANCESDUMBO 1941EMBROUILLES DANS LA GALAXIEEMILE ET LES DÉTECTIVESESCALE IMPRÉVUEFACE OU PILEFANTASIAFANTASIA 2000FELINSFIDÈLE VAGABONDFIGURE LIBRE L’ART DU PATINAGEFLUBBERFRANK ET OLLIEFRANKENWEENIE 2012FREAKY FRIDAY – DANS LA PEAU DE MA MÈRE 2003FRÈRE DES OURSFRÈRE DES OURS 2FUZZBUCKET, L’AMI INVISIBLEGEORGE DE LA JUNGLEGEORGE DE LA JUNGLE 2GRAINE DE HÉROSGRANDIRGRIZZLIGUSHACKSAWHANNAH MONTANA LE FILMHANNAH MONTANA ET MILEY CYRUS LE FILM CONCERT ÉVÈNEMENTHERCULEHIGH SCHOOL MUSICALHIGH SCHOOL MUSICAL 2HIGH SCHOOL MUSICAL 3HISTOIRES ENCHANTÉESHOCUS POCUS LES TROIS SORCIÈRESHYPER NOËLIMMORTELSINTO THE WOODS – PROMENONS-NOUS DANS LES BOISINVINCIBLEJAMES ET LA PÊCHE GÉANTEJOHN CARTERJOHNNY KAPAHALAJOHNNY TSUNAMIJONAS BROTHERS LE CONCERT ÉVÉNEMENTJOURNAL INTIME D’UNE FUTURE STARJUMP IN !JUSTIN MORGAN HAD A HORSEKIM POSSIBLE, MISSION CUPIDONKUZCO 2 – KING KRONKKUZCO, L’EMPEREUR MÉGALOL’APPRENTI MILLIONNAIREL’APPRENTI SORCIERL’APPRENTIE SORCIÈREL’ÉCOLE FANTASTIQUEL’HISTOIRE DE PIXARL’INCROYABLE RANDONNÉEL’ORDINATEUR EN FOLIELA BANDE À PICSOU, LE FILM LE TRÉSOR DE LA LAMPE PERDUELA BELLE AU BOIS DORMANTLA BELLE ET LA BÊTE 1991LA BELLE ET LA BÊTE 2 LE NOËL ENCHANTÉLA BELLE ET LE CLOCHARDLA BELLE ET LE CLOCHARD 2 L’APPEL DE LA RUELA CANE AUX ŒUFS D’ORLA COCCINELLE À MEXICOLA COCCINELLE À MONTE-CARLOLA COCCINELLE REVIENTLA COLO DES GOURMANDSLA CONFIANCE DES CHEVAUXLA COUR DE RÉCRÉ LES PETITS CONTRE-ATTAQUENTLA COUR DE RÉCRÉ RENTRÉE EN CLASSE SUPÉRIEURELA COUR DE RÉCRÉ VIVE LES VACANCES !LA COURSE AU TRÉSORLA DAME DE KATWELA DRÔLE DE VIE DE TIMOTHY GREENLA FABULOUS AVENTURE DE SHARPAYLA FÉE CLOCHETTELA FERME SE REBELLELA FIANCÉE DE PAPA 1961LA GRANDE AVENTURE DES MUPPETSLA GRANDE PRAIRIELA HOTTE MAGIQUELA LEGENDE DE L’ETALON NOIRLA LÉGENDE DE TARZAN ET JANELA MAISON DU FUTURLA MISSION DE CHIEN NOËLLA MONTAGNE ENSORCELÉE 1975LA MONTAGNE ENSORCELÉE 2009LA MORSURE DU LÉZARDLA NAISSANCE D’UNE NOUVELLE STARLA PATROUILLE FANTÔMELA PETITE SIRENELA PETITE SIRENE 2 RETOUR A L’OCEANLA PLANÈTE AU TRÉSORLA PRINCESSE ET LA GRENOUILLELA REINE DES NEIGESLA STAR IDÉALELA TERRE SACRÉE DES BISONSLA VOIE TRACÉELE BOSSU DE NOTRE-DAMELE BOSSU DE NOTRE-DAME II LE SECRET DE QUASIMODOLE CHAT QUI VIENT DE L’ESPACELE CHIHUAHUA DE BEVERLY HILLSLE CHIHUAHUA DE BEVERLY HILLS 2 LA FAMILLE VIENT DES’AGRANDIRLE CHIHUAHUA DE BEVERLY HILLS 3LE COMBAT DE RUBY BRIDGESLE CRAPAUD ET LE MAITRE D’ECOLELE DESERT VIVANTLE DRAGON RÉCALCITRANTLE DRÔLE DE NOËL DE SCROOGELE FANTÔME DE BARBE-NOIRELE FANTOME DES MONTAGNESLE FANTÔME DU CINÉMALE GANG DES CHAUSSONS AUX POMMESLE GARÇON IDÉALLE GARÇON QUI VENAIT DE LA MERLE GEEK CHARMANTLE GRAND COUP DE MAX KEEBLELE GRAND SOIRLE JAGUAR, SEIGNEUR DE L’AMAZONELE JOURNAL DE JAIMIELE LIVRE DE LA JUNGLE 1966LE LIVRE DE LA JUNGLE 2016LE LIVRE DE LA JUNGLE 2LE LUTINLE MANOIR DE LA MAGIELE MANOIR HANTÉ ET LES 999 FANTÔMESLE MONDE DE NARNIA LE LION, LA SORCIERE BLANCHE, ETL’ARMOIRE MAGIQUELE MONDE DE NARNIA LE PRINCE CASPIANLE MONDE FANTASTIQUE D’OZLE MONDE MAGIQUE DE LA BELLE ET LA BÊTELE NOUVEL ESPION AUX PATTES DE VELOURS 1997LE PLUS BEAU CADEAU DE NOËLLE PLUS BEAU DES COMBATSLE PRINCE ET LE PAUVRELE RANCH DU BONHEURLE RETOUR DE JAFARLE RETOUR DU GANG DES CHAUSSONS AUX POMMESLE ROI LIONLE ROI LION 2 L’HONNEUR DE LA TRIBULE ROI LION 3 HAKUNA MATATALE SECRET DE LA GOURDE MAGIQUELE SECRET DE LA PETITE SIRENELE SORTILÈGE DE CENDRILLONLE TRÉSOR DE MATACUMBALE TRIOMPHE DE JACELE TROU NOIRLEMONADE MOUTHL’ENFER BLANCLEROY & STITCHLES 101 DALMATIENS 1961LES 101 DALMATIENS 1996LES 2 FONT LA “PÈRE”LES AILES POURPRESLES ARISTOCHATSLES AVENTURES DE BERNARD ET BIANCALES AVENTURES DE PERRILES AVENTURES DE PORCINETLES AVENTURES DE POT-AU-FEULES AVENTURES DE ROCKETEERLES AVENTURES DE TIGROULES AVENTURES DE WINNIE L’OURSONLES AVENTURES D’HUCKLEBERRY FINNLES AVENTURES DU PETIT GOUROULES CHEETAH GIRLSLES CHEETAH GIRLS UN MONDE UNIQUELES CHEETAH GIRLS 2 VIVA ESPANA !LES CHEMINS DU TRIOMPHELES CHIOTS NOËL, LA RELÈVE EST ARRIVÉELES COPAINS CHASSEURS DE TRÉSORLES COPAINS DANS L’ESPACELES COPAINS DES NEIGESLES COPAINS ET LA LÉGENDE DU CHIEN MAUDITLES COPAINS FÊTENT NOËLLES COPAINS SUPER-HÉROSLES COUNTRY BEARSLES ÉNIGMES DE L’ATLANTIDELES FILLES DE L’OCÉANLES LÉGENDES DE L’OUESTLES MONDES DE RALPHLES MUPPETS ÇA, C’EST DU CINÉMA !LES MUPPETS, LE RETOURLES NAUFRAGÉS DE L’ÎLE AUX PIRATESLES NOUVEAUX HÉROSLES PETITS CHAMPIONSLES PETITS CHAMPIONS 2LES PETITS CHAMPIONS 3LES QUINTUPLÉSLES ROBINSONS DES MERS DU SUD 1960LES SECRETS DE LA VIELES SOEURS CALLUMLES SORCIÈRES D’HALLOWEENLES SORCIÈRES D’HALLOWEEN 2LES SORCIÈRES D’HALLOWEEN 3LES SORCIÈRES D’HALLOWEEN 4LES SORCIERS DE WAVERLY PLACE – LE FILMLES TROIS MOUSQUETAIRESLES VISITEURS D’UN AUTRE MONDEL’ESPION AUX PATTES DE VELOURS 1965LET IT SHINEL’ÉTRANGE NOËL DE MONSIEUR JACKL’HOMME LE PLUS FORT DU MONDEL’HONORABLE GRIFFINL’ILE AU TRESORL’ÎLE AU TRÉSOR DES MUPPETSLILO & STITCHLILO & STITCH 2 HAWAÏ, NOUS AVONS UN PROBLÈME !L’INCROYABLE VOYAGEL’INCROYABLE VOYAGE À SAN FRANCISCOLIONS D’AFRIQUELIZZIE MCGUIRELONE RANGER, NAISSANCE D’UN HÉROSMA PIRE JOURNÉEMA SŒUR EST INVISIBLE !MA SŒUR EST UNE EXTRATERRESTREMALEFIQUEMARY POPPINSMAXI PAPAMCFARLANDMÉLODIE COCKTAILMERLIN L’ENCHANTEURMES AMIS LES OURSMICKEY, IL ÉTAIT DEUX FOIS NOËLMICKEY, IL ÉTAIT UNE FOIS NOËLMILO SUR MARSMINUTEMEN, LES JUSTICIERS DU TEMPSMIRACLEMIRACLE À MINUITMIRACLE SUR LA DEUXIÈME LIGNEMISSION GMON AMI JOEMON CLONE ET MOIMON MARTIEN FAVORIMONTE LA-D’SSUSMOTOCROSSMR. BOOGEDYMR. MAGOOMULANMULAN 2 LA MISSION DE L’EMPEREURNATTY GANNNE REGARDE PAS SOUS TON LITNÉS EN CHINENEWSIESNEWSIES COMEDIE MUSICALENOËL CHEZ LES MUPPETSNUIT MAGIQUEOLIVER ET COMPAGNIEONCE UPON A MATTRESSOPERATION DUMBO DROPOPÉRATION MUPPETSOPÉRATION WALKEROZ, UN MONDE EXTRAORDINAIREPAPA, LA FAC ET MOIPETER ET ELLIOTT LE DRAGON 1977PETER PANPETER PAN 2 – RETOUR AU PAYS IMAGINAIREPHINÉAS ET FERB, LE FILM VOYAGE DANS LA 2E DIMENSIONPINOCCHIOPIRATES DES CARAIBES JUSQU’AU BOUT DU MONDEPIRATES DES CARAIBES LA FONTAINE DE JOUVENCEPIRATES DES CARAIBES LA MALEDICTION DU BLACK PEARLPIRATES DES CARAIBES LE SECRET DU COFFRE MAUDITPLANESPLANES 2PLANÈTE SECRÈTEPOCAHONTASPOCAHONTAS 2 UN MONDE NOUVEAUPOINT ZÉROPOLLEPOLLYANNAPRÉSIDENT JUNIORPRINCE OF PERSIA LES SABLES DU TEMPSPRINCESS PROTECTION PROGRAM MISSION ROSALINDAPRINCESSE MALGRÉ ELLEPRINCESSE ON ICEQUELLE VIE DE CHIEN ! 1959RAIPONCERASTA ROCKETTRÊVE DE CHAMPIONROBIN DES BOIS ET SES JOYEUX COMPAGNONSROBIN DES BOISROX ET ROUKYROX ET ROUKY 2SACRÉ PÈRE NOËLSALE MÔMESALUDOS AMIGOS 1943SAMMY, THE WAY-OUT SEALSAVANT EN HERBESCOTT, LE FILMSECRETARIATSKYLAR LEWIS CHASSEUSE DE MONSTRESSKYRUNNERS – L’ODYSSÉE DES FRÈRES BURNSSOS DADDYSTARSTRUCKSTITCH! LE FILMSULTAN AND THE ROCK STARSUPER NOËLSUPER NOËL MÉGA GIVRÉTARAM ET LE CHAUDRON MAGIQUETARZANTARZAN 2TEEN BEACH 2TEEN BEACH MOVIETHE BOYS L’HISTOIRE DES FRERES SHERMANTHE FINEST HOURSTHE GHOSTS OF BUXLEY HALLTHE JUNGLE BOOK MOWGLI’S STORYTHE WILDTINI LA NOUVELLE VIE DE VIOLETTATOM ET HUCKTRAIL OF THE PANDATROIS CABALLEROSTRONTRON L’HÉRITAGEUN AMOUR DE COCCINELLEUN CANDIDAT AU POILUN CHIEN ENVAHISSANTUN COSMONAUTE CHEZ LE ROI ARTHURUN COSTUME POUR DEUXUN COWBOY À HAWAÏUN DRÔLE DE NOËLUN LANCER À UN MILLION DE DOLLARSUN MARIAGE DE PRINCESSEUN MATCH AU SOMMETUN NOUVEL AMOUR DE COCCINELLEUN PARCOURS DE LÉGENDEUN PÈRE PAS COMME LES AUTRESUN VENDREDI DINGUE, DINGUE, DINGUE 1977UNDERDOG, CHIEN VOLANT NON IDENTIFIÉUNE ÉQUIPE DE CHEFSUNE ÉQUIPE DE NASES!VIE DE CHIEN, VIE DE CHÂTEAUVOLT, STAR MALGRÉ LUIWAKING SLEEPING BEAUTYWALT & EL GRUPOWENDY WUWHISPERS AN ELEPHANT’S TALEWINNE L’OURSONWINNIE L’OURSON 2 LE GRAND VOYAGEWINNIE L’OURSON ET L’ÉFÉLANTWINNIE L’OURSON BONNE ANNEEZACH & CODY – LE FILMZAPPED UNE APPLICATION D’ENFER!ZENON ET LA DEESSE DE LA LUNEZENON ET LES ALIENSZENON, LA FILLE DU 21E SIECLEZ-O-M-B-I-E-SZOOTOPIE Disney séries. AGENT 2014/2018AUSTIN & ALLY 2011/2015AUX FRONTIÈRES DE L’ÉTRANGE 1998/2001BAYMAX ET LES NOUVEAUX HEROS COURTS-METRAGESBEST FRIENDS WHENEVER 2015/2017BEST FRIENDS WHENEVER YR 2 2016/17 EPS 20-32BONNE CHANCE CHARLIE 2009/2013CAMP KIKIWAKA 2014/2018COUACS EN VRAC YR 1 1996/97 EPS 1-39DISNEY DESCENDANTS GENERATION MECHANTS 2015/2016DISNEY LA GARDE DU ROI LION 2015/2017DISNEY SYDNEY AU MAX 2018/2019DISNEY VAMPIRINA LES MONSTRUEUSES SUR SCENE COURTS-METRAGES 2017DOCTEUR LA PELUCHE 2011/2016DOUG 1996/1999ELENA D’AVALOR COURTS-METRAGES 2016-2017FANCY NANCY CLANCY 2017-2018FRANKIE & PAIGE 2015-2018GARGOYLES, LES ANGES DE LA NUIT 1994-1997HANNAH MONTANA 2005/2010HENRY CALIMONSTRE 2012-2015INCORRIGIBLE CORY 1995-2000JAKE ET LES PIRATES DU PAYS IMAGINAIRE 2010-2015JESSIE 2011-2015KIM POSSIBLE 2001-2007LA BANDE À DINGO 1992/93LA BANDE A PICSOU COURTS-METRAGES 2016/17 LA BANDE A PICSOU 2016/17LA BANDE A PICSOU 1989/91LA BOUTIQUE DE MINNIE 2011-2014LA COUR DE RECRE 1997/2000LA LEGENDE DES TROIS CABALLEROS 2017/18LA LOI DE MILO MURPHY 2016/17LA MAISON DE MICKEY 2005/2017LA PETITE SIRÈNE 1992/95LA REINE DES NEIGES MAGIE DES AURORES BORÉALES COURT-METRAGELA VIE DE CROISIERE DE ZACK ET CODY 2008/2011LA VIE DE PALACE DE ZACK ET CODY 2004/2007LE MONDE DE BINGO & ROLLY 2016/17 LE MONDE DE RILEY 2013/2016LE PHINEAS ET FERB SHOW COURTS-METRAGES 2010/2011LES BIO-TEENS 2011/2015LES BIO-TEENS FORCES SPECIALES 2015/16LES CANARDS DE L’EXPLOIT 1996/97LES MUPPET BABIES 2017/18 LES MUPPET BABIES “MONTRE ET RACONTE” 2017/2018LES MUPPETS 2015/16LES MYSTERES DE GRAVITY FALLS COURTS-METRAGES 2012/13LES NOUVELLES AVENTURES DE WINNIE L’OURSON 1989/92LES PETITES CHANSONS 2017/18LES SORCIERS DE WAVERLY PLACE 2007/2011LILO & STITCH LA SÉRIE 2003/2005LIV & MADDIE 2013/2016LIZZIE MCGUIRE 2000/2002MARIAGES DE REVE DISNEY YR 1 2017/18 EPS 1-6MICKEY ET SES AMIS TOP DEPART ! 2016/2018MICKEY MOUSE COURTS-MÉTRAGES 2012/2019MIRACULOUS, LES AVENTURES DE LADYBUG ET CHAT NOIR 2017/18MYSTER MASK 1991/1993PHÉNOMÈNE RAVEN 2002/2006PHINEAS ET FERB 2007/2013PRINCESSE SOFIA 2012/2016PYJAMASQUES COURT METRAGE 2016-2018RAIPONCE, LA SERIE YR 1 2016/17 EPS 1-25RAIPONCE, LA SERIE YR 2 2017/18 EPS 26-49RAIPONCE, LA SERIE LES PETITES HISTOIRES. COURTS-MÉTRAGESYR 1 2016/17 EPS 1-4RANDY CUNNINGHAM LE NINJA YR 1 2011/12 EPS 1-26RANDY CUNNINGHAM LE NINJA YR 2 2013/14 EPS 27-50RAVEN YR 1 2016/17 EPS 1-13RAVEN YR 2 2017/18 EPS 14-34SCOTT, PREMIER DE LA CLASSE YR 1 2000/01 EPS 1-13SCOTT, PREMIER DE LA CLASSE YR 2 2001/02 EPS 14-39SHÉRIF CALLIE AU FAR WEST YR 1 2013/14 EPS 1-23SHÉRIF CALLIE AU FAR WEST YR 2 2014/15 EPS 24-45SOUVENIRS DE GRAVITY FALLS YR 1 2011/12 EPS 1-20SOUVENIRS DE GRAVITY FALLS YR 2 2013/14 EPS 21-41SOY LUNA YR 1 2015/16 EPS 1-80STAR BUTTERFLY YR 1 2018/19 EPS 1-21STAR BUTTERFLY YR 1 2018/19 EPS 1-21STAR BUTTERFLY YR 1 2018/19 EPS 1-21TATAMI ACADEMY YR 1 2010/11 EPS 1-21TATAMI ACADEMY YR 2 2011/12 EPS 22-45TATAMI ACADEMY YR 4 2013/14 EPS 68-85TATAMI ACADEMY YR 4 2013/14 EPS 68-85THE LODGE YR 1 EPS 1-10THE LODGE YR 2 EPS 11-25TIC ET TAC, LES RANGERS DU RISQUE YR 1 1989/90 EPS 1-65TIMON & PUMBAA YR 1 1995/96 EPS 1-25TIMON & PUMBAA YR 2 1996/97 EPS 26-46TIMON & PUMBAA YR 3 1998/99 EPS 47-85TRON LA REVOLTE YR 1 2011/12 EPS 1-18VAMPIRINA YR 1 2017/18 EPS 1-25VIOLETTA YR 1 2011/12 EPS 1-80 Disney Courts-métrages. À LA POURSUITE DE DEMAINCHIEN DE SECOURSDES ARBRES ET DES FLEURSDESTINODONALD CHEF-CUISTOTFERDINAND THE BULLFRANKENWEENIE COURT METRAGEL’ARBRE DE NOËL DE PLUTOLA CIGALE ET LA FOURMILA FANFARELA PETITE FILLE AUX ALLUMETTESLA REINE DES NEIGES UNE FETE GIVREELE BRAVE PETIT TAILLEURLE GRAND MECHANT LOUPLE PAUVRE ABANDONNELE RETOUR DE TOBY LA TORTUELE ROI MIDASLE TOURBILLONLE VIEUX MOULINLES ENFANTS DES BOISLES REVENANTS SOLITAIRESLES TROIS PETITS COCHONSMICKEY A L’EXPOSITION CANINEMICKEY AU MOYEN AGEPLUTO BANDITPLUTO ET LA TORTUEPLUTO JOUE A LA MAIN CHAUDERAISON, DERAISONSTEAMBOAT WILLIESUPER RHINOTENDS LA PATTEUNE PETITE POULE AVISEE Pixar. 1001 PATTESCARSCARS 2LA-HAUTLE MONDE DE DORYLE MONDE DE NEMOLE VOYAGE D’ARLOLES INDESTRUCTIBLESMONSTRES & CIEMONSTRES ACADEMYRATATOUILLEREBELLETOY STORYTOY STORY 2TOY STORY 3VICE VERSAWALL-EAUNTIE EDNA / TATIE EDNABAOBURN-ECARS TOON EL MARTINDORCARS TOON HEAVY METAL MARTINCARS TOON LE HOQUETCARS TOON L’INSECTECARS TOON AIR MARTINDOUG EN MISSION SPECIALEDROLES D’OISEAUX SUR UNE LIGNE A HAUTE TENSIONGEORGE & / NUITLE JOUEUR D’ECHECLE PARAPLUIE BLEULES AVENTURES D’ANDRE ET WALLY STORY TOON VACANCES A HAWAÏ Star Wars. 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Mesdames Chagot de Fays et Abbema. Marie Taglioni. — Comtesse Gilbert des Voisins 1806-1884. DU MEME AUTEUR Paru récemment daris la série les Enigmes de l'Histoire LA FIN DE DEUX LEGENDES L'Affaire Léonard. Le Baron de Batz. I vol. in-8, avec frontispice gravé 5 fr. ROSINA STOLTZ Kâle de la "Reine de Chypre BiblidtliL'juc de rOpcra PROFILS D'ARTISTES Gustave BORD Rosina Stoltz DE L'ACADÉMIE DE MUSIQUE Victoire NOËL 1815-1903 Ouvrage orné d'un -portrait^ d\in dessin et d'un fac-similé Paris ix* Henri DARAGON, Editeur 96-98; Rue Blanche, 96-98 1909 IML L ^1 &G Il a été tiré de cet ouvrage lo exemplaires sur Japon Impérial numérotés de i à lo. A Georges MONTORGUEIL Mon cher Ami, J'ai gagné; c'est assez vous dire que vous avez perdu. Avez-vous gardé le souvenir du défi que vous m'avez porté il y a trois ou quatre ans ? Tout à la joie d'avoir identifié les héroïnes de Murger Marie, Mariette, Musette et Mimi, je vous apportais les preuves... Vous m'interrompîtes, en disant Si cela n'était pas impossible vous arriveriez à trouver qui était Madame Stoltz. » J'éprouve un nouveau plaisir à vous prouver que le mot impossible n'est pas Irançais et je vous dédie ce petit volume, dont vous vous trouvez avoir été le grand-père, sans votes en douter. Cette parenté ne peut que resserrer les liens de notre solide amitié. J'espère que vous parta- gerez ma joie. Gustave BORD. Paris, ce 1'' Mai 1909. RosiNA STOLTZ Victoire NOËL 1815-1903 L'ENIGME La pseudomanie, ou maladie du mensonge, est au moins aussi répandue que la klepto- manie ; moins dangereuse socialement parlant, c'est la vraie lèpre de l'histoire anecdotique, sinon de l'histoire plus sérieuse. Et* pourtant, cette maladie n'est pas faite pour déplaire à tous les lecteurs. Combien aride, combien sommaire ne serait pas l'anecdote, si l'écrivain n'ajoutait pas une pointe d'imagination à la simple vérité ; seul l'esprit de l'escalier donne la vraie réplique, la meilleure. 8 ROSINA STOLTZ Je ne sais si Madame Stoltz raisonnait ainsi lorsqu'elle racontait sa vie ? Je crois plus volontiers que son amour-propre aidant, elle a surtout flatté sa vanité, entretenu son fol orgueil, assouvi son appétit démesuré des grandeurs. Reine de beauté et d'intelligence, aussi bien que reine de théâtre, lorsqu'elle dut quitter la scène il ne lui a pas plu d'abdiquer ses royau- tés éphémères et peut-être n'aurait-elle pa5 pu préciser le moment exact où elle passait de l'il- lusion théâtrale vraie, à la réalité de la vie tra- vestie. A ses principaux rôles il lui fallut associer des titres ; elle finit par croire à ses inventions et, peut-être, celui qui eût émis des doutes en sa présence, l 'aurait-il profondément surprise. La Léonor de la Favorite ne fut-elle pas la mère de la Marquise d' Al ta villa, l'Alice de Ro- bert, celle de la Princesse de Lesignano, la Fi- dès du Prophète, celle de la Comtesse de Kets- chendorf et Estralla de l'Etoile de Séville, celle de la Princesse de la Paix. Le public ne fut-il pas aussi quelque peu son complice, en ajou- tant une erreur à toutes celles qu'elle avait ac- l'énigme 9 cumulées. Son triomphe dans le rôle de Racuel ne fut-il pas la cause de l'origine juive qu'on lui attribua, oubliant que la Rachel d'Halévy n'était pas juive de race. La fortune inespérée de Lola Montés, l'al- liance aristocratique de Marie Taglioni et le grand mariage de la Mogador furent aussi un stimulant. La maladie dont était atteinte Madame Stoltz était tellement profonde et contagieuse, qu'elle contamina même les objets qui l'entour-dient ; pour avoir joué Ascaiiio dans le célèbre opéra de Berlioz, lorsqu'en 1847 elle vend ses meu- bles et sa galerie, son Christ devient l'œuvre de Benvenuto Cellini. Ses tableaux du même coup sont étiquetés des plus grands noms Rembrandt Murillo, Titien, etc. La cruelle réalité qui veille aux portes de la salle Drouot remet chaque chose à sa place et lui donne sa véritable va- leur. Les estimations des sculptures des grands maîtres florentins et bolonais ne dépassent guère le prix de bonnes reproductions conuner- ciales achetées d'occasion. Les tableaux des grands maîtres n'atteignirent pas les chiffres 10 ROSINA STOLTZ des bonnes copies de maîtres secondaires re- produites par des copistes professionnels ! Assurément Madame Stoltz dut se croire vo- lée et c'est très sincèrement que, supixsant qu'on avait fait à son détriment des aiTaires d'or, elle retira ses chefs-d'œuvre des enchères. Pourquoi s'étonner de cette foire aux illu- sions ? Le théâtre transpose toutes choses ti- tres, costumes, monuments et paysages, Ma- dame Stoltz n'est-elle pas plus excusable que Gérard de Nerval faisant croire à sa descen- dance napoléonienne ou Victor Hugo affirmant ses origines chevaleresques ? Gérard de Nerval n'en fut pas moins un grand écrivain. Victor Hugo un poète de génie et Ma- dame Stoltz une artiste de premier ordre. Pourtant, il faut l'avouer, je ne puis en vou- loir à Madame Stoltz de tous ses mensonges, de toutes ses illusions, puisque je suis parvenu à dévoiler les uns et à dissipeo les autres. Quelle joie pour un chercheur de s'attaquer à une pa- reille adversaire, véritable génie des combinai- sons compliquées, des enchevêtrements savants, des fausses pistes habiles, des demi-vérités plus difficiles à débrouiller que des mensonges in- l'énigme il ventés de toutes pièces. Et, chez Madame Stoltz. on rencontre toutes ces embûches. Elle parle faux avec une virtuosité inimitable, elle dé- forme la vérité avec une maîtrise délicieuse ; on croit la saisir elle vous échappe ; elle vous échappe encore quand on la tient. On croit avoir tout découvert, et l'on se heurte à une nouvelle aventure abracadabrante. J'imagine que ceux auxquels elle racontait toutes ses his- toires extraordinaires ne la croyaient pas, en gros, mais étaient ses dupes, en détail. Quels accents sincères, quelles apparences déconcer- tantes ! Sa vie est machinée comme celle de Monte- Christo. Elle a le mensonge séduisant et séduc- teur. Je sais tel de ses amis qui croit encore à toute sa théorie de légendes gracieuses ou sévè- res qu'elle égrainait comme un collier de perles fausses, imitées à s'y méprendre. Combien de fois ai- je ragé lorsque je ne trou- vais pas, mais aussi avec quelle joie je lui par- donnais, lorsque j'étais parvenu à débrouiller l'enchevêtrement de ses stupéfiantes odyssées. On n'a jamais affirmé la vérité avec autant 12 ROSINA STOLTZ de sincérité qu'elle en mit à faire circuler Terreur. Et cependant, elle n'a pas joué sans défail- lance son rôle dans la vie ; ce n'est pas seule- ment à la première de Robert Bruce qu'elle a chanté faux. Heureusement pour moi, elle s est contredite et parfois la vérité lui a échappé ; parfois aussi, mise au pied du mur, elle a dû avouer ses mensonges. Elle y revenait aussitôt, il est vrai, mais on avait pu prendre terre ; comme il fallait jouer serré, avancer prudem- ment, tout vérifier, faire des retours, dépister des hourvaris, reconnaître les contre-pieds avant de sonner l'hallali ! Comme elle faisait courageusement tête ; la curée était loin des abois. Ce laisser-courre aura été ma grande joie de chercheur, aussi suis- je plein d'indulgence pour elle et je demande en grâce au lecteur de n'être pas plus sévère que moi pour cet être extraordinaire, qui fut une femme ravissante, bonne quand elle en eut le temps, spirituelle chaque fois qu'elle en eut l'occasion et grande artiste au lendemain de la mort de Malibran 1. 1 Morte à Manchester, le 23 septembre 1836. LENIGME 13 Et pourtant elle ne cessa jamais, de l'autre côté de la rampe, d'être reine de théâtre ; ud peu trop reine même trop de dignité, de pompe et d'autorité. Les vraies reines sont parfois de simples femmes et des femmes simples, même quand on les regarde ; Madame Stoltz dépas- sait la mesure, manquait de goût par excès de distinction trop recherchée ; elle était trop royale, même quand on ne la regardait pas. En signalant ce manque de nuance, on ne peut cependant pas plus lui en vouloir qu'à la demi-mondaine trop collet monté. Cette atti- tude vaut mieux, après, tout, que les propos trop lestes de la femme comme il faut, qui dé- sire qu'on la prenne pour ce qu'elle n'est pas. Enfin, les fantastiques mensonges de Ma- dame Stoltz m'auront appris deux vérités, deux axiomes, que je recommande à mes confrères trop Imaginatifs Le premier est qu'une femme peut mentir de bonne foi en parlant de soi ; et le deuxième est que le pire illogisme qu'on puisse faire est de chercher au nom de la logique à expliquer les actes des gens qui en manquent. Il est très rare, en effet, de rencontrer un personnage 14 ROSINA STOLTZ ayant conduit sa vie entière conformément aux théories qu'il affichait ; presque toujours cel- les-ci sont l'expression des qualités qu'il n'avait pas. II ILLUSIONS Daiis quelte attitude a-t-il plu à Madame Stoltz de se présenter devant la postérité ? Si elle tenait à son prestige d'artiste sincère, elle tenait encore plus à la clincaillerie de ses fausses généalogies ; après avoir connu, dans l'intimité, grands seigneurs et têtes couronnées, sa vanité semble avoir fait une formidable ex- plosion. Elle avait alors une cinquantaine d'an- nées 1865. Ses prétentions n'eurent bientôt plus de bor- 16 ROSINA STOLTZ lies et voici ce qu'elle racontait à tout venant jusqu'à l'époque de sa mort. Tantôt elle était née en Espagne, tantôt à Messine, d'une grande famille Hispano-Ita- lienne Je suis née Marquise Rosa-Carolina d' Al ta villa, disait-elle et écrivait-elle. De son mariage, en 1837, avec Alphonse Lescuyer et du fils qu'elle avait eu de lui l'année précédente elle parle peu ; l'oubli était vite venu et tant d'événements s'étaient succédé depuis î En 1848, elle a un fils ; elle laisse croire, elle invite même à croire qu'Ernest II de Saxe Gobourg- Gotha est son père, mais elle déclare également qu'elle a épousé un Comte de Stol- zenau de Ketschendorf ; c'est ce dernier nom que portera son héritier présomptif. Le châ- teau de Stolzenau dont elle transportait un dessin dans ses déplacements, était un immense manoir féodal flanqué de quatre tours, perché sur une montagne rocailleuse au-dessus duquel planaient les aigles. Apanage des princesi de la maison de Cobourg de même que le comté de Ketschendorf, pour entrer en possession du château et des titres il lui avait fallu l'assen- timent de Léopold P"" de Belgique et de la reine ILLUSIONS 17 Victoria comme veuve et héritière du Prince Consort ; par son alliance avec Ernest II elle cousinait donc avec les maisons royales de Bel- gique, d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande. L'invention de cette somptueuse parenté fait douter de l'authenticité des titres et de la réa- lité du repaire de burgraves. Quelque grandiose que soit son nouveau rang social, il lui parut insuffisant ; elle souhaita plus encore. Etre Pape, être Empereur, avait rêvé le Charles-Quint de Victor Hugo. Madame Stoltz tenait à l'Empire, elle re- chercha les liens qui pourraient la rattacher à la Papauté. A une alliance avec les Mastaï, il ne fallait pas songer ; elle se déclara simple- ment filleule de Pie IX. Comment, à cinquante- neuf ans, peut-on devenir filleule du Pape, alors qu'on a déjà été baptisée et qu'on a raconté à tout venant qu'on avait eu la duchesse de Berry pour marraine ? Madame Stoltz ne s'embarrassa pas pour si peu elle imagina de raconter qu'elle avait, moyennant lires données au Cardinal Antonelli, épousé, in articulo mortis, un no- nagénaire, le Prince de Lesignano. Le Pape 18 ROSIN'A STOLTZ avait signé au contrat et, de ce fait, elle était devenue la filleule du Pape ; et voilà ! Ses contemporains crurent à cette histoire extravagante, cela est certain. A ceux qui ma- nifestaienjt des doutes, Madame Stoltz mon- trait, encadrée à côté du château de Stolze- nau, une pièce en latin sur parchemin, signée Antonelli et Pio Nono, attestant le mariage et le parrainage ; sans avoir vu la pièce, on peut en attester la fausseté. Après cette parenté spirituelle pontificale, une autre que Madame Stoltz aurait pu se croire être arrivée à l'apogée de la splendeur nobi- liaire. Si elle tenait, d'autre part, à presque toutes les maisons souveraines d'Europe, y compris la Maison d'Orléans, par les Saxe-Co- bourg, les Bourbons d'Espagne, les plus près du sang de Louis XIV, étaient d'une parenté bien lointaine, bien insuffisante. Voici ce que Madame Stoltz imagina pour la faire rentrer sous son giron. Manuel Godoï, le fameux Prince de la Paix 1767-1851, avait épousé en premières noces une Princesse de Bourbon d'Espagne d'oij, en- tre autres héritiers, un petit-fils, Manuel-Char- ILLUSIONS 19 les-Louis, Prince Godoy de Bassano, né à Pa- ris, le 31 octobre 1828. Le Godoy, alors âgé de 50 ans, vivait misérablement à Saint-Sébastien, de la profession de croupier aux petits che- vaux. Et, cependant, d'après un vote des Cor- tès, il lui était dû, avec les intérêts, près de 200 millions du chef de son grand-père. Ma- dame Stoltz l'épouse en 1878, et, munie a 'un numéro de la Gazetta de Madrid, constatant ra créance de son mari, elle se rend à la Granja, et obtient une audience de S. M. Alphonse XII. Prévenu du but de sa visite, le Roi lui laisse exposer sa requête sans l'interrompre. Après quelques parois aimables, il lui montre un reçu en bonne et due forme signé par l'époux de la requérante qui, moyennant un million payé comptant, avait donné quittance des fa- meux 200 millions. Furieuse, Madame Stoltz renie son époux, et, pour en être débarrassée, lui consent une pension viagère de fr., à la condition qu'il ne mettra jamais les pieds en France. Ce n'était vraiment pas payer trop cher, une alliance avec la plus ancienne mai- son souveraine d'Europe. Nous verrons ce qu'il faut croire de cette fable. 20 ROSINA SÏOLTZ Ce fut son dernier mariage. Voilà ce que racontait Madame Stoltz sur ses alliances ; mais elle racontait bien d'au- tres choses encore. Elle intervenait dans les destinées des peu- ples et manifestait sa puissance mondiale en occupant les fonctions de diplomate amateur. Ainsi, elle prétendait avoir joué un rôle impor- tant dans la politique extérieure du second Em- pire. Elle n'avait pas cru devoir faire moins pour Nicolas P"" que de le prévenir de la décla- ration de guerre que Napoléon III devait lui faire ; elle lui aurait envoyé un livre relié en velours bleu, dont la signification convenue, était l'ouverture prochaine des hostilités. En 1859, elle avait pris part aux pourparlers qui avaient précédé et suivi la guerre d'Ita- lie ; elle aurait collaboré au traité de com- merce avec l'Angleterre. En 1870, abandonnant ingratement son pairain, elle avait provoqué l'évacuation de Rome par les troupes fran- çaises. Quelques années plus tard, son inter- vention à la cour de Vienne avait empêché une déclaration de guerre de la Prusse à la France. Elle aurait eu alors une mission difficile à la ILLUSIONS 21 cour d'Autriche ; on lui aurait recommandé éga- lement de surveiller Madame B... de B... qui quoique Française, faisait à cette même cour le jeu de la Prusse. Tout en songeant à nos destinées futures, elle ne négligeait pas les souverains passés. Elle causait fréquemment avec Marie-Antoi- nette, qui se rendait à toutes ses convocations psychiques. Comme tout devait être bizarre et inconsé- quent dans cette curieuse femme, tout en agi- tant les oripaux de ses faux titres, elle s'occu- pait aussi de sociologie, et comment ? En 1880, elle publiait à Bruxelles, les Constitutions de toutes les nations du globe, les commentait, les expliquait, les critiquait. De ces 600 pages in-folio, les 10 pages de la préface sont à rete- nir Ce que Rosa, née Marquise d'Altavilla, Princesse de Lesignano, etc., admirait le plus, c'était les Droits de l'homme et du citoyen. Les grands hommes du XVII P siècle sont, à son avis, Sieyès et le Colonel Combes, et, ce qui est le plus curieux c'est que cette femme qui a si souvent altéré la vérité, explique pourquoi, et donne sur ces deux personnages quel- 22 ROSINA STOLTZ ques menus renseignements inédits et, ce qui est tout à fait invraisemblable, c'est que ces renseignements sont exacts. C'est à ne plus rien croire ! 1 Enfin, Madame Stoltz n'oublia pas que la mort pouvait l'atteindre Son fils ayant été élevé à Juilly, elle fit construire dans le parc des Oratoriens un mausolée pour recevoir ses restes mortels. C'était, disait-elle, un superbe monument, du style corinthien, édifié sur le sommet d'une île en pain de sucre qui ornait la pièce d'eau de Juilly. Une seule lui pa- raissant insuffisante, elle en avait fait cons- truire une seconde, plus somptueuse encore, dans le cimetière de Nioe ! Une pour l'été, l'au- tre pour l'hiver. C'est au milieu de ce dédale d'incohérences qu'il me fallut commencer mes recherches. A i>eu de détails près, voilà ce que racontèrent presque tous les journaux, politiques et musi- caux, au moment de la mort de la célèbre can- tatrice. Qu'y avait-il de vrai dans cette énorme 1 Pour tout dire, cet ouvrage était l'œuvre d'un érudit Belee M. Gustave Oppelt 1817-1888. ILLUSIONS 23 gerbe de faits contradictoires et invraisembla- bles? Les dictionnaires et quelques journaux apprenaient bien qu'elle était née à Paris en 1815 et qu'elle s'appelait Victorine Noël, mais aucun d'eux n'étaient du même avis. Un jour- naliste venimeux avait bien insinué qu'elle était née dans une loge 1 Après avoir exposé les faits tels qu'ils avaient été portés à la connaissance du public par Ma- dame Stoltz et par ses contemporains, cher- chons la vérité en remarquant qu'il est bien heureux que Madame Stoltz n'ait pas connu l'idéal rêvé par Benvenuto Cellini Etre jo- lie femme jusqu'à trente ans. chef d^armée jus- qu'à soixante et Pape après. » Elle eût été ca- pable de le réaliser. . . à sa façon î III RÉALITÉS 1815-1836 Les biographes ne sont pas tous d'accord sur son nom, ni sur son lieu de naissance, ni sur la date de son entrée dans ce monde 1. Victoire Noël naquit à Paris le 13 janvier 1815. Elle était fille de Florentin Noël et de Clara Stoll, concierges, boulevard Montpar- nasse. 1 De nombreux documents manuscrits et imprimés m'ont été aimablement communiqués par MM. Charles Malherbe, Arthur Pougin, Henri Leoomte, Teneo, Boghaert -Vaché et Georges Montorgueil que je tiens à remercier cordialement. RÉALITÉS 25 Son père, Florentin Damarice Noël, avait alors à peine 20 ans, étant né le 26 février 1795, quai du Nord ancien quai des Morfondus, quai de l'Horloge actuel de Jean-François Noël, platinier et de Anne-Florentine Baillard. L'en- fant fut reconnu, le 6 germinal, an III, par le mariage des père et mère ainsi qu'il résulte de l'addition que Madame Stoltz fit mentionner sur les registres, le 7 août 1836, quelques mois avant son premier mariage. On a dit que Madame Stoltz était juive et, que la duchesse de Berry qui s'était occupée d'elle l'avait fait baptiser ; elle-même aurait confirmé le fait. Je crois qu'il faut considérer que la légende est inexacte ; tout au moins n'en trouve-t-on aucune trace dans les dossiers d'ab- jurations, conservés à l'Archevêché ; il est vrai que les resistres de 1826 à 1830 ont été disper- sés lors du pillage du palais Archiépiscopal ; mais, d'autre part, les registres de Saini-Ger- main-1'Auxerrois, paroisse du Louvre, qui con- tiennent de nombreux actes d'abjuration, ne font pas mention du nom de Noël et au surplus, Noël n'est pas un nom forcément juif. Les Biographes de Madame Stoltz racontent 26 ROSINA STOLTZ que, grâce à la protection de la duchesse de Berry, la petite Noël aurait été admise en qua- lité d'élève, chez des religieuses bénédictines de la rue de Vaugirard. Cette affirmation est cer- tainement erronée, car il n'y avait pas de cou- vent de cet ordre rue de Vaugirard. Il s'agit peut-être d'un établissement qui, en 1832, existait, depuis plusieurs années, 3 rue de Regard, et connu sous la dénomination d'Or- phelines de la Providence, en faveur duquel une D"^ Blaut avait fait une disposition testamen- taire, ou peut-être encore de l'établissement tenu, 26 rue de Regard, par Mlle Désirée Per- tuzée, en religion Sœur Marie de Lorette. En 1824, cette maison donnait asile à 12 jeunes filles sans travail, qu'on entretenait gratuite- ment et auxquelles on apprenait les ouvrages d'aiguille, à blanchir et à repasser 1. Le su- périeur de l'asile était l'abbé de Malet. Pour y être admis, il fallait avoir plus de 15 ans, ce qui fait supposer que Victoire Noël n'y serait entrée qu'après 1830. En 1832, il y avait 33 élèves. 1 C'est peut-être pour cela que Thurner raconte qu'elle fut d'abord blanchisseuse. RÉALITÉS 27 Il semble certain que Madame Stoltz a été chez Choron, qui, à cette époque, avait ouvert son cours, 69 rue de Vaugirard. Thurner pré- tend que ce fut Ramier, un des professeurs, qui. en 1827, remarqua sa belle voix. Alexandre-Etienne Choron, né à Caen, le 21 octobre 1772, a laissé des papiers volumi- neux conservés à la Bibliothèque nationale 1 ; professeur de mathématiques à T Ecole poly- technique dès sa fondation, puis membre cor- respondant de l'Académie des Beaux-Arts, il fut chargé, en 1811, de réorganiser les maîtri- ses avec le titre de Directeur de la musique des fêtes religieuses. En 1814 Choron, avait été chargé de distri- buer les orphéons qui devaient se trouver sur le parcours du cortège, lors de la rentrée de Louis XVIII à Paris. On avait placé 4 orches- tres, de 16 et 17 musiciens, à la Barrière Saint- Denis ; 4 de 20 musiciens, porte Saint-Denis ; 2 de 16, au marché des Innocents ; un de 21, place du Châtelet et 2 de 16 au Marché Neuf. 1 acquisitions françaises, 263 à 265 et 395 à 298. 28 ROSINA STOLTZ Le règlement de ces artistes de rencontre, ne s'était pas fait sans difficultés. Le chef d'or- chestre suprême, plus fort en harmonie qu'en or- thographe, envoya à Bellangé la singulière lettre ouivante, qui n'était déjà plus de l'italien, sans être encore tout à fait du français Monsieur Bellangé, architeque rue du Fau- bourg Poissonnière, n° 13. Monsieur, De pui ving quatre ant les musicien les jourd de fêtes nationalont éprouvés que friponnerie et injustices on de vait peu satendres que le jour de l'antrée de nôtres justes et lesgitimmes souverain vous oublier nous fairès éprouvée une diminution de nos conventions faites avec M. Chauront. Sous le protexque quil i aimian- quait au Pont Neufe, d'ailleurs il vous falait prândres un detachemant miltaires à partir de la barrière avêcque les quastres orchestre ainsie de suite des autres pour nous rendres au lieux RÉALITÉS Cette lettre, en dehors de sa singularité gram- maticale, présente une particularité inexplica- ble. En 1842, lorsque Ghampein attaquera Ma- dame Stoltz, dans sa vie privée, il l'affublera du pseudonyme de Fugantini. Nommé directeur de l'Opéra en 1816, Choron 30 ROSINA STOLTZ provoqua la réouverture du Conservatoire, fermé depuis 1815, sous le nom d'Ecole royale de chant et de déclamation. Dès 1817, il était congédié, sans pension par suite du trop grand nombre de changements qu'il avait voulu ap- porter. C'est alors qu'il fonda et dirigea 1' a ins- titution Royale » connue sous le nom de Con- servatoire de musique classique et religieuse » qui devint, après 1830, le Conservatoire royal de musique classique de France ». Choron mou- rut à Paris, le 29 juin 1834 1. L'influence artistique de Choron fut considé- rable et beaucoup de grands artistes passèrent par son école ou utilisèrent ses conseils. Je trouve, dans ses papiers, qu'à une époque non précisée, il y avait parmi ses élèves une nom- mée Noël appartenant à la 4^ classe. Il s'agit probablement de Madame Stoltz qui. en 1829, 1 Choron mourut le 29 et non le 24 comme le disent les dictionnaires. Dans son acte de décès !!• arrondissement il est qualifié, Chevalier de la Légion d'Honneur, correspondant de l'Institut, ex-directeur de l'Académie de Musique, fondateur et directeur de l'E- cole royale de Musique classique, 69, rue de Vaugi- rard. Sa femme, Françoise Weniger, lui suiTécut. Son fils Frédéric-Etienne, âgé do 21 ans et demi, était élève à l'Ecole Polytechnique. RÉALITÉS 31 SOUS le nom de Rosine Niva, prenait part aux célèbres concerts donnés par Choron dans son établissement ; à cette époque elle avait perdu son père, et habitait chez sa mère, boulangèi'e, 7, rue du Faubourg-Montmartre. Le départ de Rose Niva de chez Choron n'a laissé aucune trace, car l'on ne peut prendre en considération les calomnies de Stanislas Champein, sans les contrôler, avec le plus grand soin. D'après le directeur du ar M. Caruel qui m'a dit que je n'étais pas assez RÉALITÉS 35 comédienne pour jouer Alice, et que, d'un autre côté on ne pouvait compter sur moi. Il a basé ce second raisonnement sur une absenoe de vingt-quatre heures que j'ai faite à son insu pour aller chanter à son concert. Au reste, M. Caruel m'a retenu une" amende pour le défrayer du voyage, de la nourriture et même des plai- sirs de son régisseur, qu'il avait envoyé coname gendarme muni de lettres en due forme pour les autorités et la police de Bruxelles. J'aurais dû taire ce fait, il est ignoble. Troisième obsta- cle, à ce qu'il paraît, car on m'a dit indirecte- ment, devant témoin et je cite la personne, Mme Béfort, que M. Millier, chef d'orchestre, renon- çait à conduire l'ouvrage si je jouais Alice. D'où peut naître cette préférence ? Je l'ignore. Malgré mes instances, le rôle me fut retiré, parce que M. Caruel avait le droit de le donner à qui bon lui semblait ; c'est un privilège at- taché aux ouvrages nouveaux. Les répétitions se succédèrent, et la seule chose à laquelle je pris part relativement à l'ouvrage, fut la lec- ture des billets de répétition. Cependant, par suite d'un engagement contracté par moi pour l'année prochaine, et afin d'augmenter mon ré- 36 ROSINA STOLTZ pertoire, non pour rivaliser ou jouer le rôle à la place de Mme Léon, qui n'a jamais eu que de bons procédés à mon égard, je pris des le- çons sur Alice, avec un professeur étranger à l'administration, M. Marneffe. Cependant M. Caruel, je ne sais par quel motif, revint peu à peu sur ce qu'il avait dit, et me proposa de me faire donner des leçons et copier le rôle. Il y a trois jours, il m'aborda sur la place du Théâtre, et me demanda posi- tivement s'il pouvaift compter sur moi pour jouer le rôle, parce que, dans le cas négatif, il agirait en conséquence et soutiendrait Mme Léon de tout son pouvoir. Ce n'est donc pas un problème, un directeur peut faire la pluie et le beau temps pour un artiste, le faire soutenir ou tomber. Je pris rendez-vous avec M. Caruel pour deux heures, et avant de m'y rendre, je crus de mon devoir comme camarade, d'aller consulter Mme Léon sur le pacte que je devais signer quelques instants après. Je me rendis à l'heure convenue et M. Caruel me ré- péta les mêmes paroles quelle matin. Comme il n'était plus en droit d'exiger de moi le rôle dont il m'avait dépossédée, je voulus tirer parti RÉALITÉS 37 de ma position, et je lui fis des offres intéres- sées qu'il rejeta bien loin. Là se termina toute négociation. Mais alors surgirent des propos, des bruits ; on dit que mon intention avait été, en prenant des leçons, de remplacer Mme Léon, et ce bruit de coulisse fut tellement universel, que la personne qui avait commencé à me don- ner des leçons, m'écrivit qu'elle y renonçait pour mettre fin aux mauvaises intentions qu'on lui supposait. Je n'ai jamais douté que cette démarche ait été provoquée par le directeur. Je terminerai, Monsieur, en affirmant qu'il n'y a jamais eu de ma part, malveillance à l'égard de Mme Léon, et que les discussions ont été toutes du directeur à moi. C'est sous ce point de vue principalement que je veux me jus- tifier, afin de détruire l'injuste qualification qu'on pourrait me donner, d'être mauvaise ca- marade. J'espère, Monsieur, que vous ne me refuse- rez pas à l'insertion de la présente. a Veuillez agréer l'assurance de ma parfaite considération ». Héloïse Stoltz, Artiste dit théâtre de Lille. 38 ROSINA STOLTZ A la fin de 1834, elle revient à Anvers, dont le théâtre était dirigé par Bernard. Elle joue Alice de Robert le Diable et Gertrude du Maître de Chapelle 1. En 1835, nous la retrouvons, avec le même directeur, au théâtre de Bruxelles. Le 5 mai, elle chante Alice de Robert ; le 14, Petit Jacques de la Gazza Ladra et le 15, Marguerite du Pré aux Clercs ; puis elle aborde deux petites créa- tions Paquita de la Marquise et Marguerite des Deux Reines. Rosina Stoltz n'avait encore eu que des suc- cès peu marquants ; rien ne pouvait faire pré- voir l'artiste de grande allure. Sa voix souple d'une grande étendue gazouillait dans les hauts registres et descendait jusque dans res profon- deurs des contre-altos, sans lacunes apprécia- bles dans son médium. Son jeu n'était que cor- rect. Enfin, d'après ses biographes, qu'elle ins- pira peut-être, elle joua Rachel et se révéla su- bitement grande tragédienne et grande chan- teuse dans l'opéra d'Halévy. 1 Toujours d'après Champein, elle aurait accouché d'un second fils à Amsterdam, fin août 1834. RÉALITÉS 39 Malgré son succès local, elle n'aurait pas réalisé sa rapide fortune si, par une heureuse chance, Nourrit n'était pas venu en représen- tation à Bruxelles. Avec un pareil partenaire. Madame Stoltz, se surpassa dans la Juive et lorsqu'au cinquième acte elle dit au Cardinal Mon père, j'ai peur ! Nourrit ne put s'empêcher de dire Ah ! c'est très bien, assez haut pour être entendu de la salle. Ce fut un énorme succès 1. Alors qu'on pouvait supposer qu'un sembla- ble triomphe ne serait que le début d'une bril- lante carrière, Madame Stoltz disparut brus- quement et si complètement qu'on la crut morte. L'état civil de la capitale du nouveau royaume de Belgique nous expliquera les cau- ses de cette disparition Ville de Bruxelles Extrait du registre aux actes de mariage, année 1837. A'° 160 Deuxième jour du mois de mars, l'an mil 1 En réalité les pourparlers de Mme Stoltz avec DajKnichel étaient antérieurs à la représentation de Nourrit à Bruxelles. Voir aux Appendices. 40 ROSIXA STOLTZ huit c^nt trente-sept, à deux heures de rele- vée, acte de mariage. D 'Alphonse-Auguste Lescuyer 1, proprié- taire, n^ à Rouen France le onze brumaire an six, demeurant à Bruxelles, rue de la Reine, fils majeur de feu Pierre-Michel Lescuyer et de Marie- Jeanne-Honorine Vivenel, rentière, de- meurant au faubourg Saint-Lazare de Mantes, commune de Mantes-la-Ville France, consen- tant par acte, d'une part ; Et Victoire Noël dite Stoll, artiste dramatique, née à Paris le treize février mil huit cent quinze, demeurant à Bruxelles, même rue, fille majeure de feu Florentin Noël et de Clara Stoll, rentière, demeurant à Paris, consentant par acte, d'autre part ; Dont les publications de mariage ont été faites en cette ville, aux termes de la loi, sans opposi- tion. Après avoir donné lecture des pièces ci-dessus mentionnées, ainsi que du chapitre six du Code civil, et les contractants ayant déclaré se pren- dre mutuellement pour mari et femme, nous, of 1 M. Lescuyer était régisseur du Théâtre de la Monnaie. RÉALITÉS 41 ficier de l'état civil de la ville de Bruxelles sous- signé, avons prononcé, au nom de la loi, qu'ils sont unis par le mariage. Les époux ont déclaré reconnaître pour leur enfant légitime Alphonse Lescuyer, né à Bruxelles, le vingt et un septem- bre mil huit cent trente-six, n° 3324. Les époux ont déclaré en outre sous serment, conjointe- ment avec les témoins, qu'ils se trouvent dans l'impossibilité de procurer les actes de décès de leurs pères. En présence de Michel Haegelsteen, proprié- taire âgé de cinquante-deux ans, domicilié à An- vers ; Pierre-Robert- Joseph Stevens, avocat, âgé de cinquante-deux ans ; Pierre-Louis Lentoine, avocat, âgé de quarante-sept ans ; et Fortuné De Mercx, propriétaire, âgé de trente-six ans, tous trois domiciliés à Bruxelles. Lecture faite du présent acte, les comparants ont signé. Lescuyer ; V. Noël, dite Stoll ; Haegels- teen ; Lemoine ; Stevens ; De Mercx 1. 1 Cet extrait qui nous avait été communiqué le 5 mars 1906 a été jjublié dans Y Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux de février 1909, par M. Bo- ghaert-Vaché. IIÎ L'ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE 1837-1839 Lorsque Mme Stoltz arriva à Paris, en 1837, elle venait d'avoir vingt-deux ans ; c'était donc une artiste à ses débuts. Elle avait fait ses clas- ses à bonne école, ainsi que nous l'avons vu depuis, elle avait fait preuve de moyens remar- quables et d'un tempérament dramatique plein de promesse. Dans ses tournées provinciales ou étrangères, seuls les grands exemples lui avaient manqué ; elle s'était développée dans un milieu l'académie royale de MUSIQIE 43 inférieur à sa valeur. Ses débuts à Paris de- vaient s'en ressentir timidité excessive, mau- vais goût dans les gestes, sentimentalité exagé- rée, technique sans habileté, manque de prati- que. Malgré ces défauts, dont nous verrons, plus loin les effets, Rosine Stoltz avait des qua- lités de premier ordre. L'opinion de Nourrit suffirait à la rigueur, si celle de la presse presque unanime ne l'avait pas confirmée. Cer- tes, elle n'était pas une Malibran, ni une artiste de la valeur de plusieurs de celles qui lui succé- dèrent et que je ne veux pas nommer de crainte d'en oublier. Une Malibran, elle ne le fut du reste jamais ; néanmoins, sans atteindre à la perfection géniale, on peut encore être une très grande artiste et Mme Stoltz mérite notre admi- ration, bien que ses triomphes aient été obtenus dans des œuvres qui, pour la plupart, ont au- jourd'hui cessé de plaire, peut-être avec raison. Sans être exclusif, on peut dire, en effet, que l'Opéra a donné de meilleures œuvres avant 1837 et après 1847 que pendant cette période. La re- nommée de la cantatrice en a été diminuée sans que cela soit de sa faute. C'est sous le nom légal de Mme Lescuyer et 44 ROSINA STOLTZ SOUS le pseudonyme de Rosina Stoltz qu'elle dé- butera à l'Opéra 1. Lorsque Mme Stoltz arriva à Paris, la voix admirable de Mlle Falcon était en train de dis- paraître dans une éclipse progressive ; elle de- vait bientôt s'éteindre tout à fait et le public averti attribuait ce malheureux événement aux rôles brisants de Rachel, d'Alice et de Valentine. Dès ses débuts, Mme Stoltz fut appelée à rem- placer Mlle Falcon, précisément dans ces rôles, pendant un provisoire qui devait être presque définitif. Ce n'est pas dans le rôle de Dona Anna de Don Juan, comme on l'a dit, que débuta Mme Stoltz, mais dans le rôle écrasant de Rachel. Ses débuts eurent lieu le vendredi 25 août 1837, par conséquent hors saison. La presse fut unanime à reconnaître son franc et légitime succès et lui prédit un brillant avenir. Malgré la sympathie manifeste du public, la malheureuse jeune femme tremblait follement ; c'est à peine si, au second et au quatrième acte, 1 En 18-58 nous trouverons encore l'artiste plaidant sous le nom de Mme de Lescuyer. l'académie royale de musique 45 les critiques avisés purent discerner ses qualités latentes. Le lundi 30, elle retrouva une partie de ses moyens. La Gazette des Théâtres lui reconnaît une voix pure, bien timbrée, d'une étendue re- marquable et un tempérament naturel, qui ne lui permettait pas esoin de ménagements et que nous recommandons à LA FAVORITE 61' l'humanité de l'orchestre de l'Opéra. Il n'y a qu'un avis sur la richesse et la pompe de la mise en scène et sur la beauté des principales décorations de l'ouvrage. » D'après Tliurner du 18 juillet 1844. 2 Quiche rat, Adolphe Nourrit. — II. 161. 3 Je possède un exemplaire des Petits mémoires de l'Opéra >, de Charles de Boigne, copieusement annoté par Marie Taglioiii. C'est à ce manuscrit que j'em- prunt-e les allégations de la célèbre danseuse. LA FAVORITE 69 piémontaise à la suite d'aventures amoureuses qui avaient mis la ville de Gênes en émoi. Il avait dû passer la frontière et, depuis 1836, grâce aux leçons de Ponchard et de Bordogni, sa voix agréable avait obtenu le plus grand succès dans les cercles. Le 30 novembre 1838, il avait débuté à l'Opéra, dans Robert 1. A travers le drame qui se déroulait dans le cœur de Madame Stoltz, si son mari Alphonse Lescuyer jouait le rôle d'Alphonse XI, celui de Fernand était tenu par le beau Mario. Mais déjà l'astre de Léon Pillet commençait à poin- dre à l'horizon. Celui-ci ne trouva rien de mieux pour se débarrasser de son concurrent que de rompre son engagement avec lui, en jan- vier 1841. Des voies de fait échangées en pleine cour de l'Opéra, entre Madame Stoltz et Mario, rendirent la rupture définitive 2. 1 Après avoir chanté pendant trente ans à Paris, Londres et Pét-ersbourg, presque toujours avec Giulia GrisL qu'il épousa. Mario mourut à Rome, le 11 décem- bre 1883. Sa femme, née à Milan, le 28 juillet 1811, mourut à Berlin, le 28 novembre 1869. Elle était nièce de Mme Grassini. 2 Notes de Marie Taglioni. 70 ROSINA STOLTZ A partir de 1841 Rosina Stoltz fut premier sujet et codirectrice de l'Opéra. C'est avec une majesté olympienne qu'elle voudra gouverner son royaume, plus en Junon qu'en Minerve. Incessu patuit dea. » VI LA REINE DE CHYPRE 1841-1842 Depuis le mois de juin 1840, Léon Pillet avait pris part officieusement à la Direction de l'Opéra, remplissant en quelque sorte les fonc- tions d'adjoint avec survivance. Le 1" juin 1841, la situation des Directeurs fut régularisée officiellement ; ils formèrent une société dans laquelle Pillet avait le titre de Directeur et Duponchel celui d'Administrateur du matériel. Pillet abandonnait à Edouard Monnais les fonctions de Commissaire royal. 72 ROSINA SÏOLTZ Edmond DuponcheL artiste en orfèvrerie, n'avait rien d'un directeur d'Opéra. Après s'être occupé d'architecture, il avait fondé une maison de bijouterie artistique; par contre il avait une rare entente de la mise en scène 1. Les nouvelles fonctions d'Administrateur du matériel ét-aient donc lien en rapport avec ses capacités. Il avait succédé au D'" Véron dont la direc- tion avait été brillante et productive, mais avait été moins heureux que lui. Sa combinaison, consistant à réunir T Opéra et les Bouffes de Paris et de Londres dans la même main, avait échoué; M. Aguado, le grand commanditaire de l'Académie Royale de Musique s'était lassé. Sans regards pour les premiers sujets du chant et de la danse, la compétence musicale et chorégraphique de Duponchel était ieut-être insuffisante. Marie Taglioni l'accuse d'avoir été bavard et pas sérieux ». Elle lui reproche même d'avoir employé les moyens peu dignes 1 Après avoir repris la direction de l'Opéra arec Roqueplan, en 1847, il l'abandonna en 1849. En 1860. il fut l'associé de Dormeuil dans la direction du Vau- deville. LA REINE DE CHYPRE 73 d'un directeur de l'Opéra pour se faire une po- pularité ». Afin de donner de l'entrain aux bals mas- qués, il y aurait fait en personne un cavalier seul dans un cancan enragé, innovation qui fut trouvée de mauvais goût. Avec Madame Stoltz, il aurait organisé la farce de son propre enterrement, qui défraya la presse pendant plusieurs semaines. Feu Du- ponchel aurait reçu gaîment les croque-morts, auxquels il aurait donné un pourboire, et les amis de noir vêtus, convoqués par des faire- parts. La journée se serait terminée par un joyeux dîner au Champagne offert par le dé- funt. Dans un ordre d'idées plus sérieux, en vou- lant doubler Nourrit avec Duprez, il avait perdu le premier, et le second rapidement épuisé, avait été doublé à son tour par le ténorino Mario qui ne devait pas rester. S'il avait ap- pointé Madame Stoltz il avait perdu Mademoi- selle Falcon et mécontenté Madame Dorus-Gras. Il avait, il est vrai engagé Baroilliet. La Danse avait été moins heureuse la Ta- glioni et les sœurs Essler n'avaient pas été 74 ROSINA STOLTZ remplacées; enfin, Agiiado avait réduit de moi- tié sa commandite de francs. Léon-François-Raymond Pillet avait eu par son père de nombreuses attaches avec le monde des théâtres. Né le 17 frimaire an XI 6 décem- bre 1803, 13, rue Sainte-Croix partie de la rue Caumartin comprise entre les rues de Pro- vence et Saint-Lazare, son père était Fabien- François Pillet 1 et sa mère Marie-Eléonore Roland. Fabien Pillet, l'auteur de la Lorgnette des Spectacles, de V Opinion du Parterre, de la Revue des Comédiens et de divers livrets d'opé- ras, etc., malgré son jeune âge, avait été nom- mé, après le 18 brumaire. Secrétaire général de la Direction de l'Instruction Publique; après avoir été successivement chef du bureau des théâtres au Ministère de l'Intérieur et avoir rempli les mêmes fonctions dans l'Administra- tion des Collèges royaux, il avait pris sa retraite comme chef de bureau des Rourses royales et des livres classiques au Ministère de l'Instruc- tion Publique. 1 Né à Lyon en octobre 1772, mort à Passy, le 23 février 1855. LA REINE DE CHYPRE 75 Son fils Léon, après avoir fait son droit et avoir passé quelques années dans une étude d'avoué, s'était occupé de journalisme; gérant et rédacteur en chef de la eu après, qu'en réalité il faisait cinq ans de maison centrale. On l'accuse encore d'avoir eu, en octobre 1833, à Amsterdam, un enfant d'un coclier de fiacre du nom de Ver- bruggen; d'en avoir un second d'un coiffeur de la même ville, fin août 1834 et un troisième à Bruxelles en 1836 1. 1 Nous avons vu que oe dernier était le fils d'Al- phonse Lescuyer. Quant aux deux autres enfants, il LA REINE DE CHYPRE 83 Dans son assignation, Madame Stoltz ne pro- teste pas contre ces insinuations, mais simple- ment contre une accusation, singulièrement grotesque, si elle n'a pa^ un sens caché Cham- pein prétendait qu'elle avait vendu ses enfants un bon prix à un vieux juif de la place V... pour en faire du suif. Nous passons sous silence une série d'accu- sations encore plu^ grossières et plus invrai- semblables. Qui était ce Champein qui avait une haine si intense contre Madame Stoltz ? Aucun renseignement sur son état civil. Etait - il le fils ou le neveu du compositeur dont il portait le nom et le prénom? 1753-1830. Je n'ai pu approfondir ce petit mystère qui, du reste, importe peu dans la circonstance. A quelle cause attribuer sa férocité à l'égard de Madame Stoltz ? Peut-être à son affection pour une de ses ennemies, à sa haine contre Pillet qui refusa deux livrets d'opéra qu'il lui avait proposés, ou encore à un amour repou ssé. est certain qu'ils ne sont pas nés à Amsterdam, comme le dit Champein. Est-ce une erreur de ville? Il faut observer que Mme Stoltz ne protesta pas contre leur exist-ence, mais seulement contre l'emploi qu'on 1 accu- sait d'en avoir fait. VII DE CHARLES VI A ROBERT BRUCE Non contente de la part que son talent, son énergie et sa chaleur dramatique, lui avaient fait dans la faveur du public, Madame Stoltz ne put bientôt plus supporter que quelque autre auprès d'elle obtînt de l'éclat, à quelque point de vue que œ fut. Duprez, auquel nous empruntons ces paroles, ajoute qu'elle se servait de son influence, de 1 SoMi^enirs d'un Chanteur, p. 159 et suiv. DE CHARLES VI A ROBERT BRUCE 85 jour en jour plus grande sur l'esprit de Pillet, pour atténuer le succès de ceux ou de celles dont les mérites ou la beauté lui portaient om- brage. Parmi les artistes, les plus forts et les plus hardis la détestaient ouvertement ; les pe- tits, les craintifs, la redoutaient et murmuraient tout bas 1. Duprez raconte que, se promenant un jour dans la rue Saint-Lazare avec Meyerbeer, ils furent accostés par la grande S..., une des plus belles filles de l'Opéra, qui était exaspérée Oh ! mon petit Meyerbeer, Ah ! mon petit Du- prez, dit-elle, si vous saviez ! Cette Madame Stoltz, elle vient de me faire flanquer à l'amende. Si je la rencontre, je la casse. » Baroilhet ne -pouvait pas la souffrir. Au cours des répétitions de Dom Sébastien 2, elle trouva moyen de blesser Donizetti et Baroilhet. Au 5 acte, ce dernier chantait la Barcarolle Pêcheurs de la rive... 1 Duprez, Baroilhet, Gardoni, Mmes Essler, Du- pont, etc., soutinrent de nombreux procès contre Pillet. 2 De Boigne, Petits Mémoires..., p. 205. 86 ROSINA STOLTZ La première strophe produisait peu d'effet; mais à la seconde c'était un tonnerre d'applau- dissements. Cela parut intolérable à Zaïda- Stoltz. La seconde strophe fut supprimée. Doni- zetti sortit furieux, exalté, chancelant. Il venait d'être frappé du premier de ces étourdissements qui ne le quittèrent que pour faire place à la folie. Le bon et gros garçon qu'était la basse Ali- zard partageait l'antipathie de ses camarades Et dire que cette femme-là est destinée sur ses vieux jours à faire des ménages de gar- çon... le mien peut-être >, disait-il à Duprez. Léon Pillet était chaque jour plus aveugle. Sa haine contre Duprez était à ce point excessive qu'il n'hésitait pas à compromettre ses propres intérêts. Il se frottait les mains les soirs de recette détestable, où ne chantait pas Madame Stoltz et répétait avec satisfaction On n'a fait que francs, et pourtant Duprez chan- tait un de ses bons rôles. » 1. Poussé par Madame Stoltz, Pillet recherchait les œuvres dans lesquelles tous les rôles étaient 1 Duprez. Souvenirs..., p 173. DE CHARLES VI A ROBERT BRUCE 87 sacrifiés à celui de la première chanteuse; il aurait voulu une représentation à grand spec- tacle, avec de somptueux décors. Un pamphlet anonyme en trois scènes, en vers, avec de curieuses illustrations, qui fut publié vers cette époque, décrit finement cet état d'esprit du Directeur de l'Opéra. L'auteur de Donizetti et Léon Pillet » fait proposer, par le Directeur au Compositeur, d'orchestrer un opéra en six actes et vingt tableaux, avec le concours de tous les sujets de l'Hippodrome, deux cents claqueurs, trente chevaux — Votre œuvre, voyez-vous, fera le tour du globe ; Madame Stoltz, mon cher, change vingt fois de robe... Avec de tels moyens on brave la critique; un semblable opéra peut aller sans musique. Donizetti propose de faire jouer le vieillard grondeur par Levasseur. — Il a pris sa retraite. — La jeune princesse coquette et légère sera Madame Donis-Gras ? — Elle n'est plus à l'Opéra ; elle est rem- placée par Mesdames Dobré, Nau et Roissy. — Baroilhet aura le rôle du Prince ? 88 ROSINA STOLTZ — Il a perdu sa voix. — On le remplacera par Satour ? — Il vient de rompre avec l'Opéra. — Massai, alors? — Dans deux mois il quitte l'Opéra. — Vous avez dit un mot qu'à cette heure j'explique Il faut des opéras pour aller sans musique ! Adieu, Monsieur, adieu î — Ecoutez, mon cher ! — Je ne veux rien entendre ; allez voir Meyerbeer. L'opéra de Charles 17 fut répété sans en- train. Duprez avait refusé le rôle du Dauphin, trouvant sa participation insuffisante. Halévy et Casimir Delà vigne avaient dû faire des sacri- fices en faveur du rôle d'Odette-Stoltz. Donné sous ces conditions, le 15 mars 1843, Charles M réussit médiocrement. Le 30 avril, ila représentation pour le béné- fice de Madame Damoreau, Madame Stoltz joua exceptionnellement le rôle de Fenella dans la Muette. Elle obtint un véritable succès. Elle y a parlé, quoique privée de la voix, avec une rare éloquence, dit la Gazette Musicale » ; sa • DE CHARLES VI A ROBERT BRUCE 89 physionomie, ses gestes, ses poses avaient une admirable expression. » 1. Le 13 novembre 1843, Charles VI n'ayant eu que peu de représentations, eut lieu la .pre- mière représentation de Dom Sebastien de Por- tugal, de Donizetti. Duprez se tira avec peine du rôle du Roi; Zaïda-Stoltz n'eut pas le triom- phe qu'elle espérait. Baroilhet-Camoëns avait décidément la faveur du public. Halévy et Saint-Georges avaient fait un nou- vel opéra le Lazzarone, et avaient écrit le principal rôle pour Gardoni. Le manuscrit fut proposé à Pillet qui l'accepta... k la condition que le rôle de Beppo-Gardoni deviendrait celui de Beppo-Stoltz. Les auteurs durent accepter. Les jambes de Madame Stoltz avaient eu du succès dans le XacarUla; elle ne l'avait pas oublié. Le rôle de Bouquetière, réduit autant que possible, avait été confié à Madame Dorus- Gras. Il restait cependant un morceau qui avait eu beaucoup de succès aux répétitions. Ma- 1 On donna le l^"- acte de V Ambassadrice, le 1" de la Muette et le 3^ du Barbier. 90 ROSINA STOLTZ dame Stoltz en était malade; elle n'osa rien dire. Voici ce qu'elle imagina à la première, le 29 mars 1844, pendant que Madame Dorus chantait son morceau, on entendit des rires étouffés dans la salle, bientôt suivis d'un rire général et bruyant. Madame Stoltz s'était mise à manger du macaroni en véritable lazzarone, déroulant un immense écheveau au-dessus de sa bouche, la tête renversée, les bras levés. Saint-Georges, de la coulisse, interpelle à voix basse Madame Stoltz,' ; celle-ci traversie tranquillement la scène et continue à gauche ce qu'elle avait commencé à droite. Naturellement l'effet de Madame Dorus fut tué. — Madame, lui dit Saint-Georges, lors- qu'elle sortit de scène, ce que vous venez de faire-là est indigne ! — Dans ce monde on se défend comme on peut, répliqua Madame Stoltz, en remontant dans sa loge 1. Si Madame Stoltz n'avait aucun camarade pour prendre sa défense, en revanche elle était 1 Mémoires de Villemessant, V. 133. DE CHARLES VI A ROBERT BRTXE 91 dans les termes les plus familiers avec le père Gentil, dont nous avons décrit le caractère. Elle lui écrivait Me voici à Dieppe, et déjà toute mieux portante. Je plane sur cette gueuse de mer qui est horriblement belle, je vous le jure. Rien de mieux que de vous assurer de mon cœur sans rivalité. > Elle était moins aimable envers un monsieur, qui, pour des raisons, explicables peut-être, avait omis un coup de chapeau. Pillet ? Certainement non. Mario? Peut-être. Un troisième ? Probable î siteur et fait jouer à Cobourg, le 15 avril 1846, une Zaïre dont il était l'auteur. Gustave Oppelt, qui allait bien- tôt devenir un de ses intimes, grâce peut-être à sa liaison personnelle avec Mme Stoltz, adapta à la scène française 7/ Gluramento de Mercadante, destiné à l'Opéra de Paris et où Mme Stoltz devait avoir le prin- cipal rôle. C'est, en fin de oompto, à Bruxelles que l'œuvre fut représentée pour la première fois le 9 fé- vrier 1847 sous le titre de Henriette d'Entraques ou un Pacte sous Philippe III. Ernest II composa, en outre, un certain nombre d'o- péras ; Sainte Claire fut représenté à l'Académie im- périale de musique de Paris, le 27 septembre 1855. Après la guerre d'Italie, il manifesta des sentimonts hostiles à la France. En 1870, il fit partie du grand état major général du roi de Prusse. Il mourut eu 1893. PRINCESSE 141 tracté, in-€xtremis, avec M. le Duc Carlo Rai- mondo Lesignano di San Marino. Rome 18 mai 1872. Les gens avisés, mais malveillants, remar- quèrent que ce Duc italien portait les mêmes prénoms que le jeune Charles Raymond. Pour se faire bien accueillir, dans un monde où elle espérait entrer, elle fit, peu après, an- noncer dans les journaux qu'elle venait de faire réparer à ses frais, les dégâts causés par la Commune à la Chapelle Expiatoire. Malheureusement, le Duché de Lesignano n'était pas plus authentique que le Comté de Ketschendorf et la Baronnie de Stolzenau. Tout n'était pas inexact cependant, dans les annonces de Madame Stoltz. En cherchant bien on peut constater qu'il y avait effectivement dans la province de Parme, deux petites villes de habitants dénommées Lesignano de' Bagni et Lesignano di Palmi. Quant à la Cha- pelle Expiatoire, son existence est indiscutée. Mais, car il y a toujours des mais avec Ma- dame Stoltz, la Chapelle Expiatoire ne fut pas 142 ROSINA STOLTZ réparée à ses frais et elle n'épousa jamais le Duc de Lesignano. A quelles combinaisons machiavéliques, Ma- dame Stoltz eut-elle recours pour expliquer ce nouveau titre? On ne peut faire que des suppo- sitions. Ce qui -est certain, c'est qu'il n'est pas mort à Rome, ni le 18 mai 1872, ni dans la période de 1871-1881, aucun duc de Lesignano et qu'il n'a été célébré civilement aucun ma- riage Lesignano-Noël-Ketschendorf-Stolzenau . Que supposer? Ou que le Duc, le mariage et la mort sont nés et décédés dans l'imagination de Madame Stoltz; ou, qu'un inconnu, peut être un Carlo Raimondi, car ce dernier nom est commun en Italie comme nom de famille, fut créé duc de Lesignano par la cour de Rome et épousa sans délai Madame Stoltz, le tout in articulo mortis. Le touî* de main est bien dans les procédés habituels de notre héroïne 1. Nous avons vu, dans le chapitre II, qu'à son titre de Duchesse elle avait ajouté celui de 1 Il faut écarter cette indulgente hypothèse les noms de Lesignano di San Marino n'ayant jamais été pourvus d'aucun titre en Cour de Rome ; ces noms n'y sont même pas connus. PRINCESSE 143 Filleule du Pape, titre assurément encore très rare. Le Duché devait être pourtant dans une situation fort prospère, car, à peine âgé de deux ans il revenait une Principauté ; dès 1874, Madame Stoltz signait, en effet. Princesse de Lesignano. Quelque invraisemblables que paraissent ces prétentions, Madame Stoltz voulut pjus en- core. La statistique, qui est une science sérieuse, nous apprend que chaque jour, naissent des enfants de père absent; les registres de l'état civil qui adoptent la formule en fournissent la preuve. Les faits divers, qui ne constituent pas une science sérieuse, nous infoiment qu'il an^ive fréquenmient que des enfants enregistrés comme filles, à vingt et un an deviennent des garçons, alors que l'article premier du code bri- tannique stipule que la Constitution anglaise peut tout, sauf d'une fille faire un garçon. Mais, ce qui est sans précédent, ce qu'on n'a lu nulle part, c'est qu'une citoyenne française, dans la soixantième année de son existence, ait brusquement changé de père et de mère 144 ROSINA STOLTZ et que le nouveau père, ait reconnu avoir eu un enfant d'une mère inconnue, dans un pays oij il n'était jamais allé. Eh bien ! Madame Stoltz a accompli ce mi- racle et Ta fait croire à bon nombre de ses contemporains. En 1874, vivait à Milan, un vieillard âgé de plus de quatre-vingt ans, légèrement tombé en enfance et complètement ruiné. Il se fai- sait appeler Americo Giuseppe Canali, Marquis d'Altavilla, quoique ce marquis fut passé des Canali aux Belloni, depuis le 23 avril 1736. Ce marquis avait un tils qui habitait Rome. C'est à ce dernier que Madame Stoltz, se di- sant fille naturelle du Marquis, demanda impé- rieusement d'être reconnue en cette qualité. Le Marquis consulté, chercha vainement dans ses souvenirs de jeunesse, et déclara ne trouver aucune trac^ d'une telle paternité, les faits préparateurs s'ét-ant passés à Messine et l'en- fant y étant né, les prétentions de sa soi-disant fille paraissaient fort surprenantes, même, à son intelligence défaillante. Habilement circon\^nu, et séduit par la pro- messe d'une assez forte }>ension viagère, le PRINCESSE 145 vieillard et son fils finirent par signer à Rome, le 5 mars 1874, un acte en bonne et due forme, devant notaires, reconnaissant, comme étant née du Marquis d'Altavilla et d'une femme inconnue, le 16 décembre 1820, à Messine, Ma- dame la Comtesse de Ketschendorf, et lui don- nant le droit de porter, seule, le titre de Mar- quise d'Altavilla. Mais, en 1878, le Marquis, avoua sur son lit de mort à son fils, qu'en réalité rien n'était vrai dans l'acte qu'on lui avait fait signer Madame Stoltz ne m'a jamais payé la pension promise, ajouta-t-il, en rendant le dernier sou- pir ! Voilà pourquoi et comment à partir de 1874, Victoire Noël, rajeunie de près de six ans, ce qui était discret, se déclara née Mar- quise d'Altavilla. A ce degré d'intensité l'illusion n'est-elle pas l'illusion du génie? C'est tout au moins le génie de l'illusion. Insatiable, Victoire Noël chercha encore de nouveaux titres Quo non ascendam ? D'après un extrait du livre des mariages de l'Eglise Saint-Laureîit de la ville de Pampe- 10 146 ROSINA STOLTZ lune, daté du 15 mars 1878, un prêtre espagnol namnié Larregui, aurait béni le maria-ge de Rosa Carolina, Comtesse de Ketschendorf , Prin- cesse de Lesignano, née Marquise d'Alta villa, et de Manuel Carlos Luis, Prince Godoï de Bassano de la Paix. L'époux, en qualité de petit-fils de l'ancien ministre de Charles IV, était aussi petit-fils d'une Princesse de Bourbon. Nous verrons dans le prochain chapiti^, ce qui résulta de cette alliance. Le mariage, pour n'être pas régulier au point de vue civil, avait, néanmoins, toutes les appa- rences de la régularité au point de vue reli- gieux. Eh bien non î Le 29 novembre 1879, la première Chambre du Tribunal de la Seine, présidée par M. Bou- langer, eût à juger une afîaire singulière et des plus embrouillées. Le 5 avril précédent, le Figaro » avait an- noncé que M. î'amiro de la Puente avait été autorisé à porter le titre de Marquis d'Alta villa et la eler Marquis d'Altavilla. De son côté, M. Ramiro de la Puente main- tenait énergiquement son droit, qu'il disait te- nir, par acte authentique, d'un certain Ganali, seul vrai Marquis d'Altavilla. En aucune façon, répliquait le prince de Bassano. Ce titre m'a été cédé par ma femme, Madame de Ketschendorf, fille naturelle recon- nue du Comte Americo Giuseppe Camillo Ca- nali, Marquis d'Altavilla, et dont votre Canali n'est que le fils. Là-dessus, entrée en scène de Madame de Ketschendorf, qui me formellement avoir 148 ROSINA STOLTZ ÉPOLSÉ PUBLIQUEMENT OU SECRÈTEMENT M. LE PRINCE DE BASSANO ET DÉCLARE NE REVENDIQUER, DE PRÈS M DE LOIN, CE MARQUISAT D'ALTAVILLA, laissant, par conséquent, les deux prétendus Marquis aux prises. Au milieu de eet imbroglio entre Espagnols, Italiens et Saxons, inten/ient un quatrième personnage le fils du Marquis d'Altavilla, pas Ramiro, mais Canali vient expliquer au tri- bunal comment son père, après avoir perdu la mémoire l'avait brusquement recouvrée sur son lit de mort et avait renié la paternité de Victoire Noël. M^ Léon Renault, qui représentait le Mar- quis d'Altavilla Ramiro, ayant fait remar- quer à son tour que la Comtesse de Ketschen- dorf, habitant ordinairement Rome, ne récla- mant rien, le Duc de Rassano étant domicilié à Madrid, et son client étant espa^ol, sur les conclusions de M. le substitut Rrugnon, le tri- bunal se déclara incompétent. Ainsi, il est bien clair, bien établi, que Ma- dame Stoltz n'est pas née Mtavilla, et qu'elle n'a pas épousé le duc de Bassano. C'est ac- PRINCESSE 149 quis. Eh bien non ! Jusqu'à la fin de sa vie, Vic- toire Noël signera Rosa Carolina, comtesse de Ketschendorf, baronne de Stolzenau, princesse du Lesignano, duchesse de Bassano, princesse de la Paix, née d'Altavilla Rosina Stoltz. Son acte de décès sera rédigé sous les- noms de Victoire Noël, dite Rosina Stoltz, princesse Godoy de la Bassano, comtesse de Ketschen- dorf. Le dite a été bien placé. Pour une fois... 1. 1 Mme Stoltz a dit avoir possédé une villa au Vésinet ; c'est exact. C'était une maison pompéienne, dans le genre de celle du prince Napoléon, avenue Montaigne, mais plus grande; elle la vendit, vers 1869, au commandant Auguste Hériot. Cet immeuble est presque en ruine. Mme Stoltz a dit avoir fondé et entretenu une Mai- son de retraite» pour les femmes repenties à Chama- lières Puy-de-Dôme. C'est faux. Il est vrai, d'autre part, qu'étant revenue à Bruxel- les en 1845. elle joua, le 17 janvier, dans la Beine de Chypre, puis, du 12 au 20 février. Ce dernier jour, on donna la Favorite à son bénéfice. Elle fonda à cette occasion un lit à l'Hospice des aveugles et incurables de Bruxelles. J'ignore si elle fit d'autres dons charitables. C'est possible c'est même probable. XIII PARAISSEZ NAVARRAIS Es una cuidad muy noble, muy leal y muy impérial que la capitale de la Navarre espa- gnole. Ce fut le grand Pompée qui la fonda. Les Maures ne la possédèrent que douze ans. Les Navarrais ayant demandé la protection de Charlemagne, l'épée du grand empereur leur parut lourde ; ils brisèrent celle de Roland. Tour à tour, Indépendants, Français, Espa- PARAISSEZ NAVARRAIS !... 151 gnols, les Navarrais surent conserver leurs fue- ros à travers toutes ces vicissitudes. Ce fut Don Sanche, un de leurs princes, qui rompit les chaînes qud' entouraient la tente de Mohamed-al-Nassr, à la bataille de las Navas de Tolosa ; il on fit les grilles de la chapelle de Santa Cruz du Sanctuaire de Pampelune et l'u- nique ornement des amies de Navarre. Plus tard, Ignace de Loyola fut blessé en dé- fendant la ville. En 1808, le général d'Armagnac s'empara de la citadelle à coup de boules de neige ; Joseph y trouva un abri et les carlistes un refuge. Le dévouement de ses habitants à la légitimité, leur valut d'être anoblis en bloc. Domdaiant l'Arga, perchée sur un contrefort des Pyrénées, avec ses habitants, abri- tés derrière ses vieilles murailles, la capitale de la Navarre espagnole est bien une fière cité. Au nord, au pied de la citadelle la prome- nade de la Taconera; au centre la place de la Constitution. Plus loin, son admirable cathé- drale gothique, dont la façade du XVIIP siè- cle serait, partout ailleurs, un chef-d'œuvre d'éléganee. C'est là que sont enterrés Charles 152 ROSINA STOLTZ III de Navarre et sa vaillante épouse Léonor de Cas tille. Bonne foy est leur devise. Les maisons massives, en pierre de taille, ont leurs portes surmontées d'armoiries. Tous les habitants ne sont-ils pas nobles? Dans ses rues propres et bien pavées, on se croirait encore dans une République aristocra- tique de la Renaissance florentine. De merveil- leux décors d'opéra attirent les regards au coin de chaque rue maisons fortifiées aux fenêtres grillées, prêtes à recevoir les assauts des hom- mes de guerre ou des amants; derrière la ville, les Pyrénées vertes ou blanches, silhouettent leurs pics aigus. Dans ce pays béni, on se mariait encore, en 1878, comme au Moyen-âge, à l'Opéra ou à Gretna-Green. Dans la même matinée, on pu- bliait les bans, et on unissait les fiancés. On consacrait plutôt l'union de deux âmes indéter- minées que celle de deux personnes précises. Pourquoi de plus longs délais dans un pays où tout se sait, où tout le monde se connaît. Mais aussi combien sont précaires de pareilles unions entre étrangers mariés à Pampelune, ils ne le sont guère qu'en Navarre. PARAISSEZ NAVARRAIS ! . . . 153 De même que l'île des Faisans est à moitié chemin de Versailles à l'Escorial, Pampelune est à égale distance de Paris et de Madrid. Cette situation géographique de la capitale de la Navarre ne fut pas la seule raison qui décida la reine de Chypre à y faire signer son acte d'alliance avec le Prince de la Paix. ^ Si le quatrième acte de ce traité princier de- vait être pompeux, le prologue en avait été étrangement prosaïque Un homme encore jeune, de grande famille, de physique agréable, recherchait une femme mûre dont ses titres pourraient faire le bonheur ; en échange, celle-ci devait régulariser sa si- tuation financière et assurer son avenir. Une femme paraissant avoir à peine qua- rante ans, veuve, abondamment titrée, cher- chait un époux qui lui donnerait un très grand nom. Pour elle, la question d'argent n'existait pas. Indépendance après la cérémonie, de part et d'autre. Grâce à l'agence L... de Bordeaux, le cher- cheur et la chercheresse se rencontrèrent en Gascogne. Convenance absolue; entente immé- diate comptant, de rentes via- 154 ROSINA STOLTZ gères. Comme le fait remarquer le sieur L..., qui fut mieux qu'un agent avisé célébrée en Navarre, l'union était insaisissable, puisque depuis Louis XIV, il n'y avait plus de Pyrénées. Voilà pourquoi, le 14 mars 1878, arrrvèrent, protocole réglé, Emmanuel-Gharles-Louds Go- doy, prince de Bassano, chevalier de Malte et feue Victoire Noël, à laquelle avait succédé Rosa Garoliîia, marquise Ganali d'Altavilla. Le lecteur connaît la future épouse. Présen- tons-lui le futur époux. Né le 31 octobre 1828, rue des Mathurins. n° 9, il était fils d'Emmanuel- Joseph-Louis-Eusta- che, sire de Godoy, comte ^de G asti llo- Fiel et de Marie-Garoline Growe O'Donovan y O'Neil et petit-fils de Manuel Godoy y Alvarez de Faria, duc d'Alcudia, prince de la Paix, etc., et de Jo- sefina Pietra Francisca de Pablo Tudo y Cata- lan. Il appartenait donc à une des plus célèbres familles d'Espagne 1. 1 Manuel Godoy avait épousé en premières nooes Marie-Thérèse de Bourbon, fille naturelle de l'infant Don Luis frère du roi Charle's IV, de laquelle il avait eu une fille, Charlotte, devenue princesse Ruspoli. La personnalité de Godoy fut fort discutée. Napoléon le qualifia Homme de génie. PARAISSEZ NAVARRAIS !... ' 155 Malgré la cinquantaine qui approchait, le prince de Bassano était un fort joli homme, portant beau; l'œil clair, la lèvre dédaigneuse, la barbe rousse taillée en pointe, il pouvait en- core prétendre à des conquêtes difficiles. La destinée s'était annoncée superbe pour lui; il n'avait qu'à se laisser vivre. Remarqua- blement intelligent, instruit, aimable, sympa- thique, il débuta comme secrétaire de l'ambas- sade d'Espagne à Paris. On ajouta à ces fonc- tions, plus honorifiques que rétribuées, l'Inspec- tion générale des douanes des Philippines. S'il s'était rendu à son premier poste, il s'était abstenu de fréquenter le second; cette hj-po- thèse absurde n'avait même pas traversé son cei^eau. Choyé, gâté, flatté par son entourage mondain, il n'avait pris de l'existence que les côtés agréables. Il n'avait pratiqué, ni la conti- nence des chevaliers de Malte, ni la sobriété des Castillans ; joueur comme un Andalou et brave comjme un Navarrais, il avait osé beaucoup, il avait osé trop. Ses grandes qualités s'étaient endormies et atrophiées; l'énergie lui avait manqué. Ses vertus dégénérèrent ; sa bonté devint de la faiblesse, son courage de la bruta- 156 ROSINA STOLTZ lité, son esprit du cynisme. Autour de lui, fa- mille et amis s'étaient dévoués pour le sauver. On avait fait l'impossible; il avait lassé toutes les bonnes volontés. Si, au début de sa carrière, il avait eu le bon- heur d'être aux prises avec les difficultés de la vie, le prince de Bassano, de l'avis de tous ceux qui l'ont bien connu, serait aiTivé aux plus hautes destinées. Malheureusement à cin- quante ans, il eut une défaillance grave et fut emporté par un courant qu'on ne remonte qu'à trente ans et avec une énergie qu'il n'avait plus. Il serait cependant injuste de le juger sur cette seule défaillance, car ses dernières années rachetèrent bien des erreurs. Comment fut-il conduit à ce mariage ? Affo- lement de l'homme acculé et sans ressources? Jactance, défi, pari de club? Il dut avoir de mauvais génies dans son intimité, de ces na- tures perverses, dégradées par l'orgueil et la jalousie, pour qui le mal est une jouissance. D'autre part, il eut des amitiés hautes, hono- rables et sérieuses qui lui tendirent la main jus- qu'à sa dernière heure. PARAISSEZ NAVARRAIS î... 157 Ainsi que nous l'avons dit, les futurs époux et leurs invités arrivèrent à Pampelune le 14 mars. Ils descendirent au Parador General, le meilleur hôtel de la ville. Le soir même, tous les officiers de la garnison furent conviés par Ma- dame Stoltz à un somptueux dîner. La soirée fut joyeuse et la tenue correcte, sauf cependant celle du fiancé. Le lendemain il n'était pas eneore en état de faire partie du cortège ; il eut une idée raison- nable absorber de l'ammoniaque, mais il la mit en pratique comme un homme qui ne jouit pas de toutes ses facultés. Il s'en versa un plein verre, qu'il rejeta assez à temps pour ne se brûler que les lèvres et la bouche. La violence de la douleur le remit d'aplomb, mais il était ridiculement défiguré. Le cortège se forma néanmoins ; on avait re- quis gâteras et carritos pour se rendre à l'église San Lorenzo. Les témoins du marié furent le marquis de Darrax, son cousin et le comte de Valleton ; ceux de Madame Stoltz le comte de Gardozo et le général Samaniego. La mariée, vêtue de mauve, était malgré son âge, fort attrayante. Losqu'elle descendit de 158 ' ROSINA STOLTZ voiture, elle recueillit les hommages flatteurs des Navarrais qui jettèrent leurs capas à ses pieds. — Que passa usted? Et elle passa. L'église San Loreuzo, avec son clocher de forme bizarre, et sa chapelle de St-Firmin, spé- cialement consacrée aux cérémonies de Tayu- tamiento, était remplie de fleurs. Les cloches sonnaient à toute volée ; la population entière était dans les rues avoisinantes, malgré le froid sec. La gaieté était exubérante, le carnaval bat- tait son plein ; on fêtait le mardi-gras. Les fleurs inséparables de toutes les fêtes espagno- les, circulaient, lancées ou offertes. Dans les circonstances délicates, les gens d'un certain milieu aristocratique savent faire sentir leur impertinence avec toutes les formes d'une politesse excessive, et leur dédain avec toutes les apparences d'un respect exagéré. Su- périorité des gens bien nés sur ceux dont l'édu- cation première fut insuffisante, sans préjuger des qualités morales et intellectuelles des dé- daigneux et des dédaignés. A la bonne grâce cérémonieuse des gens bien PARAISSEZ NAVARRAIS ! . . . 159 élevés de tous les pays, se mêlaient les façons courtoises castillanes. Mais sur toutes les lè- vres le sourire avait une pointe d'ironie; la po- litesse était trop irréprochable. La présence du seul élément masculin, suprême impertinence, donnait à la cérémonie le ton d'une esca- pade 1 chacun échangeait avec son voisin une remarque narquoise; il y avait dans l'air de vagues bourdonnements, de petits rires étouf- fés. Sans être ridicule, personne ne pouvait se fâcher; la susceptibilité eut été un manque d'u- sage. La mariée, assez fine pour figurer à l'occasion parmi les rieurs, avait trop d'orgueil pour se croire l'objet des mociueries. Quant au marié, il aurait plutôt pris le parti des pre- miers que celui de la malheureuse femme. Il s'était fait une attitude le cynisme de sa con- duite, sous les dehors du meilleur ton, ne lui permettait pas d'essayer un instant d'afficher urne passion qui eût été une excuse, tout au moins un prétexte. On ne s'était pas adressé à l'église pour faire 1 Seules deux femmes fiîrurèrejit daus la cérémo- nie nuptiale. 160 ROSINA STOLTZ sanctionner }>ar elle l'union de deux êtres croyants, mais pour éluder toutes les consé- quences légales d'une union civile. Le mariage éclatant avait, malgré tout, un côté clandestin. La mariée eût été mieux avisée, si sa cons- cience avait considéré la cérémonie religieuse comme indispensable et suffisante, de faire cé- lébrer son union, la nuit, assistée seulement de quelques intimes. Cela eût été la note juste. Mais, la petite Noël devenue l'artiste fêtée, voulait trop de pompe. A Madrid comme à Paris, la cérémonie eivile eût été inévitable; aussi profitèrent-ids des denières applications du fueros navarrais. Pour célébrer un mariage sérieux qui songera à se marier à Pampelune lorsqu'on est étranger au pays? Du reste, le mariage était nul civilement, puisqu'il n'y avait eu aucun acte; religieusement aussi, car Madame Stoltz s'était mariée sous le faux nom de Rosa Carolina d'Altavilla. Un incident vint égayer la fin de la céré- monie. Lorsque les mariés et leurs témoins vinrent à la sacristie signer l'acte de mariage, l'Archiprêtre qui avait béni l'union, et qui n'avait qu'une connaissance rudimentaire du ^^Vx^^^^^î^T'»-'^ *^"7 m^-t^ X ^^!^p-'>^-^-i^^^^2'^^ ^v PARAISSEZ NAVARRAIS !... 161 français, entreprit de féliciter les époux dans la langue de l'auteur du Cid. C'est avec un aimable sourire qu'il leur dit — Madame, Mousiou, ça y est. Personne ne broncha. La cérémonie terminée il y eut un dé jeûner qui se prolongea jusqu'au soir. Il y avait bal masqué au théâtre. Les convives s'y rendirent et on ne entra que tard, aux premières lueurs du jour. Le surlendemain, les époux, qui ne s'étaient parlés qu'à table, partirent avec leurs invités. Arrivés à Alsaswa, le Prince de Bassano prit le Sud-Express pour Madrid et Madame Stoltz, peu après, prit le train pour Bayonne, joyeuse et fière de son nouveau titre. Dans la soirée, à l'Hôtel du Conunerce, elle chanta avec un brio incomparable le grand air de la Reine de Chypre Le Gondolier dans sa jolie nacelle La foule s'amassa dans les salons de l'hôtel et dans la rue. On dut ouvrir les fenêtres. Ro- sina Stoltz, Duchesse de la Paix remporta une 11 162 ROSINA STOLTZ nouvelle victoire. Ce fut son dernier triomphe lyrique. Le vieux Godoy, T ancien amoureux de la Reine d'Espagne, l'ancien ministre de Char- les IV, après s'être réfugié à Paris en 1819, mena une vie misérable jusqu'à la fin de son existence qui fut longue. Relégué dans une pe- tite chambre, 11, passage Sandrier, il toucha de Louis-Philippe, à partir de 1835, une pen- sion de fr. qui était modeste pour lui et que le gouvernement de 1848 lui supprima. Godoy s'éteignit à 85 ans, 21 rue de la Mi- chodière, le 4 octobre 1851. Son petit-fils devait avoir une destinée non moins cruelle. Après son mariage, il se rendit à Madrid, joyeux des fr. qu'il emportait. Un an après, il ne lui restait presque rien. Il résolut de venir à Paris, réclamer à sa femme la pen- sion que celle-ci ne lui payait pas. Il dut s'ar- rêter, faute d'argent, à Saint-Sébastien. Il y PARAISSEZ NAVARRAIS î . . . 163 resta 6 ans. Enfin, en 1885, ayant pu réunir quelques louis, il réussit à gagner Paris. Combien changé, le Prince de Bassano? vieilli physiquement, mais calmé, amélioré par la souffrance. Il s'était ressaisi moralement Sa fierté était devenu de la dignité. Il ne ré- clama rien à personne. Misérablement vêtu, à peine couvert, il descendit dans une modeste mais respectable pension de famille, 33 rue Nollet, aux Batignolles; il fit choix d'une chambre aui second, sur le petit jardin de l'Hô- tel, à raison de 35 fr. par mois. Il y vécut onze ans, d'une pension que lui faisaient des parents. Blanchi, sourd, alourdi, ce n'était plus le brillant Manuel du cercle de la Pena. Il se levait de bonne heure, buvait un bol de bouil- lon, et allait prendre ses repas dans un petit restaurant de la rue Biot; à neuf heures il était couché. Il n'avait comme distraction qiie les visites du Marquis de Darrax et celles de son neveu, le Baron Van Ter Burgge. Il avait encore con- servé une illusion, un espoir, un but à la veille de chaque tirage, il achetait dix bons de 164 ROSINA STOLTZ Panama qu'il revendait le lendemain, ne dou- tant jamais de son prochain suocès. Comme il était sourd, il pensait souvent tout haut et on l'entendait parfois regretter son passé, s'injurier et maugréer contre sa femme qiii lui avait pris son nom et n'avait pas tenu ses promesses. Mais, à cela, il était résigné; il ne réclama jamais. En août 1895, il passa quelques semaines chez son neveu, en Belgique, où il eut encore l'illusion de sa splendeur passée ; il jouait des journées entières avec les enfants qu'il ado- rait. Il rentra avec les premiers froids, souf- frant de crises d'asthme. Le 5 avril 1896, il dut se mettre au lit; il commençait une fluxion de poitrine; il voulut la soigner avec de la glace. La maladie fit de rapides progrès. Quand son hôtelier M. Char- bonnel, qui avait pour lui une respectueuse affection, appela le médecin, il était trop tard, et c'est dans les bras de son hôte qu'il s'étei- gnit, le 12 avril, à 2 h. du matin. Deux sœurs de la Sainte-Famille du couvent de la rue Bri- daine veillèrent son corps. Le 14, eut lieu l'en- terrement à Sainte-Marie des Batignolles. Son PARAISSEZ NAVARRAIS !... 165 paujvre cercueil accompagné par trois person- nes, fut conduit au père La Chaise, dans le même caveau que l'aïeul, le Godoy de Char- les IV. Madame Stoltz demeura impitoyable; et c'est après des difficultés sans nombre qu'elle se résigna à régler les religieuses. D'autres avaient fait face aux frais d'enterrement 1. Au cimetière un bouquet de violettes est en- core porté de temps en temps sur la tombe désertée, modeste souvenir de celui qui lui avait fermé les yeux et qui a conservé la vé- nération de ce vieux Prince si malheureux, si repentant et si résigné. 1 Mine Stoltz racontait qu'elle avait rompu tou- tes relations avec son mari parce que celui-ci aurait été croupier à Saint-Sébastien ; raccusation était inexacte. Mme Stoltz en voulait au prince de Bassano, à cause du procès Altavilla qui avait obligé Victoire Noël à se démasquer. XÏV ULTIMES AMOURS C'est en 1881 que la lutte du parti répu- blicain contre le catholicisme entra dans sa période active. On chassa les religieux; on ferma la plupart des écoles congréganistes. La presse républicaine marcha avec ensemble con- tre ce qu'elle appelait le cléricalisme ennemi. Si un membre du clergé cessait d'être irré- prochable, la presse s'en emparait et les comptes rendus de certaines feuilles étaient ULTIMES AMOURS 167 plus détaillés que ceux de la Gazette des Tribunaux >. C'est à l'une des plus réservées d'entre elles que nous emprunterons une cu- rieuse histoire, sans bien entendu en accepter les conclusions 1. En 1877, un jeune prêtre originaire de Di- gne, l'abbé Jules Joseph E... était arrivé à Paris. Après avoir été quelque temps précepteur dans la famille d'un général, il obtint le Vica- riat de C... à Paris. A la suite de scandales répétés, M. E... dut donner sa démission. Le voilà lancé dans l'inconnu, dans la mi- sère. Il essaye de lutter il se fait courtier en liqueurs fortes. Une ère de déboires commen- çait, dont il trace un tableau pittoresque J'ai vécu plusieurs jours de trognons de choux, que je ramassais à la halle, le soir, à la fermeture; j'ai vainement cherché du travail, qui m'était toujours refusé parce que j'étais prêtre ! J'ai eu une commission pour des vins 1 Temps du 13 novembre 1881 ; Gazette des Tribu- naux des 23 juillet et 13 novembre 1881. 168 ROSIXA STOLTZ d'une maison de Bordeaux, je n'ai jamais pu placer qu'un hectolitre de cognac chez un des premiers vicaires de la paroisse Bonne-Nou- velle. Ah ! le travail, je l'aimais,, je le désirais de toutes mes forces, je l'aurais pris partout oii je l'aurais trouvé. Un jour, entre autres, à deux heures du ma- tin, je me présentai à la halle pour aider à transporter des marchandises un boucher m'accepta, je fis trois voyages avec des têtes de veau, j'en perdais la moitié en route; le pa- tron s'avança et me dit Monsieur, je le re- grette, mais vous ferez mieux d'aller repren- dre votre plume que de faire le portefaix; te- nez ! voilà huit sous et venez prendre un café avec moi. » Combien ce refus de travail me fut pénible! J'avais faim, et faim de pain. Il y avait plusieurs jours que je n'en avais goûté. Oh ! le pain ! le pain est un \Tai délice pour ceux qui n'en ont pas ! Et vous tous, qui n'avez jamais su ce qu c'était que ce genre de privation, vous ne sa-u- rez jamais la joie qu'on éprouve à grignoter ULTIMES AMOURS 169 son pain sec près d'une Wallace, quand on a bien besoin !... » En mars 1879, lorsqu'il eut fait un stage suf- fisant dans une honorable famille, l'abbé E... fut autorisé par ses supérieurs à reprendre l'habit ecclésiastique et il fut attaché à la pa- roisse de Saint R..., en qualité de prêtre ha- bitué. L'abbé E... semblait calmé lorsqu'un matin, une dame fait appeler le prêtre à la sacris- tie Une de mes amies, lui dit-elle, la Prin- cesse de Lesignano, a été profondément impres- sionnée par votre façon de célébrer la messe ; elle désirerait très vivement entrer en relations avec vous; accéderez-vous à ce souhait? » A quoi Jules-Joseph E... répond eut-être gré de son labeur car, ainsi que l'a dit Bossuet, ajoute-t-elle, le fruit de la démons- tration est la science. » Pour terminer, la noble érudite berce le lec- teur avec ces vers de Delilile Les vrais plaisirs sont ceux que Ton doit à soi- [même, Et les fruits les plus doux sont les fruits que l'on [sème. Or, les lecteurs n'ont pas oublié que le soi- mêyne de la Princesse s'appelait Gustave Op- pelt. Entre temps, redevenant Rasina Stoltz, elle s'occupait de compositions musicales. Dans la méthode Le Carpentier dont elle était devenue la propriétaire, avec M. Schœne-Laval, elle intercallait une Berceuse et Un refrain de Che- vrier, empruntés à un recueil de dix mélodies qu'elle venait de publier, paroles et musique d'elle-même. Le talent du compositeur n'était pas inférieur à celui du poète. En consultant les api>endices, le lecteur pourra se convaincre que si ses élégies sont très inférieures à celles de Lamartine, l'intention qui les a dictées leur ULTIMES AMOURS 181 est bien supérieure; si elles ne sont pas suaves, elles sont pures et la mère la plus timorée peut en permettre la lecture à sa fille. Madame Stoltz voulut effleurer tous les arts. Elle dessinait, et si les croquis qu'elle a signé sont d'elle-^même, elle n'était pas sans talent et sans esprit. L'encre de chine que nous re- produisons dénote même un certain métier. Avec l'âge, Madame Stoltz était devenue so- lennelle ; eWe affectait, non sans y réussir sou- vent, la bonne éducation des temps passés. La Princesse de la Paix était arrivée à cette étape de la vieillesse où l'on commence à trouver que les gens d'autrefois étaient seuls corrects et distingués et que ceux d'aujourd'hui sont ef- froyablement vulgaires et malappris. Une lettre qu'elle écrivit, le 28 août 1884, de Cabourg, à une célèbre pianiste. Madame M... née C. de D... fait bien entrevoir sa nouvelle mentalité Ma chère amie, dit-elle, voici déjà un mois que je supporte cette monotonie mondaine qu'on peut, à juste titre, appeler Société de 182 ROSINA STOLTZ Bourgeois-Inférieurs . Toujours mêmes mots, mêmes éclats de rire, mêmes costumes plus ou moins chinois, même laisser-aller qu'on ren- contre, maintenant, dans les rues de Paris. Ils triomphent enfin, et le reste de cette élégance du langage et de l'esprit que nous avons con- nue ne se rencontre plus î Je vais quitter ce lieu, où je ne vois qu'ap- pétits sensuels. Je serai à Paris, 39 avenue de l'Opéra oii j'avais revu cette pauvre Nina, ne voulant pas mettre mon intérieur en remue- ménage pour peu de temps, car, en conscience, je ne sais pas encore où j'irai, non. je n'en sai^ vraiment rien . eau mate légèrement dorée ; un grain de beauté, sous la tempe gauche, donnait du piquant à l'ovale sévère de son visage; un nez fin et régulier, aux narines mobiles et un men- ton volontaire, contrastaient avec une bouche 1 Si les uns la trouvaient fine et distinguée, cer- tains lui reprochaient une maigreur excessive c Un plaisant disait dernièrement que. lorsqu'il allait en- tendre Mme Lescuyer à l'Opéra, c'est qu'il avait le désir de suivre un cours d'ostéologie. Quant à nous, nous résumons ainsi notre opinion une âme dans un squelette. » Fontenay et Champeaux, Histoire des Théâtres, p. 28. 188 ROSINA STOLTZ aux dents espacées, aux lèvres presque min- ces et méchantes, heureusement corrigées à leurs extrémités par une dépression enfantine. La tête fièrement relevée, était portée par un cou long et gracieux, reposant sur des épaules superbes. Telle fut Madame Sioltz jusqu'à un âge in- vraisemblable. Octogénaire, le décolletage de sa robe de velours grenat était plus audacieux que téméraire; elle n'abdiqua jamais. Les contrastes de sa physionomie étaient bien les reflets de sa personne morale. Chari- table et bonne avec ses inférieurs, malgré des vivacités passagères, son orgueil lui faisait trouver doux le rôle de protectrice, et, il est possible qu'en donnant, le plaisir de constater sa supériorité ait été plus violent que faire le bien. Son intelligence et son esprit étaient mis en valeur par une instruction qui, sans être profonde, était supérieure à celle de la plupart des femmes de son temps elle con- nafssait sept langues et parlait volontiers comme ceux qui savent qu'ils causent bien. I^ timbre de sa voix était étrangement captivant. Malheureusement, son esprit mordant lui CRÉPUSCULE 189 pennettait d'emporter le morceau lorsqu'elle en trouvait l'occasion, soit qu'elle eut à se plain- dre de sa victime, soit qu'elle ait eu simple- ment un mot ou une idée singulière à placer. Elle avait la riposte prompte et si son instruc- tion générale se composait, disait-on, de ce qu'elle avait appris de droite et de gauche, elle connaissait ses fabulistes. Un soir, elle avait alors près de soixante-dix ans, priée de chanter, elle fit chercher quel- ques morceaux de son répertoire. Lorsqu'elle revint, un jeune homme malavisé, dit à une de ses voisines, assez haut pour être entendu — Voilà la Princesse qui revient chargée de reliques. — Non, cher Monsieur, ce sont des perles. Quelques gens d'élite lui pardonnaient ses boutades, mais les autres, les plus nombreux, ne pouvaient les oublier. A la fréquenter sou- vent, on finissait, un jour ou l'autre, par être froissé, parfois même humilié. Aussi ses enne- mis furent-ils innombrables 1. l D'après Alphonse Rover elle était étrange et séduisante c'était une çaillarde qui avait souvent ses nerfs et à qui il ne fallait pas résister. » 190 ROSINA STOLTZ L'artist'G ressemblait singulièrement à la femme. Elle avait des périodes de paresse in- vincible, des impossibilités absolues de travail quelconque ; puis, elle était prise subitement d'un zèle excessif, pour tout autre chose que son art, car elle était curieuse de tous les arts et de toutes les sciences. Laborieuse à l'excès pour satisfaire ses caprices, elle atten- dait presque toujours la dernière heure pour se livrer à ses obligations d'artiste. Mais alors, elle s'y mettait avec patience, résolution, vail- lance et audace, car elle travaillait ses rôles avec acharnement. Comme cantatrice, ses notes graves étaient superbes, mais sa voi^ n'atteignait pas deux octaves; bien que son timbre fut de qualité médiocre, personne ne sut égaler ses accents tragiques, d'une séduction étrange et cepen- dant, à certains moments, il était difficile de dire si elle jouait en chanteuse ou en tragé- dienne. L'effet, néanmoins était extraordinaire les incorrections de sa puissante sauvagerie fu- rent souvent les accents du génie 1. 1 Fétis raconte qu'elle le consulta sur sa voix qu'on critiquait fort à Bruxelles. Il constata un bon CRÉPUSCULK 191 Certains critiques, il est vrai, tenaient un tout autre langage. M. Teneo a bien voulu me communiquer un fragment d'un important ma- nuscrit Journal d'une habilleuse de l'Opéra en 1837 ». Madame Stoltz y est tellement mal- traitée que nous n'en publions que quelques extraits, et encore sous toutes réserves. Après les éloges hyperboliques de ses admirateurs, il n'est pas sans intérêt de faire connaître aux lecteurs comment Madame Stoltz était vue, par ses ennemis inférieurs. Madame Rosine Stoltz n'a que vingt-cinq ans 1, dit l'Habilleuse, mais elle est pâle et maigre; ce qui la vieillit beaucoup à la scène, malgré toutes les précautions de toilette imma- ginables... Son teint hâve, son œil noir, c^îtte bouche de poisson goulu qui s'ouvre sous une lèvre ombragée par une moustache rebelle à l'épilation, trahissent des goûts lascifs et dé- sordonnés. Son premier début dans la Juive, mezzo soprano, avec quelques défaillances dans le mé- dium, provenant dun manque de méthode. Il lui donna Cassel comme professeur ; celui-ci la fit travailler et sa voix gagna beaucoup vers 1832. 1 Elle n'en avait alors que vingt-deux. 192 ROSINA STOLTZ OÙ elle obtint quelques succès, fut signalé par la présence dans la salie d'une clientèle toute spéciale de partisans enthousiastes des qua- lités oceuites de la chanteuse ici un para- graphe que je ne me sens pas le courage de reproduire. Le public admet tout simplement Madame Stoltz en remplacement de Mademoi- selle Falcon et maintient cette noble et belle ac- trice à une distance infranchissable pour cette femme qu'une coterie voulait lui donner pour rivale. Ce n'est pas que Madaaiie Stoltz soit sans mérite. Elle sent vivement et avec intelligence, mais sa chaleur est nerveuse et ses effets com- muns. Sa voix duriuscule, haute, aiguë comme une pointe de fer, est belle sans distinction. L'art et le goût n'ont point assoupli, façonné son organe. Sur tout autre Théâtre que l'Aca- démie Royale de Musique, elle serait auda- cieuse, emportée; elle arracherait les applau- dissements par son jeu forcé et l' éclat de notes élevées. Mais, à l'Opéra, elle est con- trainte et réserv'ée. Voilà pour son talent d'axî- trice. Considérée comme femme, Madame Stoltz CRÉPUSCULE 193 se donne beaucoup de peine pour arriver à ob- tenir l'attention. Toujours saupoudrée de musc, elle se fouette le sang par le moka, \ts liqueurs fines et le poivre, qu'elle mêle à tous ses aJiiments, d'où résulte un état fébricitant incessamment érétismique qu'entretient le gal- vanisme de son hygiène, ses liaisons et ses ha- bitudes avec ceux-ci, avec ceux-là. Son habilleuse a remarqué son pied et le bas de sa jambe, mais elle fait des récits in- croyables de la maigreur de son corps, de l'ari- dité de ses formes, du blanc livide de sa peau lissée presque partout au suc de citron... » En 1837, le secret professionnel n'était guère respecté dans les combles de l'Opéra de la rue Le Peletier et les Caquets de l'Habil- leuse », ne sont certainement que les ven- geances d'une inférieure envieuse ou délais- sée. Aimant mal comme celles qui aiment trop, Madaiine Stoltz adora son fils à tort et à tra- vers, sans mesure, sans discernement, rêvant pour lui les plus brillantes destinées. La diplo- 13 194 ROSINA STOLTZ matie avait attiré la mère 1, le fils ne par- vint à faire qu'un homme de sports et même à ce ixint de \Tie, il traversa la vie sans lais- ser de traces intéressantes. Grand, d'allure distinguée, obligeant et ai- mable, son existence fut honorable mais sans éclat. Cosmopolite et agité comme la mère, il semblait habiter, en même temps, Rome et Bruxelles, Nice et Londres, alors que son prin- cipal domicile était Chantilly. 1 Charles-Raymond fut conseiller de légation d'Er- nest II. Avec le concours de Gustave Oppelt, il publia un volume d'archives judiciaires, qui eut deux édi- tions, sous le titre d'Archives judiciaires ; réunion com- plète des discussions législatives et des débats des grands procès politiques jugés en France, de 1792 à 1840. Bruxelles et Liège. Decq. 1869, in-4o de 480 p. En tête de la préface figurent ces mots empruntés à Eugène Sue c La manifestation d'une vépité, si déce- vante qu'elle soit, peut toujours servir d'enseignement moral à l'humanité ». Ce recueil, simple reproduction des journaux et brochures de l'époque, publiés sans commentaires, comprend les procès de Louis XVI, Ma- rie-Antoinette, Philippe d'Orléans, Mme Elisabeth, Bannissement perpétuel des Bourbons, Ministres de Charles X et Louis Napoléon Bonaparte Strasbourg et Boulogne. En 1870. il publia, avec le concours de la même per- sonne Tin mot de vérité sur Napoléon III, par Cari de Ketschendorf . Je n'ai pu me procurer cet ouvrage. CRÉPUSCULE 195 Sa mort fut l'image de sa vie il succomba dans le rapide Nice-Paris, le 4 octobre 1902, à 7 heures du matin, entre Dijon et Laroche. Le Commissaire de police spécial, attaché à la gare de Lyon, rédigea le jour même le propès- verbal suivant A l'arrivée du train 10, à 9 h. 11 du ma- tin, dans la voiture wagon-lit 655-A est décédé en cours de route le sieur Charles Raymond, né à Paris, 2^ arrondissement, le 20 juin 1848, fils de père et mère non déclarés Baron de Ketschendorf , parti de Monte-Carlo à 2 h. 20, accompagné de M. le D"* Bonmariage Arthur, 53 ans, demeurant à Bruxelles, 2, rue de la Révolution et de Mademoiselle Hélène White- house, 34 ans, femme de confiance de M. le Baron de Ketschendorf, demeurant à Islen- worth Angleterre. Certificat médical mort due à une tumeur à l'estomac, dys>epsie chro- nique, délivré par M. le D"* Bonmariage. » Ce fut un de ses amis, M. E.., directeur d'une grande société belge, et son voisin à Chantilh", qui s'occupa de toutes les formalités. Le corps, exposé dans la lampisterie transformée en cha- pelle ardente, fut transporté à Nice, deux jours 196 ROSINA STOLTZ pins tard. Madame Stoltz, quoiqu'elle ait dit, n'ayant jamais eu de mausolée à Nice, l'inhu- mation de Charles Raymond dut être retardée pour acheter un iDetit terrain dans un cimetière suburbain, et lui construire une modeste tombe 1. Pendant que tous œs tristes événements se succédaient, Madame Stoltz était à Nice 2. Le coup fut terrible elle s'alita et l'on crut qu'elle allait succomber; cependant, elle réagit. L'instabilité de son caractère la sauva de cette crise. La blessure pourtant était mortelle Plus rien ne restait de son passé; elle avait survécu à tous et la solitude était venue ; sans autre domicile que des chambres d'hôtels, les cendres du passé étaient dispersées 3. Brusquement, elle se rendit compte qu'elle était vieille, et que son heure était proche; ce fût le désespoir. Son orgueil persistant sauva 1 Ce fut le vice-oonsul de riTruKuay qui se charonea de faire toutes les démarches. 2 A l'hôtel des Empereurs, 34, boulevard Dubou- chage. 3 Ses petits-fils habitaient l'Angleterre et ne la voyaient que rarement, sans qu'il y eût de leur faute. CRÉPUSCULE 197 encoi"e les apparences. Mais la maîtrise de sa pensée la fuyait, et par moments elle avait conscience de sa décadence morale, de T aridité de son cœur et de sa décrépitude physique. Dieu seul restait elle pria. Exaltée dans la prière, conmie elle l'avait été en toutes choses, elle ne quittait plus son chapelet de nacre. Et des journées entières, elle marmottait, somno- lait, pensait, essayait d'espérer. Espérer quoi? Et la peur de la mort solitaire l'étreignait. Elle comprit que la sérénité des vieilles gens est faite autant avec le souvenir des bonnes souffrances qu'avec celui des heures d'ivresses; que les sacrifices qu'on a fait rendent plus douces encore les tendresses qu'on a reçues. Au seuil troublant de l'au-delà inconnu, elle se rendit compte que l'ouèli de soi-même avait manqué à -sa vie passée; que dans ses chari- tés, n'ayant donné que son superflu, elle ne pouvait prétendre à aucune récompense, car sa prodigalité avait surtout satisfait sa vanité. Lorsqu'on a jamais pardonné, comment comp- ter sur la miséricorde ? Elle pria éperdûment; mais, implacables, les griffes de son orgueil lui entraient dans les 198 ROSINA STOLTZ chairs ! EUe entrevit que sa fin serait humble, son cortège solitaire et sa tombe délaissée. La mort n'avait-elle pas déjà fauché tous ceux qui l'avaient aimée? L'oubli n'avait-il pas envahi ceux que la mort avait oublié ? Alors, ce fut bien la petite Victoire Noël qui sanglota ! XVI PANTIN Le 2 mai 1903, vers dix heures du matin, de- vant la port de l'Hôtel Bell^vue, avenue de l'Opéra 1, par un temps gris et triste, une très vieille femme descendait péniblement d'une voiture à galerie. Vêtue d'une robe de laiaie noire, coiffée 1 Je dois la plus grande partie des renseignements que i'ai recueillis sur les derniers moments de Mme Stoltz, à la propriétaire de l'hôtel Bellevue, Mme Hau- ser, à M. Croll qui était alors gérant et au personnel, que je tiens à remercier de leur complaisance. Je tiens aussi à signaler les soins dévoués avec lesquels ils ont assisté Mme Stoltz pendant sa dernière maladie. 200 ROSINA STOLTZ d'une capote sombre, nouée sous le menton, un petit sac noir passé sous le bras gauehe^ s' ap- puyant sur une canne et soutenue par le por- tier de l'Hôtel, elle gagna péniblement le hall ; courbée, amaigrie, parcheminée, c'est à peine si les domestiques habitués à la servir purent reconnaître la princese de Lesignano. Pendant qu'on descendait son unique malle, la voyageuse, rentra dans le parloir, s'affaissa dans un fauteuil, incapable, pendant quelques minutes, de dire une parole. Enfin, elle se leva, échangea quelques mots avec ceux qu'elle re- connaissait et monta lentement au premier où une chambre lui était réservée. Ce n'était pas son appartement habituel; elle maugréa c'était trop haut, elle ne pouvait voir les passants. Le lendemain on dut la descendre à l'entresol. La nouvelle chambre, sur l'avenue, est fraî- che et jeune, les meubles, recouverts de velours bleu, sont en laqué blanc avec des filets bleus ; les rideaux sont en reps bleu. En face de la porte, une armoire à glace, entre deux fenêtres, à droite la cheminée; à gauche une chaise lon- gue sous une glace ; au milieu une table ronde ; en face des fenêtres, un lit dans une alcôve; PANTIN 201 un petit cabinet ûe toilefte et deux chaises. On lui traîne un voltaire de velours rouge. Le temps était beau, on ouvre sa fenêtre; et de son fauteuil elle regarde la vie passer. Per- sonne ne lève la tête pour remarquer cette vieille femme, elle ne dévisage aucune figure connue; qui pourrait la reconnaître, s'il se trouvait par hasard quelqu'un l'ayant vue ou entendue ! Elle se pencha, fixant ses regards obstinément à gauehe; au J30ut de l'avenue, l'Opéra, le Nou- veau, celui où elle ne voulut pas entrer comme spectatrice... Elle se rappelle qu'il ne reste plus rien de l'Autre; iâ aussi des cendres Disparu Pillet, disparu le père Gentil, disparue la mère Crosnier. la portière; disparu Auguste, le chef de claque... encore des cendres. Le soleil éclaire en p4ein ce qui a remplacé tout cela Le Nouveau, celui où les jeunes gloires s' épa- nouissent, attendant les gloires futures nées et à naître... une larme tombe lentement, puis une autre. Elle ferme la fenêtre; plus jamais elle ne l'ouvrira, non jamais 1. 1 Mme Stoltz connaissait cependant la salle du nouvel Opéra. Elle en parlait dans les plus mauvais 202 ROSINA STOLTZ Lentement, appuyée sur sa canne qui trem- ble, elle prend sur la table son sac au sou- venir, tout ce qui lui reste du passé. Elle sort tout sur la table un portrait d'enfant, Bibi, celui qui n'est plus, des paperasses, des déco- rations, de la poudre de riz, un peu d'argent; c'est tout. Aucune de ces menues choses, sou- venirs fixés, petits cailloux blancs ramassés le long du chemin de la vie Chimères ou re- liques... termes, en artiste connaissant aussi l'administration; elle reprocliait à la nouvelle boîte » d'être antimusi- cale et ruineuse. La scène étant beaucoup trop ^^-ande et trop enfoncée, l'artiste ne pouvait communier avec le public ». La voix ne remplissait pas la salle, un peu à ca,use de la grandeur de la scène, beaucoup à cause des rugosités de l'ornementation des loges » et parce qu'il fallait, à cause de l'acoustique, perpé- tuellement chanter pour le quatrième rang des fau- teuils d'orchestre. La grandeur de la scène, par un effet d'optique étriquait le geste et en augmentait la rapidité ». Il fallait donc se mouvoir lentement mais amplement, ce qui tuait le jeu. » D'après Mme Stoltz, av^ec une subvention de deux millions, un di- recteur joindrait à peine les deux bouts. L'immensité de la scène, doublant le prix des décors que l'on paie au mètre carré, augmentait aussi le personnel déco- ratif, les accessoires et les servitudes. Mme Stoltz con- cluait Merveilleuse scène pour les féeries et les bal- lets, détestable pour la musique. La construction d'un nouvel Or>éra aux Champs-Elvsées s'impose. » PANTIN 203 Ainsi qu'à Nice, elle mène une vie de recluse quelques travaux d'aiguilles, un journal, son chapelet, la somnolence. Et ipourt-ant aucune infirmité ne l'attriste; elle voit et entend comme jadis. Encore, de temps en temps, mais de plus en plus rares, quelques réveils sou- dains, des colères sans mesure; aucune femme ne peut entrer chez elle, car elle les a en hor- reur. Si, par hasard, une domestique entr' ouvre la porte, elle s'élance furieuse, la canne levée. Avec les hommes elle cause volontiers elle parle de son passé, de ses grandeurs, de ses triomphes. De soucis d'argent, elle n'en a pas; elle est riche, très riche même et dépense si peu 1. Le 27 juin, un de ses petits-fils vient la voir quelques heures, et le vide se fait de nouveau autour d'elle. Un prêtre est appelé à sa demande, le 28 juil- l Elle dépensa environ fr. pendant son sé- jour de trois mois. Le 2 mai elle avait reçu fr., montant du quartier d'une rente de fr. et le 25 juin fr.. mojitant d'une autre rente de fr., soit en tout fr., sans compter l'ar- gent qu'elle avait à son arrivée. 204 ROSINA STOLTZ I-et. Quelques instants après son départ, le Doc- teur Petrovieh fut introduit; il ordonna ce qu'on fait prendre aux moribonds pour adoucir les derniers spasmes. Physiquement elle souffre peu; le corps se désagrège, la pensée s'enfuit; lentement, lente- ment elle -descend dans la toml>e; elle n'a d'au- tre mal que l'implacable vieillesse. Parmi ceux qui l'ont connue heureuse, seul un homme de cœur, le Marquis de Darrax, pris d'une grande pitié, abandonne sa villégiature pour venir lui dire le dernier adieu. Il arrive le 29 juillet la mourante avait encore toute sa connaissance; elle fait de vains efforts pour parler; elle essaye d'écrire. Les doigts trem- blants s'y refusent. Désespérée, elle penche sa tête vers la ruelle et pleure. Elle ne bouge plus. Dort-elle ? Le visiteur appelé par d'autres de- voirs lui baise la main et se retire. Vers 6 heures, la malade reprend coimais- sance; elle se fait porter dans son fauteuil près de la fenêtre. Elle mange, silencieuse, étran- gère à ses actes; un instant elle regarde les passants; on la reporte dans son lit; pendant PANTIN 205 quelques heures elle s'agite puis s'endort dou- cement, tenant son chapelet. Dans la soirée son petit-fils an'iva. Elle ne le reconut pas. On la laissa Vers 4 .heures du matin, au lever du jour, le domestique qui rentra dans sa chambre la trouva dans la même position elle était morte. C'était la fin de tout; sa fortune s'éteignait avec elle. Tristesse suprême, il faut de l'argent pour mourir, pour gagner sa dernière demeure et y trouver un perpétuel abri. Son porte-mon- naie est à peu près vide ! La morte reste pres- que seule. La propriétaire de l'Hôtel, compatis- sante, apporte quelques roses, deux bougies; c'est tout. C'est une domestique qui fait sa dernière toi- lette ot dans son cercueil de mendiant elle re- pose enveloppée dans de pauvres linges un 5upon, une ehemisette, sa mantille noire, son chapelet... Deux jours se passent; c'est le convoi du pauvre qui l'emporte à 7 heures du matin dans •îa rue solitaire. Les prières les plus courtes à ^Eglise Saint-Roch et le peftit cercueil, suivi 206 ROSINA STOLTZ par deux î>ersonn€S, côtoie l'Opéra qui som- meille eneore et s'aehemine en cahotant à tra- vers les Faubourgs, vers le cimetière de Pantin. De temps en temps, le salut machiiial du passant et le signe de croix furtif des ména- gères... avant d'entrer dans la vaste plaine des morts oubliés, il faut laisser sortir un tombe- reau chargé de couronnes rouillées. Les nécro- poles meurent aussi ! Le charretier passe en jurant et le pauvre cortège gagne le coin des abandonnés oii l'on procède à un enfouissement hâtif. Une croix de bois, et le repos pour cinq ans. Après, la fosse commune, la poussière que le vent emporte. Et plus rien 1. Et maintenant, tout ce passé fragile de la fennne de théâtre s'est perdu comme une mince 1 Heureusement, la Société de l'histoire du Théâ- tre est intervenue. Une concession à perpétuité a été obtenue et une modeste pierre portera le nom de Ro- sina Stoltz, L'acte de décès de Victoire Noël est conçu en ces termes ectacle, je m'engage à ne pas quitter Paris sans autorisation ; 4° En cas de clôture du Théâtre, par quelque cause que ce soit, ordre supérieur, incendie, réparations, ou tout autre motif obligé, je m'engage à ne recevoir aucun traitement pen- dant la durée de la clôture; à ne contracter APPENDICES 215 d'engagement avec a-ucune autre administra- tion avant le terme de trois mois écoulés de- puis la clôture ; et à ne paraître sur aucun théâ- tre, dans l'intervalle, sans la permission du Directeur ; 5° En cas d'indisposition ou de maladie, il ne nie sera permis de me croire dispensée de mon service qu'autant que j'en aurai certifié par un certificat de médecin, appuyé et con- firmé par l'un des médecins de l'Administra- tion. Ce certificat devra expimer l'impossibilité absolue de faire mon service, sinon je consens à être considéa^ée comme refusant de jouer, et souanise aux clauses pénales stipulées dans mon engagement et à ceMes fixées par les rè- glements ou usages de l'Opéra. L'Administration pourra exiger que ce cer- tificat soit renouvelé tous les cinq jours; et, s'il ne s'agit que d'une indisposition, je m'engage de plus à ne pas sortir de chez moi tant qu'elle durera . Toute maladie ou indisposition, constatée, conmie il est dit ci-dess'us, n'entraînej^a aucune diminution d'appointements pour le premier mois; pour le second mois, moitié de mes ap- 216 R05INA STOLTZ point-ements sera retenue; et lesdits appointe- ments cesseront tout à fait de m* être payés pour le troisième mois et les suivants jusqu'à la reprise de mon senice. Cette convention est formelle entre l'Administation et moi, et je dé- clare ne pouvoir jamais élever de réclamation à ce sujet, cette clause étajit mie des conditions expresses de mon engagement qui, sans elle, n'aurait jamais été consenti. En cas de grossesse, je consens à ne rien re- cevoir de mes appointements pendant tout le temps que mon service sera interrompu. 6° Je me conformerai sans aucune récrimi- nation, aux usages et règlements établis ou à établir pour l'ordre général; 7° Je m'engage à ne faire usage de mes ta- lents sur aucun théâtre, ni dans aucun concert ou réunion publique ou particulière, sans l'au- torisation écrite de l' Administration, à peine de Cinq cents francs d'indemnité envers le Di- recteur, à retenir, comme mes amendes sur mes appointements mensuels, ce qui les réduirait d'autant; 8° Tout congé auquel je pourrais avoir droi! aux tennes de mon engagement, quelle que soit APPENDICES 217 sa durée, commencera à courir et me sera compté du lendemain de la dernière représen- tation dans laquelle j'aurai paru, à la veille du jour de la représentation dans laquelle je reparaîtrai après ledit congé; 9° Enfin il demeure convenu que, dans le cas d'une contestation portée devant les tribunaux, le service ne /pourra aucunement en souffrir. Je m'oblige en conséquence à satisfaire aux de- mandes de l'Administration pendant toute la durée de cette contestation, suivant la teneur de mon engagement et sous les mêmes peines, comime si cette contestation n'existait pas; 10° Il est en outre expressément stipulé que lorsque les amendes fixées par le règlement et que j'aurai encourues, se seront renouvelées plus de trois fois dans un mois, l'Ackninistra- tion sera maîtresse d'annuler le présent enga- gement, si elle le juge convenable cette réserve étant entièrement à sa disposition sans réci- procité. Le présent engagement commencera le 1^'' août prochain et finira le 31 juillet 1842. Il sera résiliable à la fin de la première année à la volonté de TAdministration sans réciprocité. 218 ROSINA STOLTZ Voulons en outre qu'il ait même force et valeur que s'il était passé par devant notaire, sous peine du paiement d'une somme ide quarante mille francs à titre de dédit, exigible en totalité à quelque époque de l'engageanent que ce soit et quel que soit le temps qui en resterait à cou- rir, payable en tous lieux ou le premier contre- venant pourrait se retirer, le présent engage- ment étant respectivement regardé et devant être jugé coanme entreprise ou affaire de com- merce. Moyennant les clauses ci-dessus, loyalement et fidèlement exécutées, moi, Directeur-Entre- preneur, soussigné, je m'engage envers Ma- dame Stoltz-Lescuyer, à lui payer par portions égales et de mois en mois, la somme annuelle de trois mille francs pour appointements fixes; et de plus un feu chaque fois qu'elle jouera. Ce feu sera de 300 francs; six sont assurés par mois. Mais cliaaue fois que, par une cause quel- conque, Madame Stoltz refusera de chanter, ces feux seront supprimés jusqu'à ce qu'elle soit mise de nouveau à la disposition de l'Ad- ministration; Madame Stoltz aura droit chaque année, à, un congé rriin mois dont l'époque APPENDICES 219 sera réglée de gré à gré en prévenant trois mois à l'avaince. Pendant ce congé les appointe- ments seront retenus et il sera rachetable, moyennant francs pour la première an- née et pour les deux autres. Il devra toujours être pris dans l'année oii il sera ac- quis, sous peine de déchéance. Pour le reporter d'une année sur l'autre, il faudra le consente- ment écrit de M. Duponchel. Une gratification de francs sera ac- quise à Madame Stoltz à la fin de chaque année si son service a été constamment honorable, ce qui sera jugé par le chef de service. En de besoin, l'enregistrement du présent acte sera à la charge de celle des deux parties qui succombera. Enfin, en cas de cession de l'entreprise, le présent engagement continuera à avoir son exé- cution. M. Duponchel pourra le mettre à la charge de son cessionnaire sans que Madame Stoltz conserve aucun droit ni recours contre M. Duponchel. Fait en double et de bonne foi entre nous, après lecture à Paris, ce trente juillet mil huit cent trente-neuf. 220 ROSINA STOLTZ Approuvé l'écriture Rosine Stoltz. J'approuve le présent engagement sans déro- ger à nos droits personnels A. Lescuyer. Adjonction. Et le 25 juillet 1840, entre M. Lescuyer, xMa- dame Stoltz Lescuyer et M. Léon Pillet, di- recteur du iDcrsonnel et de l'administration de l'Qpéra il a été arrêté et convenu ce qui suit A dater du mois d'août 1840 jusqu'au P"" août 1841, M. Lescuyer prélèvera mensuellement sur ce qui sera dû à Madame Stoltz par l'Admi- nistration de l'Opéra, une somme de fr. Madame Stoltz est autorisée par lui, par ces présentes, à toucher directement sur ses quit- tances i3ersonnelles et particulières tout ce qui excédera ladite somme de fr. En consé- quence, tout payement qui lui sera fait dans ces conditions par de l'Opéra sera bonne et valable sans qu'il soit besoin de l'intervention ni de la signature de M. Lescuyer, la présente autorisation étant invariablemenl donnée taat à Madame Stoltz qu'à M. le Di- recteur de l'Opéra pour toute la durée du pré- sent engagement. Toutefois. l'Administration de APPENDICES 221 l'Opéra rendra compte chaque mois à M. Les- cuyer des sommes que Madame Stoltz aura re- çues. L'administration de l'Opéra assure par mois à Madame Stoltz la somme de 833 fr. 33 même en cas de maladie. Le présent engagement et par suite celui qui précède seront résiliables le 31 juillet 1841 à la volonté de l'administration et sans réciprocité. Toutes les clauses du présent engagement qui ne sont pas contraires à celoii-ci, sont et de- meurent maintenues. Fait double et de bonne foi entre nous après lecture à Paris les jours et ans que dessus. Approuvé l'écriture ci-dessus. Alphonse Les- cuyer Du}Xnchel et Pillet, Rosine Stoltz. '2^ Adjonction. Le présent engagement est continué d'accord entre les parties jusqu'au 31 mai 1848 avec les modifications suivantes Il sera ajouté aux avantages assurés à Ma- dame Stoltz par le dit engagement, deux mois de congé dont l'époque sera fixée en se préve- nant réciproquement trois mois à l'avance, et 222 ROSINA STOLTZ que radministration se résine la faculté de racheter moyennant fr. par mois. Ma- dame Stoltz aura droit en outre à deux repré- sentations à son bénéfice, dont les frais seront à sa charge et qu'elle prendra à la fin de cha- que période de trois ans. Toutes les conventions relatives aux arrange- ments de ^îadame Stoltz et de M. Lescuyer sont nulles et non avenues; le prélèvemnt qui doit être fait par M. Lescuyer ayant été réduit à 200 francs par mois suivant conventions écrites entre M. Lescuyer et Madame Stoltz. Fait double à Paris, le 14 mai 1842. IV M°^' STOLTZ POETE Dix mélodies, paroles et musique, par Kosina 8txlz. Piano et chant. — Toutes ces mélodies ont été arran- gées pour piano et violon, dédiées aux jeunes élèves, par Julliano et Clout. — Pour piano seul, par A. Croisez. — Pour orgue, harmonium et piano à quatre mains, par Renaud de Yilbac. — Chez F. Schœne, éditeur, 42, boulevard Malesherbes. I. — SOUVENIR D'ENFANCE Je me souviens parfois Dans ma grande fortune De ces jeux qu'autrefois Je dus à l'infortune. Je chantais tout gaiement Les hymnes au Seigneur Et priais, tout enfant, Notre divin Sauveur, 224 ROSINA STOLTZ II D'envoyer à la terre, Une flamme divine. De voiler à ma mère Une loi si chagrine Qu'il faut mourir un jour, Laissant sur son passage Un enfant sans amour I... Et misère en partage. III A l'heure des adieux. Je me sentis brisée. Son cœur si précieux N'avait plus de pensée. Son esprit vers la route Avait pris le chemin, M'oubliant sur la route, Je devins orphelnz. IV Si tu me vois d'en haut, Tendre mère chérie. Tu sauras qu'il me faut Pour supporter la vie Songer à tous moments Que ton àme a souffert Et qu'enfin les tourments Sont un ciel entr'ouvert. APPENDICES 225 Si tu vois notre Dieu, Décris-lui mon espérance, Et dis-lui qu'au milieu D'une vive souffrance Je bénis ses bienfaits Qui me donnent au cœur La force, les souhaits Pour servir le malheur. VI Au jugement dernier Si notre divin maître Me plaçait en premier Pour mieux te reconnaître, Passant aux cieux lointains Je serai bien guidée, Connaissant des humains La place réservée !... VII Prions, prions toujours ! L'espoir nous est permis, D'en haut vient le secours, Le ciel nous est promis. 15 226 ROSINA STOLTZ IL — LE REFRAIN DU CHEVRIER Dans mon cœur, toi qui sait lire, Tendre objet de mon ardeur Auprès de toi le délire De Dieu m'offre la faveur. Tra la la Tra la la 0-a-o... Du Sauveur la voix divine Vient à moi chaque matin Avec sa cloche argentine Parfumée au romarin Tra la la... Apporter à ma chaumière Le bonheur du chevrier Qui trouve dans sa misère L'heure de pouvoir prier. Tra la la... A l'église du village Quand on vient s'agenouiller. On n'y trouve pas l'usage De payer le marguiller. Tra la la... APPENDICES 227 III. — PRIÈRE A MARIE Salut, vierge Marie, Aimable ambassadeur, Vous par qui notre vie A trouvé le bonheur. Salut, vierge Marie, Reine pleine d'amour, Priez pour notre vie, Dans le divin séjour ! Vous notre tendre mère. Qui veillez sur les flots, Pensez à la misère Des pauvres matelots. Quand loin de la patrie. Ils rencontrent la mort Sur la mère en furie. Sans éviter le sort ! Songez à l'orpheline, Qui vit à l'autre bord. Jouant sur la colline, Sans regarder le port. Au milieu de l'orage Et des vents furieux, Elle rit sur la plage, Espérant tout des cieux ! 228 ROSIXA STOLTZ Bienheureuse Marie, Donne aux tristes pécheurs, Par sainte Rosalie, L'espérance du cœur, Avec le Christ en tête, Pour bénir sa bonté, Nous viendrons à la fête Chanter la Charité ! Salut, vierge Marie, Mère du Rédempteur, Salut, femme bénie. Qui donna le Sauveur. Salut î Salut ! Salut ! CVariante avec accompagnement d'orgue. IV. — PENSÉE CHRÉTIENNE Je voudrais d'ici-bas trouver le chemin Qui conduirait Tesprit vers un penser divin ; Je voudrais épargner à Thomme la blessure Qui fait du plus grand bien de l'âme une torture ; Je voudrais que la terre engendrât quelque jour Le bonheur d'être unis d'un fraternel amour. Qui donne à l'univers la moitié de son âme, Pour enfanter ainsi le cri de sainte flamme. APPENDICES 229 Quelle vaine espérance A caressé mes vœux, Alors que la vengeance Est le bonheur des dieux ! En vain l'ingratitude Ose éprouver mon cœur, Ma chère solitude Adoucit ce malheur. Pourtant il est un bien qui ralierait le monde ; Si au pauvre naissant de misère profonde Le cœur du vrai chrétien partageait la douleur Et demandait à Dieu d'adoucir sa rigueur. V. — LES JOIES DU RETOUR En quittant mon foyer pour le pays lointain, Je partis dans l'espoir de trouver la fortune ; Mais un homme, ici-bas, peut-il être certain De découvrir le bien que cherche l'infortune. Je pense à mon amie, A la terre chérie Qui formaient mon trésor Quand je pris mon essor. Je crois à l'avenir, au bonheur, à mon Roi, A l'honneur, à l'amour de ma douce Marie, Je la retrouverai... mon âme est sans effroi. Elle m'attend là-bas dans ma chère patrie. 230 ROSINA STOLIZ Au milieu du rivage J'aperçois le village Qui nous montre riant Son clocher si brillant. Me voilà de retour et je me sens joyeux D'avoir pu supporter ces angoisses mortelles, De trouver au logis et presque sous mes yeux, Ces souvenirs touchants des bontés paternelles ! Mère, que je t'-embrasse, me voici près de toi ; Le ciel, dans sa clémence, récompense ma foi, Quand j'étais loin d'ici, mon cœur plein d'espé- [rance Me disait chaque jour... ne crains rien de l'ab- [sence, Vas, tu les reverras, pour ne plus les quitter. Allons, plus de chagrins... ce cœur peut palpiter. VI. — ILLUSION On dit qu'il faut aimer. Aimer toute la vie, Séduire ou bien charmer Sans trop de perfidie... Je croyais à ces mots Qui ne voulaient rien dire Et je suivis les flots, Je perdis mon empire ! APPENDICES 231 L'oiseau, comme les cœurs, Peut fonder son espoir Sur le nuage en pleurs Qui passe sans le voir. Enfin il est venu, Ce temps de calme austère Où puissante vertu Triomphe sans la guerre. Il faut le proclamer ; Loin devant le plaisir. A quoi bon s'alarmer Sachant qu'il faut mourir. Vn. — CE QUE J'AIME J'aime loin de la terre Vivre au milieu des flots, Oublier ma misère Auprès des matelots. J'aime aussi dans l'orage Braver les éléments. J'aime quand le courage Triomphe des moments. J'aime près d'une femme Caresser ses cheveux Et découvrir son âme Dans le bleu de ses yeux. 232 ROSIXA STOLTZ J'aime dans la montagne Voir passer le chasseur, Auprès d'une compagne Trouver le vrai bonheur ! J'aime dans la nuit sombre, Prier le Tout-Puissant, Et raviver dans l'ombre Son souvenir charmant. J'aime près d'une femme... VIII. — AMOUR AU VILLAGE Pourquoi veux-tu, mon frère, Me donner le chagrin De quitter la chaumière Pour courir le chemin. Demain ma pauvre mère, En s'éveillant soudain Peut craindre la misère Et redouter la faim. Je sais que Marguerite Va laisser le pays. Voulant, pauvre petite. Eviter ses amis ! Oubliant que son père. Déjà bien malheureux, Sera s'il désespère Dans un tourment affreux. APPEÎSDICES 233 Mais fais-lui donc comprendre Qu'elle a dans son malheur Une famille tendre, Que je suis sa sœur, Donne-lui l'espérance Qu'un jour viendra pour vous Où l'amour de l'enfance Sera béni par tous. Alors, dans le village. Nous pourrons défier Ceux dont l'âme si sa^e Voudrait se récrier. Moi, je resterai fille Pour soigner votre enfant Si l'Eglise apostille. Dis, frère, es-tu content ? IX. — LA BERCEUSE Tout dedans la nature Nous dit qu'il est un Dieu ; Et l'âme toujours pure, N'a qu'à former un vœu. La vie est un passage Qui berce notre espoir Et le berceau du sage Balance sans le voir ! 234 ROSINA STOLTZ Ici tout est mystère... Par un bienfait divin Il nous fait de la terre Oublier le chagrin. Celui qui nous fit naître Au milieu du péché Nous force à reconnaître Notre chemin caché. Pour le chrétien fidèle Qu'on ne saurait lasser La flamme est éternelle Et le force à penser. Que l'âme à la dérive Retrouve le sentier Qui conduit à la rive Où tout doit s'expier. X. — GIANETTA Tenero ben, délia montagna, Caro sospir del primo amor Assiso ai piè, di ma compagna, In petto balzar sento il cor. Allorchè il ciel mi dà la vita, lo vuo cantar la liberté E nel sorriso di Gianetta, Trovar vosrlio félicita APPENDICES 235 Corne l'ang^elo la mattina Pria del sol io m'alzerô Cantando la Bontà divina Che manda ai fiori il zeffiro Per ringraziar la benfattrice La ser andrô per ben finir, Alla Madona protettrice Arder la face poi dormir. V LES ROLES DE M^ STOLTZ et le nombre de representations de ces œuvres jusqu'en 1876 Guido et Ginevra Ricciarda 44 Benvenuto Cellini Ascanio 4 Xacarilla Lazarillo 100 La Favorite Léonor 481 Freischutz Agathe 61 La Reine de Chypre Catarina 118 Charles VI Odette 57 Dom Sébastien Zaïda 32 Lazzarone Beppo 17 Othello Desdemune 23 Marie Stuart Marie Stuart 24 L'Etoile de Séville Estrella 15 David David 8 Robert Bruce Marie 31 TABLE DES MATIERES I. — L'Enigme 7 II. — Illusions 15 III. — Réalités 24 IV. — L'Académie Royale de Musique 42 V. — La Favorite 55 VI. — La Reine de Chypre 71 VII. — De Charles VI à Robert Bruce 84 VIII. — Le Mouchoir 94 IX. — L'Exode 107 X. — Tras os montes 121 XI. — » Pierrot 128 XII. — Princesse 136 XIII. — Paraissez, Navarrais ! 150 XIV. — Ultimes amours 166 XV. — Crépuscule 184 XVI. — Pantin 199 Appendices I. — Lettre de M^^ Stoltz du 30 mars 1837 209 IL — Lettre de M'^e stoltz du 8 novembre 1838 212 III. — Engagements de M°^ Stoltz avec Duponchel et Pillet 213 IV. — M^ie Stoltz, poète 223 V. ~ Les rôles de M™e stoltz 236 VIENT DE PARAITRE BIBLIOTHEQUE DU VIEUX PARIS Pierre BRUN Saifinien de Cpano Bergerac L'HISTOIRE ET LA LÉGENDE î>e Lebret k M. Rostand I vol. in-8o orné d'un frontispice gravé et de trois planches hors texte I 2 fr. Adolphe JUIiIKN AMOURS D'OPÉRA AU XVIII' SIÈCLE UAcadémie de Musique. — Histoire de l'Eglise du Diable. — M^^ Pelissier et Lope^ Dulis. — Mlle Petit et le Marquis de Bonnac. — Grimm et Mlle Leclerc. I vol. in-8'\ orné de C> planches hors texte, I 5 fr. Histoire des Théâtres de Paris 8 volumes, 51 fr. LISTE SUR DEMANDE D'WITKO>\SKI et L NASS Le Nu au Théâtre DEPUIS l'antiquité jusqu'à nos jours I vol. in-8o orné de 23o illustraiioni, 20 fr. ^ÔC^ . — ^;^ PARIS = GALANT Almanach Littéraire M et Artistique M ire année, 1908. i vol., 60 illust., fr. 90 2 année, 1909, i vol., 70 illust., fr. 90 NOMBREUX ARTICLES SUR LE THÉÂTRE VIENT DE PARAITRE BIBLIOTHEQUE DU VIEUX PARIS Jean de RËUIIaIaY La Raucourt aJ £i et ses Amies iTUDE HISTORIQUE DES MŒURS SAPHIQUES AU XVIII'' SIÈCLE Les Lesbiennes des Théâtres et de la Ville. — Melpomène et Sapho. — Lesbos à Paris. — Courti- sanes. — Filles galantes et Honnestes Dames ». D'après les documents inédits desArchives Judiciaires, jes Mémoires secrets, ia Chronique Scandaleuse. I vol. in-8f> orné de trois planches gravées. . 20 fr. Les Théâtres libertins au 18^ Siècle I vol. in-8o, 8 planches, I 5 fr. Les Théâtres du 'BouîeVard du Crime I vol. in-S", 3 plans, 8 fr. Un Amour de T>êjazet 1 vol. in-8o avec un portrait gravé, 6 tr. Œuvres inédites de *Béranger 3 actes inédits, i vol. in-8o, i portrait, 8 fr. ML Bord, Gustave ^0 Rosina Stôltz U7B6 ^USIC PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY

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